Texte de Melle47 – « Du bleu plein les yeux » *

« Non, non, non, mais c’est pas possible ! Je rêve là. »

Oups, la belle est entrée, plus belle que jamais serrée dans son joli slim en jeans bleus pastel. Mais là, vraiment, que dire ? Elle vient de lâcher sa grande besace bleue qui tombe lourdement au sol. Elle écarte les bras comme pour embrasser l’espace puis cache tout à coup son visage. Mince, ses yeux, bleu orage, viennent de disparaitre derrière ses mains, je ne vois plus qu’une masse de cheveux bouclés couleur soleil dans un ciel bleu d’été printanier. Elle a l’air franchement énervée. Pourquoi ?

Elle écarte ses mains, regarde encore en faisant le tour sur elle-même. Qu’est-ce qu’elle est belle, y’a pas à dire ! Soudain, ses yeux bleus se posent sur enfin sur moi. Et je peux vous dire que là, tout de suite, ils sont bleu sombre, très sombre même. Et qu’ils lancent des éclairs bleus violents. Elle ouvre grand la bouche, grand ses yeux, toujours aussi bleus… Impressionnée peut-être ?

***

Non, mais c’est qui celui-là ? Visiblement c’est le peintre ! C’est surement ça. Ouais, pas de doute. Il est là, torse nu (et quel torse !) sous sa salopette bleue vieillie, un pinceau dégoulinant à la main. Il est plutôt beau gosse avec ses cheveux en bataille et ses yeux bleus… bleus radieux… si bleus… Ok, me dis-je, ferme la bouche et reprend toi. D’abord, Il fait quoi ici celui-là ?

« Eeeet, vous-êtes qui vous ? », je lâche enfin.

Il me dit qu’il s’appelle Vivian (la belle affaire !) que c’est Pablo, mon chef d’équipe – je suis décoratrice d’intérieur – qui lui a demandé de venir hier matin mettre deux couches de bleu dans cette pièce.

« C’est plutôt pas mal, non ? ajoute-t-il en faisant le tour sur lui-même. Pas mal, pas mal, pensais-alors… Pour finir, il plonge ses yeux bleus dans les miens, me sourit. Je fonds. Oui, je suis impressionnée. Bon, d’accord, pas par son travail. Je soupire…

***

Oui, elle est impressionnée, je vois bien que le spectacle lui plait ! Pas mon œuvre hein, entendons-nous bien. Elle est arrivée si furieuse et là, elle semble avoir perdu la chique. Je me marre mais je ne veux pas la mettre mal à l’aise alors je lui demande en haussant les épaules :

« Il n’est pas beau ce travail ? »

Ouh làaa ! Ses yeux foncent encore. C’est possible ça ? Couleur mer agité, très agitée même. Mais toujours aussi craquante ! Vraiment, je ne comprends pas. Elle ouvre grand la bouche (encore ?), grands les yeux, me menace de ses étincelles bleu cobalt sur mer houleuse, s’apprête à dire quelque chose et… Bzzz, Bzzz, c’est son portable cette fois qui lui coupe la chique. Elle fouille sa besace, sort un objet bleu élégant, se tourne vers la porte d’entrée, s’éloigne et répond. Difficile de détacher mes yeux, bleus joyeux, de son petit derrière bleu fier. Je soupire, me tourne à mon tour, en profite pour fermer ce fichu pot de bleu avant qu’il ne sèche. Je mets à tremper mon pinceau bleu azur dans l’eau déjà bien bleue. Je frotte mes mains pleines de bleu sur ma salopette bleue. « Tiens, c’est pas le même bleu !». Pendant ce temps-là, derrière mon dos, le ton monte. Je ne sais pas avec qui parle la Belle, mais elle explique que ça n’est pas possible, que c’est terrible et même intolérable. Elle fait de grands gestes avec ses bras en regardant les murs bleus de cette pauvre pièce vide ou ses mots détestables résonnent. Je la regarde amoureux. Elle est belle, même en colère. Mais enfin, qu’a-t-elle donc après ces murs ? Moi, je trouve ce bleu…juste parfait !

***

Je suis furieuse. Je tente d’expliquer à ma cliente le désastre et, faisant demi-tour, je tombe encore sur ce sourire en coin surmonté de ces yeux bleu lagon, couleur mer des caraïbes. J’ai chaud, j’en reste coite… (encore ?) Ressaisis-toi, je m’assène. Tu bosses là ! Je fini par raccrocher. Il faut que je tire cette histoire de bleu au clair !

« C’est quoi ce travail ? » je lui crache presque au visage, les poings sur les hanches. Ah, voilà qui est mieux dans le ton, je pense en moi-même !

Ses sourcils… (bleus ???) se lèvent juste au-dessus de ses yeux bleus beaux, beaux, beaux… Non, suis-je bête, il a de la peinture jusque dans les sourcils l’abruti. Ohhh, mais je perds la tête. Je divague. C’est trop de bleu là, ça me trouble…

Il me répond, étonné et même un peu en colère je crois : « Quoi ? Il est Si horrible que ça “ce travail”, comme vous dites ? ». Je frise l’hystérie. J’hallucine. Il est en colère. Et moi, alors ! J’attaque de nouveau : « ça n’est pas, “c’est quoi CE travail”, je crie, « c’est plutôt, « c’est quoi cette peinture” ? »
Silence… Ah, quand même ! Ses yeux, bleu océan des tropiques, virent au bleu gris, son sourire en coin retombe. J’en frissonne… Je lui ai coupé la chique dirait-on !

