Le mouvement
Quand j’avais vu son regard se détourner, j’avais su, direct. On n’est pas devine pour rien. Mais je n’avais pas bougé d’un cil. Ils étaient trop occupés à protéger mon propre regard.
Quand je m’étais réveillée au milieu de la nuit, et que j’avais touché le lit froid, à côté de moi, j’avais avalé le vide. J’avais digéré l’absence. Mais je n’avais pas pleuré. Mes larmes avaient tout juste fait de la buée, à l’intérieur. Alors certes, c’est un challenge, de faire de la buée avec ses larmes. Surtout à l’intérieur. Mais ça s’apprend. Y a des choses pires dans la vie qu’un lit froid. Je m’étais rendormie.
Au petit matin, mes yeux s’étaient ouverts sur son sourire. Le soleil qui filtrait par la fenêtre dessinait un triangle sur sa joue. J’avais voulu, un instant, en faire le contour avec mon doigt. Mon bras m’a dit non. Il fait chier mon bras avec ses ordres à la con.
Je l’ai écouté me raconter ses conneries, trouver des excuses, me dire que tout ce qu’il faisait il le faisait pour moi alors qu’il le faisait pour lui. Il se trompait, tellement. J’avais de la peine, je ne savais même plus pour qui. Je regardais sa bouche faire ses mimiques habituelles, je regardais le triangle sur sa joue, je regardais ses yeux qui cherchaient une ouverture, un endroit où passer. J’ai attendu que ça passe.
A un moment, j’ai mis mes tongs, j’ai fermé la porte, tout doucement, et mes pas ont pris le chemin de la plage. Ça sentait bon l’été, un mélange d’embruns, de barbecue et de monoï. Consciencieusement, bien comme il faut, j’ai étalé ma serviette sur le sable, comme si j’allais être notée là-dessus. Pathétique. En plus c’était pas une serviette c’était une tenture indienne représentant Ganesh. Bien le merci Ganesh.
La mer était fraîche tendance froide. J’ai fais la planche, longtemps, les yeux grand ouverts sur le ciel. Je n’arrivais pas à réfléchir. A l’intérieur ça s’agitait sévère. Je n’étais pas en colère, j’en étais bien incapable, je devinais la honte, la déception, le fatalisme, l’espoir, encore, et puis l’empathie, toujours là, bien en place, bien inutile, bien bête. Les pensées se bousculaient, tout se mélangeait.
Ça faisait des jours que mes émotions passaient au shaker. Et il avait beau me questionner, me supplier de lui parler, mon cœur restait muet. Comment dire ce qu’on pense quand ce qu’on pense est actuellement indisponible pour cause de secouage ? Comment formuler, choisir des mots, cette armada de machins qualifiants, coupants, définitifs ? Comment être juste, comment capter les nuances, les détails, quand c’est le bordel et que tout va à toute vitesse et que tout est changeant ? En plein feu d’artifice, en pleine tempête, je ne pouvais qu’attendre. Je savais que loin de sa bouche qui racontait des conneries loin de ses yeux qui cherchaient une ouverture, ça allait arrêter de s’agiter. Et qu’à ce moment-là, après avoir laissé reposer le cocktail, je saurais enfin quel mélange le barman m’avait concocté. Il fait chier le barman avec ses ingrédients mystères et ses cocktails à étages.
Peu à peu les mouvements tranquilles de la mer ont décrispé mes muscles. Je sentais mes cheveux danser autour de mon crâne. Je flottais, comme un bouchon livré au courant, n’offrant aucune résistance parce que soyons clairs, les bouchons ne savent pas faire ça. Je repensais aux conseils que je m’étais auto-livrée avant de partir. Laisse les relations aller là où elles veulent aller, je me disais. Arrête de vouloir les tordre pour les amener où tu veux, alors que tu sais même pas où tu veux qu’elles aillent, arrêtons de nous mentir. Laisse-les errer, suivre un chemin un moment, avant de bifurquer pour un sentier de traverse. Laisse-les flotter, s’accrocher à la branche d’un peuplier, et puis prendre de l’altitude, chanter à tue-tête avant de s’éloigner. Laisse-les se perdre, et réapparaître, au détour d’un nuage. Pourquoi priver de sa liberté cette relation si spéciale, si unique, si farouche, je me disais. Quel bordel. Je regardais les nuages filer au-dessus de moi, je sentais la mer immense tout autour, je mentirais si je prétendais qu’aucune larme ne s’était mélangée à la mer, à ce moment-là.
Par Carolalune
Voilà un texte sur le mouvement « intérieur », quand ça brasse en dedans. Il y a de très jolies formules, très parlantes, je trouve, sur ce mouvement incontrôlable et incontrôlé (« Comment être juste, comment capter les nuances, les détails, quand c’est le bordel et que tout va à toute vitesse et que tout est changeant ? »). Le texte est comme son héroïne, un peu « décousu », s’attachant parfois à de petits détails concrets comme la serviette de bain, parfois partant de grands questionnements existentiels. Et ce mélange est intéressant.
Mais comme pour le texte d’Ariane, il me semble ici que la force du texte est aussi un peu sa faiblesse. Ce côté un peu « dans tous les sens », qui est le reflet du ressenti de l’héroïne, n’est pas toujours simple à suivre pour le lecteur. Je pense qu’il serait utile de garder malgré tout une trame narrative un peu plus liée, que l’on ait quelques points de repères plus faciles à comprendre (qui est l’homme, quelle est l’origine des questionnements… A voir). Cela, je pense, n’enlèverait rien à la déconstruction « autour » de ces éléments, et il faut garder du flou, mais donner quelques infos permettrait qu’on accroche davantage au personnage, que l’on comprenne mieux son brassage intérieur, et que l’on soit davantage touché.
je rejoins Gaëlle sur le fait qu’on ne sache que trop peu du personnage, quelques éléments descriptifs sur sa personnalité, juste suggérés, m’auraient aidée à trouver des repères dans le tourbillon qui l’agite tandis qu’elle s’immobilise à l’extérieur, avant de reprendre vie peu à peu… Ou plutôt de se mêler au flot de la vie qui l’entoure, ce que j’ai beaucoup aimé….
A côté de ça, ayant expérimenté parfois ce genre de situation paradoxale entre le bouillonnement interne, décousu, et l’immobilisme physique que cela peut parfois entraine, je me suis bien laissée portée et quelques belles images sont nées dans ma tête en te lisant