Texte de Thibault

Trajet de rentrée.

Aïe, c’est blindé, j’aurais mieux fait d’y aller en Uber… Mais qu’est ce qu’il m’a pris de prendre un train ? Si, il y avait des manifestations partout, j’aurai été bloqué pendant des heures. Ils veulent une 6ème république, j’entends bien, mais c’est pas une raison pour prendre tout le monde en otage… Donc me voici, à Paris, sur le quai d’une gare, les écouteurs vissés aux oreilles, un sac à dos posé au sol entre mes pieds et un billet dans la poche. Nous sommes un Samedi de Septembre, en fin de journée et le train arrive enfin, de façon super prévisible, il est plein à craquer.

Je me fraye tant bien que mal une place à l’intérieur, je m’accroche à une barre de la rame en me remémorant pourquoi je suis là. Pourquoi déjà ? Ah oui, parce qu’une fois j’ai entendu ce philosophe assez connu dont j’ai oublié le nom dire quelque chose qui m’a plu. Ce dont je me rappelle c’est qu’il ne faut pas prendre la vie comme un voyage, en croyant qu’il y a une arrivée, un but, et qu’un jour, après des années de travail acharné, de sacrifices et de nuits trop courtes, on va avoir une révélation et se dire “Ca y est, j’y suis, je suis arrivé”. Le problème, c’est que ca ne va faire ni chaud ni froid, enfin bon j’imagine qu’on va surement être heureux 5 minutes, se faire un petit “high five” imaginaire pour avoir atteint ses grands objectifs. Mais dès le lendemain, retour à la réalité, rien n’a changé, on se sentira pareil que depuis toujours, et on ne vivra certainement pas dans le bonheur et la plénitude absolue.

Je redescends sur terre lorsque quelqu’un me bouscule légèrement pour sortir du train. Cela devait faire un moment que j’étais perdu dans mes réflexions existentielles, je ne m’étais même pas rendu compte qu’il y avait maintenant quelques places de libres. J’en prend une à côté de moi et tourne la tête vers l’extérieur pour laisser planer mon regard sur la ligne d’horizon en forme de barres d’immeubles qui a quelque chose d’assez hypnotisant, enfin si on aime les barres d’immeubles. J’en étais où ? Ah, oui, ne pas voir la vie comme un voyage, avec une arrivée, un but sacré à la fin. En effet c’est pas terrible, ca veut dire que quand t’es arrivé, t’es mort… Et si t’es pas mort, t’es tout vieux et tout fatigué, ce qui est à peine mieux… Je chasse cette idée de vivre une vie bien rangée tout en économisant pour mon hypothétique retraite en me disant que je préfère imaginer la vie comme de la musique par exemple. L’intérêt n’est justement pas la fin, la chute, mais au contraire sa continuité, son ambiance et ses variations. Si la vie est une musique alors son sens est de danser avec les autres tant qu’elle est jouée. Mais oui c’est pas mal comme idée, ca va tout à fait dans mon sens. Je me disais justement que je ne dansais pas assez ces temps-ci et que j’aurai bien besoin de changer de rythme.

Soudain, au moment où la musique justement se calme dans mes écouteurs, une voix passe au dessus et me ramène en une fraction de seconde à la réalité. ”Mesdames et Messieurs nous sommes arrivés à l’aéroport Charles de Gaulle, terminal 2, terminus du train, tous les voyageurs sont invités à descendre”. Dernière hésitation, rapidement balayée, je ne peux pas changer d’avis maintenant. Je me relève d’un bond, vérifie que j’ai toujours mon billet dans ma poche. En soulevant mon sac à dos je suis surpris, il est plus lourd que ce que j’imaginais. J’ai qu’un aller simple, j’aurai du partir moins chargé pour faire ce tour du monde, me dis-je en sortant du train.

Par Thibault

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Thibault nous propose ici un temps un peu suspendu, un entre-deux, juste avant un grand départ. Le narrateur n’est déjà plus dans sa vie « d’avant » (il n’en reste, dans le texte, que ce sac à dos trop lourd…), pas encore dans sa vie « d’après »… Instant propice à toutes sortes de réflexions, de retour sur soi. Instant, aussi, idéal à une sorte de flou un peu hypnotisant, sans queue ni tête, assez bien rendu par Thibault. Tu as choisi, Thibault, de nous convier dans la tête de ton narrateur. On suit ses réflexions et aussi leur discontinuité. C’est plutôt malin, parce que c’est dynamique comme narration, et ça nous rend très proche de ce personnage, ça le rend très vivant et réel (à titre perso, des instants d’introspection un peu sans queue ni tête, mi-légers mi-philosophico/profond, ça me parle !). La conclusion ouvrant sur ce grand départ donne de la profondeur de champ à l’ensemble du texte. Ce qui aurait pu être un instant de réflexion tranquille et sans grand enjeu devient, grâce à cette chute, un peu plus essentiel.

Je crois, Thibault, qu’il me manque un truc pour tout à fait m’attacher à ton personnage, c’est quelques petits éléments de sa vie. Celle qu’il est à deux doigts de quitter, et pourquoi. Pas sous forme de grande explication surlignée, surtout pas. Mais des petits éléments, glissés par-ci par-là. Parce que somme toute, si le discours de ce philosophe a eu autant d’effet sur lui quand il l’a entendu, c’est qu’il doit y avoir une raison. Tu ébauches un peu ça avec ton « Je me disais justement que je ne dansais pas assez ces temps-ci et que j’aurai bien besoin de changer de rythme. ». Je pense que c’est une piste à creuser. Glisser ça et là dans ton texte des références à ce qu’il est, à ce qu’il vit, à ce qu’il quitte, à ce qu’il regrettera, à ce qui le soulagera dans ce départ (etc…). En « l’ancrant » davantage, parfois de manière un peu étriquée et insatisfaite, parfois moins, tu donneras aussi plus d’espace à la rêverie de ton lecteur sur ce tour du monde que l’on pourra imaginer en miroir de ce que tu nous décriras de sa vie « d’avant ».

Hello,

Merci pour ton commentaire, je suis tout a faire d’accord avec ce que tu proposes. Ca permettrait en effet d’étoffer le personnage et de faire écho a des situations vécues par chacun.

C’est tout à fait ça 🙂