Je me souviens des mains de ma mère.
Sûrement parce qu’elles m’ont longtemps manqué.
Elle avait cette manie de les tenir fermées, avec le poignet en flexion vers l’intérieur, comme pour se protéger.
Elle n’avait pas de jolies mains, elles étaient rêches, sèches à cause de son travail dehors.
Ca m’agaçait, je trouvais ça moche, pas classe…l’intransigeance de l’adolescence.
Ma mère n’était pas très «tactile» ni très tendre, elle ne pouvait sans doute pas donner au delà de ce que sa propre vie lui apportait…les fameux vases communicants.
Pourtant je me souviens de sa douceur lorsque j’étais jeune. Elle chantait, souvent, riait…et puis, elle me grattait le dos. Lorsque je la voyais assise, inoccupée, j’allais m’allonger sur ses genoux et lui réclamais:»maman tu peux gratter mon dos s’il te plait». J’adorais ça.
Plus je grandissais, plus elle semblait s’éloigner; s’éloigner du lien, de la tendresse… Je pouvais aller contre elle pour demander du réconfort, elle restait de marbre.
Idem plus tard encore lorsqu’elle venait me chercher à la gare lors d’un de mes retours «pour le we»; je montais dans la voiture, elle se plaignait de la circulation, ne m’embrassait pas.
J’ai essayé, de me lier à elle, comme je l’aurais aimé moi, comme j’en avais besoin. Ce fut en vain.
Plus tard, mes études terminées, devenue adulte, nous avons réussi, un peu, à évoquer tout ça: «je ne sais pas comment faire avec vous quand vous grandissez». Au moins c’était dit.
C’est peut être pour cela qu’elle eût 4 enfants. Moi l’aînée, et mes 3 petits frères. Je l’ai finalement toujours vue câline,maman, avec un petit dans les bras. Antoine mon plus jeune frère était contre elle en permanence. Dans ses bras il suçait son pouce et frottait son doigt contre sa lèvre supérieur comme si elle était son doudou. Nous en riions. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser dans ma logique de «grande fille» d’alors que ce manque de tendresse m’était destiné.
Adulte, j’ai donc pu savoir que non.
Au fil des années elle avait développé un tic. Elle s’était mise à dormir avec une vieille couverture venant de je ne sais où qu’elle frottait entre ses doigts. La couverture en était trouée et se disloquait en morceaux.
Ca nous faisait rigoler.
A cette époque là, elle ne riait plus guère. Nous la trouvions «à l’ouest», «déprimée», «sans entrain». Elle était de plus en plus distante. Nous étions sans trop de pitié, surtout mes deux plus jeunes frères qui vivaient encore à la maison et ne la lâchaient pas.
Moi je travaillais, je vivais mon premier grand amour, nous parlions mariage; je mettais ma mère et sa dépression, j’en étais convaincue, à distance.
Le week-end de Pâques de cette année là, je me retrouvais seule, mon amoureux ayant accompagné mon père et mes frères skier dans une station proche de chez nous.
Il fut donc convenu que j’irais chez ma mère.
J’étais heureuse, amoureuse, je me réjouissais de ces quelques jours avec elle. Je fis le marché, achetant ce qu’elle préférait, bien décidée à m’occuper d’elle entièrement.
Ce fut une catastrophe.
Elle n’était pas là. Ailleurs. Dans un autre monde.
Je passai ces quelques jours à la supplier de se soigner, d’aller voir quelqu’un pour sa dépression, de consulter un ostéopathe pour ses douleurs dorsales qui l’empêchaient de marcher correctement. Je me débattais, lui disant que si elle continuait elle ne pourrait pas s’occuper de ses petits enfants, qu’il fallait qu’elle se bouge, que la vie n’était pas finie, qu’elle était jeune encore.
Je sais maintenant qu’elle savait qu’elle ne verrai jamais aucun petit enfant…
Je suis rentrée chez moi avec une tristesse sourde collée au fond du bide.
J’ai continué de regarder les robes de mariée.
Une semaine plus tard, mon père, contre sa volonté la fit hospitaliser, elle avait développé d’autres symptômes. On ne parlait plus de dépression.
Je suis allée la voir le soir même, elle semblait sereine, apaisée. Elle me dit qu’elle se sentait bien ici, que les gens étaient gentils avec elle.
Elle avait soif, je lui passai un linge humide sur les lèvres. Enfin elle me laissait m’approcher.
Je lui dis que je reviendrai le lendemain, que je l’aimais, elle répondit qu’elle savait.
Il n’y eu pas de lendemain. Il fut brisé en plein vol à 6 heures du matin par une infirmière.
Ma mère était morte dans la nuit.
Toute la semaine je suis allée la voir, j’ai tenu des heures ses mains dans les miennes tant que je le pouvais.
Au moment de refermer son cercueil, nous glissâmes sa couverture entre ses mains.
Par PinkLady
PinkLady met ici en scène un duo mère-fille, avec les hommes qui ne sont pas loin, mais qui restent un peu en marge de la narration. C’est une danse de deux femmes qui se cherchent, ne se trouvent pas vraiment, se rapprochent ou s’éloignent au fil de la vie. Il y a du regret en filigrane, de la tendresse, du manque, de la colère, aussi. Affleure dans le texte toute la complexité que l’on attribue souvent à cette relation en littérature (et ce n’est certainement pas pour rien… !).
A titre perso, j’aime beaucoup la première phrase du texte. « je me souviens des mains de ma mère ». Mais je pense qu’elle pourrait être davantage exploitée dans le fil de la narration. Peut-être en la faisant revenir plusieurs fois au fil du texte. Peut-être également en accentuant les allusions aux mains de la mère au fil de la narration. Finalement, elles sont mentionnées en début de texte, ce qui leur confère un rôle essentiel, mais ne reviennent ensuite que de manière plus anecdotique. On pourrait imaginer, par exemple, que quand sa mère lui dit qu’elle ne sait pas comment faire avec eux quand ils grandissent, ses mains restent à plat sur la table de la cuisine, sans bouger, etc… On pourrait aussi imaginer un pendant avec les mains de la fille, qui tente des mouvements, qui tente de la toucher, mais en vain. Cela créerait un fil rouge plus net dans la narration, et accentuerait la perception que l’on a de la faille entre les deux femmes.
J’ai trouvé ce texte touchant car « brut » sans fioriture, ce que finalement laisse la place a beaucoup d’émotion. en effet, on aimerait en savoir plus sur les mains de cette maman empêchée d’aimer « vraiment »