Texte d’Ariane – sept. 2017

« Virage à droite, 180° toute, pédale de l’embrayage à fond, vroum, passage de la 6ème vitesse, hop le nid de poule, heureusement que les amortisseurs sont en bon état, attention à l’obstacle, freinage d’urgence criiii, faudra penser à remettre du liquide de frein » et bim, c’est la collision frontale contre la plinthe de la cuisine !!! La majorette gît sur le flanc droit et elle sourit en se moquant d’elle-même. Elle sait bien que ce qui se passe dans la tête de son petit garçon doit plutôt ressembler à ça : « voum, voum, tutt !, voum, boum, bababoum ! ».

Son fils s’est découvert une passion pour les voitures. Il peut y jouer pendant des heures. Elle a pourtant tout fait pour combattre les stéréotypes de genre : il a une boite à outils et une machine à laver, des cubes et des perles, des voitures et des poupées,… Mais rien à faire. Elle serait presque à se demander, elle, la féministe convaincue, si la passion pour les engins à roues ne serait pas inscrite dans les gênes. En tout cas, son fils l’a attrapée, tel un voituro-virus. Pire que le papillomavirus, pas de vaccin possible. Cause génétique : testostérone, seul traitement possible : frustration. Le pire dans cette histoire, ironise-t-elle, c’est que cela lui laisse tout le temps nécessaire pour préparer le repas. Et là voilà en train d’enfourner une tarte aux pommes en attendant le retour du père de famille. Tellement cliché.

« Coucou, c’est moi! ». Un gros câlin pour l’un, un smack rapide pour l’autre. Ils ont atteint le moment où le petit être chamboule la chronologie, plaçant le parent avant le conjoint. Elle se demande ce que penserait la version d’elle adolescente de sa vie actuelle et elle soupire pour chasser cette idée, comme on le ferait avec une mouche entêtante. Mais comme cette mouche est décidément très têtue, la chasser ne suffit pas. Elle choisit l’image de l’autruche la tête dans le sable, espérant plus d’efficacité mais cela ne fonctionne pas non plus.

C’est un peu plus tard ce soir-là, une fois le Monstrounet couché, qu’elle prit sa décision. Ils étaient assis sur le canapé et, tout en faisant semblant de suivre Walking Dead, elle dressa mentalement la liste des démarches à entreprendre.

Elle commença par écumer « leboncoin ». Les annonces ne manquaient pas mais il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas : quand ce n’était pas l’état ni l’aménagement, c’était l’historique ou l’entretien. Ou alors le coût, bien sûr. Au bout d’un mois, elle réussit enfin à en trouver un qui ferait l’affaire. Elle prit rendez-vous avec son banquier et s’arrangea pour disposer de liquidités suffisantes. Elle posa un RTT pour aller le chercher dans le Jura et bien sûr, n’en souffla pas un mot à son mari. Puis, elle réserva une entreprise suffisamment efficace pour s’occuper de tout en une journée et choisit un lundi. Elle contacta une agence immobilière, loua un box. Elle s’entraîna à imiter la signature de son mari et trouva même des conseils dans un tutto youtube. Enfin, elle prépara les recommandés : impôts, EDF, crèche, employeur n°1, employeur n°2, pôle emploi. Elle expédia le tout un vendredi. Et attendit. Trois jours.

Le lundi, elle prit son fils sous le bras, donna ses consignes aux déménageurs, vérifia la pression des pneus de son tout nouveau camping-car, acheta une boussole (juste parce qu’elle aimait le symbole) et une bouteille de champagne. Elle prit soin d’ignorer les 37 messages vocaux, SMS, mails envoyés par son mari. Les premiers messages ressemblaient à « C’est trop bizarre, tu sais ce qu’il se passe ? », les derniers étaient plutôt du registre du : « Putain mais qu’est-ce qui t’as pris!?! Réponds-moi, merde !!! ». Elle croisa les doigts pour que ça passe et non ne casse. La démission forcée était un peu extrême, elle en avait conscience. Elle se surprit même à avoir envie de prier mais refréna vite ses ardeurs religieuses : faudrait pas exagérer quand même !