Il m’explique alors que Pablo lui a demandé de peindre “au mieux” – et c’est ce qu’il prétend avoir fait – les murs de cette pièce avec les pots de bleu entreposés au fond de l’appartement. Et il joint le geste à la parole en pointant de son pouce bleu, même pas bleu, là-dites pièce par-dessus son épaule… Non mais je rêve !

***

Tout à coup, elle lève ses beaux yeux, bleu électrique, au plafond, les cache derrière ses longs cils d’or, pose une main sur son front, secoue la tête. Elle paraît à bout, la pauvre. Mais enfin, qu’est ce qu’il a ce bleu ? Et puis ça n’est pas comme si c’était le premier mur que je peignais. Je refais le tour sur moi-même dépité. J’admire mon œuvre. C’est… lumineux, fabuleux, merveilleux… C’est même méticuleux comme boulot. Je me tourne de nouveau vers ma Belle. Ses yeux bleus, plein de doute, se posent de nouveau sur moi et d’une petite voix lasse elle me souffle : « La peinture bleue, vous dites ? ». Mince, elle me vouvoie là. Les bras m’en tombent… C’était pas tout à fait comme ça que j’avais vu les choses, moi !

***

Aaaah ! Il a perdu sa belle assurance, le peintre ! Je le vois tout surpris. Eh oui, ce bleu c’est pas le bon bleu mon vieux ! Je croise les bras, relève le nez, le toise et ajoute furieuse en fusillant ses yeux bleus chagrin : « Bah nan, c’est pas le bon bleu ! Et tu sais pourquoi Mr. Le peintre du dimanche ? Tu sais pourquoi ? ». Il baisse la tête, observe consciencieusement le bout de ses chaussures bleues dégueu.

***

Ouh là, là… J’en mène pas large. Tout ce que je voulais, moi, c’est me faire embaucher par Pablo. J’habite juste au-dessus. J’ai entendu dire qu’ils avaient besoin d’un peintre. Je voulais juste l’approcher, l’apprivoiser peut-être… C’est pas ma faute si ces yeux bleus, si impétueux, m’ont rendu fou !

***

J’exulte. Mr le Peintre a perdu de sa superbe. Ses yeux bleus délavés en témoignent. Bon, tirons ça au clair une fois pour toutes. Je l’attrape par la main pour le tirer à ma suite, direction la pièce du fond. J’ouvre la porte, me tourne vers lui. Son regard bleu minéral aimante de nouveau le mien qui tout à coup devient bleu enfiévré. Non, mais c’est quoi ça ? Je frisonne… Flûte, lui aussi…

***

C’est quoi cette sensation qui remonte mon bras ? Sûr, elle l’a sentie aussi. Je la regarde, elle est si belle et ses yeux bleus frémissants me donnent tout à coup bien chaud. Elle tire sur ma main. Je redescends sur terre. Mal à l’aise, elle pointe du doigt les pots de peinture.

« Voyons voir…Toi qui sait, Mr le Peintre. Dis-moi, quelle couleur, pour quelle pièce ? » lance-t-elle fièrement, les mains de nouveau sur les hanches.

« Ce joli rose, comme tes joues ma belle, pour cette chambre-ici ! » j’ose alors, lui lançant un clin d’œil bleu pétillant.

Ses yeux bleus s’oxydent de nouveau…

« Fait le malin, Mr le Peintre. Et celle-là, quelle couleur ? » poursuit-elle, levant un sourcil fulminant vers moi, tout à coup terriblement embarrassé.

***

Aïe, aïe, aïe, je pense alors, fermant mes yeux bleus éteints sur le regard outremer déchainée qui me fait face… J’ai comme l’impression de m’être fait prendre comme un bleu à mon propre piège…

« Nous y voilà, m’achève-t-elle. Tu n’es pas peintre toi. Alors, qui es-tu ? »

Elle triomphe, toujours aussi belle, le regard bleu brillant. Moi, j’abdique, prêt à prendre la foudre. Je montre le plafond du doigt et penaud lui dit simplement que je suis le voisin. Je suis foutu. Mes prunelles bleues perdues s’abattent au sol. Penaud, j’enfonce les mains dans les poches, rentre la tête dans les épaules.

La Belle pouffe : « Tu ne serais pas daltonien, plutôt ? »

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Melle47,

Bravo pour avoir mis en scène sur une telle longueur (ce qui n’est pas évident) ces 2 personnages dans une unité de temps, de lieu comme dans un huis clos. Ils s’observent, se cherchent. Ils jouent un peu au chat et à la souris. La fin est juste, délicieuse. Elle vient nous cueillir. Merci !!!

Super moment en lisant ton texte, drôle, enlevé. Bravo j’ai adoré les utilisations des bleus 🙂

Merci Francis, je suis ravie que cette chute te plaise… (J’avais un poil raté celle du mois dernier!) Après… j’avais dit du bleu plein les yeux… Voilà!
J’assume cette avalanche (c’est de saison!) de bleu et n’en retirerai aucun (je suis têtue!) et merci Marine pour ton soutien… et aussi merci Emije 😉

Bonjour Melle47

Ce qui a dérangé ma pupille c’est en effet trop de bleu, parfois je m’y perdais et avais du mal à saisir les nuances du texte.
Par contre ce jeu de va et vient était très chouette, enjoué entre les 2 personnages, drôle.

Je pense qu’avec moins de bleu, le texte serait alors un peu plus cours et délivrerait quelque chose de plus profond: un bleu marine peut-être.

Je n’ai pas compté le nombre de fois ou le mot « bleu » est cité dans ce texte. Mais à l’évidence, je job est fait : Il y a du bleu ! Je trouve très intéressant l’idée de ce dialogue intérieur entre deux personnes qui est raconté comme un jeu ou chacun se renvoie la balle. Un peu comme une danse. C’est la valse bleue …