Quand il rentra le soir, son conjoint excédé trouva un appartement vide et son fils en train de jouer avec une nouvelle majorette : un camping-car bariolé. « On part au Cambodge, chéri ! » et le fameux « pop ! » du bouchon qui vole. Il fut traversé par l’envie de lui éclater la bouteille sur la tête.

« Virage à droite, 180° toute, pédale de l’embrayage à fond, vroum, passage de la 6ème vitesse, hop le nid de poule, heureusement que les amortisseurs sont en bon état, attention à l’obstacle, freinage d’urgence criiii, faudra penser à remettre du liquide de frein ! ». La route sera longue mais peu importe la destination, le chemin sera beau, il le savait.

Par Ariane

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Ariane décline ce mois-ci deux thèmes assez classiques en écriture : le changement de vie et les affres de la maternité/paternité au sein du couple. En revanche, elle construit ces thèmes « classiques » de manière originale, autour de ce camping car et de ce départ préparé en secret. Il n’est pas certain d’ailleurs que la façon dont Ariane met en scène les choses soit très réaliste, mais son style enlevé nous embarque quand même : on a envie d’y croire. Il y a une tonalité de fable, c’est presqu’un conte, en fait, et c’est aussi pour ça que l’on n’est pas vraiment gêné par le côté réaliste ou non, parce qu’implicitement, on accepte le côté métaphorique de l’histoire, qui ne parle sans doute pas « que » de cette femme et de ce couple, mais d’une manière plus large, de notre rapport à la vie, à la famille, au travail. C’est une sensation renforcée par le côté « boucle » du texte, je trouve, qui reprend à la fin les mêmes termes qu’au début, mais dans un autre contexte, comme s’il fallait conclure en nous montrant que ça n’est pas tant le contexte qui est important, mais la symbolique.

Je commence par un détail technique, Ariane : A titre perso, j’ai été étonnée, et même sans doute un peu gênée par ton changement de temps verbal. Est-ce un choix ? Ou juste ça t’es venu automatiquement comme ça et tu ne t’es plus questionnée? Les ruptures narratives grâce à changement de temps verbal, ça peut être très intéressant, mais là je ne suis pas sûre de la pertinence.

Pour le reste, j’aime beaucoup la façon dont tu manies, en début de texte, la notion de cliché, comme si cette femme avait l’impression de vivre dans un catalogue, ou dans un article de mauvais magazine féminin, malgré elle. Et je crois que je trouverais intéressant que tu gardes quelque chose de ça en fil rouge. De manière assez saupoudrée, juste une phrase par-ci par-là mais peut-être que quand elle commence à regarder les camping car, son fil joue aux voitures, et qu’à la fin, quand il partent, elle l’entend chanter une berceuse à la poupée à l’arrière, tu vois ? Avec un progression entre les deux, en passant par des activités moins « marquées » garçon/fille. On sentirait comme ça l’évolution du petit garçon comme un fil rouge de l’évolution de tout le monde. Puisque ton texte est assez métaphorique, je crois que ça renforcerait à la fois son propos, et sa construction.

Bonsoir Ariane.. Merci pour ton texte qui nous emporte assez loin .. .Petite voiture jouet qui fait déclic….Et une jeune femme énergique et décidée… Moi qui suis en mal d’inspiration, tu m’ouvres des horizons ! J’attends avec impatience ton texte retravaillé en fonction des conseils de Gaëlle….

Ariane,

Je suis fan. C’est frais, c’est léger. J’ai adoré : « En tout cas, son fils l’a attrapée, tel un voituro-virus. Pire que le papillomavirus, pas de vaccin possible. Cause génétique : testostérone, seul traitement possible : frustration. » Jolie interprétation et traduction.

Tu nous y embarques dans ton histoire. On te suit volontiers.

Tu nous présente une femme qui sait ce qu’elle veut et surtout ce qu’elle ne veut plus. Elle souhaite apporter un nouveau souffle à sa vie sociale, de femme, de couple, de maman. Elle prends les devants et ne se questionne même pas. Elle fonce. On sent qu’elle veut trouver une solution à cette situation qui n’est pas pérenne et qui aboutirait à un effondrement. Elle ose. Elle ne demande même pas l’avis de son mari. C’est un peu : c’est comme çà et pas autrement. Allez tout le monde part pour cette nouvelle aventure. On est une famille et on est unis. Et comme les sentiments sont là il est prêt à tout lâcher.

Et s’il avait dit non ? 😉

Super intéressant le côté « boucle » du texte, qui au départ met en scène le fils et sa voiture « jouet » pour camper la personnalité de la mère et ses réflexions sur sa vie… Elle, la féministe, prend conscience qu’elle ne vit pas selon ses valeurs à la simple vue de son garçon qui joue aux petites voitures (l’image déclenche en elle des réflexions et actions qui changeront le cours de sa vie)…
Comme Gaëlle l’a mentionné, il aurait été intéressant de revenir au fils au cours du texte et vers la fin, en laissant au lecteur l’image d’un petit garçon qui n’est pas si « stéréotypé » que ça dans ses jeux et goûts… Je crois que ça m’aurait fait sourire, que le petit garçon chante une berceuse à la poupée assise à ses côtés dans le camping car à la fin… Il y aurait davantage eu un fil conducteur entre le début et la fin…
Ça aurait démontré que tout n’est pas blanc ou noir dans la vie et que certaines décisions qu’on prend dans la vie sont basées sur des perceptions davantage que sur la réalité (tout est question de perception).

Merci pour ton texte Ariane! Bonne continuité!

la boucle qui est chez toi dans l’écriture plus que dans le scénario, avec la reprise du texte, donne vraiment un rythme particulier à ton écrit, je trouve. Finalement, on a le même paragraphe au début et à la fin mais avec un changement fondamental dans la vie des personnages et on ne le relit pas du tout pareil. Comme si ces 2 paragraphes étaient les 2 côtés d’une falaise et le reste du texte un fil tendu entre les 2 et ton héroïne jouerait à la funambule dessus. On retient un peu son souffle sur la fin: ça va passer, ça va passer, ça va passer…ça passe! ouf Merci ^^

Je ne peux plus commenter les écrits d’ariane, parce que je me répète à chaque fois. J’aime son originalité, son rythme. C’est un peu moins léger que souvent, mais très juste…quelle mère de famille n’a jamais rêvé de retrouver sa liberté 😉

ah ça pose la question de la liberté de chacun, aussi. Perso je trouve la manière hyper violente et heureusement que je ne suis pas son mari 🙂

Bon ben déjà un grand merci pour vos commentaires, j’ai l’impression d’être complètement vide d’inspiration en ce moment et j’avais honte en envoyant mon texte à Gaëlle… donc, déjà, ça m’a fait du bien de vous lire ;-)!
Pour le temps de narration Gaëlle, je ne me suis effectivement pas posé la question en écrivant. Et maintenant que je me la pose, je ne vois toujours pas trop comment m’y prendre, j’ai l’impression que ni le passé ni le présent ne convienne pour tout le texte… bref!
Sinon, l’idée du fil rouge du fils me plait bien, je vais essayer de concocter une 2ème version! Et on est d’accord Ann que c’est hyper violent 😉 (à la place du mari, je crois bien que je la lui aurais éclatée sur la tête, la bouteille ;-)). Mais je me suis imaginée un mari dont c’était aussi le rêve mais qui n’arrivait pas à se lancer, pris dans l’engrenage de sa vie quotidienne et une femme qui prendrait le risque de sauter le pas pour lui (aussi)…

voui voui 😉