Texte d’Ariane

Steven descendit du taxi. Ca y est, il était à Paris. Paris et ses Champs Elysées, ses boulangeries, ses grands couturiers, ses macarons. La ville lumière, les Français. Paris. Un rêve de gosse. Il sort de la voiture, attrape sa grosse valise. L’air moite sent la pollution et le goudron. Les automobilistes klaxonnent, des passants pressés le bousculent et pestent contre ses sacs qui envahissent le trottoir. Vite, il pousse la porte cochère et se lance dans l’ascension des nombreux étages. « Charmant studio tout équipé comprenant kitchenette, chambre et pièce à vivre. Appartement parisien typique avec vue sur la Tour Eiffel, au cœur d’un quartier vivant. ». Il avait beau ne pas être bilingue, c’était bien ce qui était noté sur l’annonce, il en était sûr. Il balaya la pièce du regard : un petit frigo, sur lequel était posé ce qui ressemblait à une plaque de cuisson. Un matelas étroit aligné contre le mur et des traces de moisissures sur le mur couleur taupe. Des fils électriques frôlant dangereusement les gouttes glissant le long de l’évier. Le tout devait faire 9m². Il soupira en pensant à la somme ahurissante qu’il avait déjà versée au propriétaire. Surement le prix à payer pour avoir une vue sur la Tour Eiffel. En toute hâte, il grimpa sur sa valise et ouvrit le velux : des immeubles à perte de vue, des bruits de circulation. Il faillit se faire un torticolis mais finit par l’apercevoir : une petite pointe d’acier entre deux immeubles.

Il n’avait pas compris ce qui s’était passé. Il pensait être au pays des libertés, dans la ville d’Yves Saint-Laurent et de Jean-Paul Gauthier. Il était sorti pour échapper à la chaleur harassante de sa chambre. Avait trop bu. Avait été dévisagé. Avait cru qu’on lui faisait du charme. S’était approché pour discuter. N’avait pas compris tous les mots échangés et le pourquoi de leurs rires. Avait accepté leur proposition d’aller dans une discothèque du Marais. Et le voilà la tête dans le caniveau. Les coups pleuvent au rythme des insultes. Ses dents cognent contre le trottoir et des éclats d’émail remplissent sa bouche, l’étouffant. Il avait essayé de se défendre. Il avait tenté de fuir. Il avait cherché à se protéger des coups, se recroquevillant. Maintenant, il voulait juste que la douleur s’arrête. D’ailleurs, il ne sentait plus grand-chose. Il devinait que les craquements réguliers qu’il entendait étaient le bruit de ses os se brisant. Il pensa au jardin de ses parents dans le Minnesota, à sa petite sœur qui courait. Il sourit une dernière fois. Il entendit le clapotis de la Seine.

Et merde ! Il raccrocha le téléphone rageusement. Il avait suffisamment de travail comme ça. La bande de pickpockets de la ligne 1 était revenue et ils avaient enregistré 30 plaintes, rien que dans la journée d’hier. Il n’avait rien contre les meurtres mais le fils d’un grand diplomate fraichement débarqué, ça sentait le moisi. Et bien sûr, ses inspecteurs n’avaient pas la moindre piste. Le gamin était là incognito et son portefeuille avait été retrouvé intact. Battu à mort dans une ruelle, ce n’était pas une bonne image à donner de la France. Il avait intérêt à comprendre très vite ce qui s’était passé mais il ne risquait pas d’avancer avec son téléphone qui n’arrêtait pas de sonner. Et il allait devoir trouver quelqu’un dans ce commissariat qui baragouine suffisamment l’anglais pour interroger ses proches.

– « Un homicide homophobe ? Vous vous foutez de moi ? ». Le divisionnaire s’étranglait au téléphone. L’affaire avait finalement été facile à résoudre. Le médecin légiste avait retrouvé un taux d’alcool important dans son sang et le premier bar du quartier avait été le bon : la serveuse se souvenait très bien de cet américain souriant, à l’accent et aux manières prononcés. Elle avait été étonnée de le voir repartir avec cette bande de mecs aux regards durs et aux sourires glaçants. Elle les avait entendus l’appeler le « suceur de queue ». Elle était physionomiste et proposait de faire des portraits-robots. Il rassura le divisionnaire : on allait retrouver les coupables.

– « Hors de question ! ». Déjà qu’entre les attentats et les grèves, le tourisme était en berne, passer pour des brutes homophobes sur la scène internationale n’était pas au programme. La DGSE allait reprendre l’affaire. Il avait le choix entre obtenir sa mutation à Versailles ou faire la circulation sur le rond-point de l’Etoile. Il raccrocha son téléphone. Il avait une bande de pickpockets à interroger.

Par Ariane

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Ariane nous entraîne ici dans un texte policier, c’est une histoire de « grandeur et déchéance » : à la fois de Steven qui rêvait de Paris depuis longtemps et y trouve la mort, et de ce policier finalement assez « flou » à qui cette affaire ne va pas réussir franchement. Les deux temps de la narration (Steven/policier) sont intéressants, ils permettent d’introduire un décalage de point de vue, de faire entrer des éléments qui auraient été plus complexes à mettre en scène si Ariane avait privilégié un seul point de vue, dans une narration plus linéaire. Par ailleurs, cela enrichit aussi le style du texte, le côté « romantico-dramatique » de la première partie étant d’emblée balayé par un côté « pragmatico-râleur » du policier pas franchement content de voir arriver ce dossier sur son bureau. Et ce texte au début dramatique devient plus enlevé, plus nuancé.

Je me demande, en revanche, Ariane, s’il n’y a pas un peu « trop » de choses dans ton texte pour la longueur qu’il fait. Il y a Steven, sa découverte de Paris, tous les petits détails qui font que le rêve n’est pas aussi beau qu’il y paraissait, mais ce n’est pas si grave à ses yeux. Il y a la soirée, l’alcool, la scène du crime. Puis la police, les pickopcket, le divisionnaire, la révélation que finalement, cet inconnu n’en était pas un l’explication du crime… Tu fais ça bien, Ariane, pas de soucis. Mais je crois que tu pourrais soit développer ton texte davantage (en sortant de la contrainte de longueur de l’atelier), soit faire quelques choix (et ça devient un autre exercice, mais intéressant aussi). Ça te laisserait plus d’espace pour « assoir » davantage les moments narratifs que tu choisirais. Je me demande par exemple si on a vraiment besoin de la scène du crime. Si tu laisses Steven après l’acceptation de l’invitation à aller dans la discothèque du Marais, et qu’on enchaîne directement sur le policier, on va comprendre ce qui s’est passé, il me semble. Et tu aurais plus d’espace pour développer le personnage du policier, par exemple. (ce n’est qu’un exemple de choix possible, il y en a plein d’autres, évidemment !)

Bonjour,

J’ai trouvé ce texte bien construit et très intéressant. Je trouve que la scène du crime est très bien écrite. On ressent terriblement la violence. Tristement nous avons beaucoup écrit sur les attentats et malheureusement votre texte fait écho à un nouvel événement tragique.
J’aurais aimé que la fin soit aussi approfondie que tout le texte et que l’on comprenne mieux les différentes imbrications. Cela s est terminé trop rapidement, pour moi, mais sans doute les contraintes de caractères jouent aussi.

Je suis impressionnée de voir comment à partir d’un thème des textes de genres très différents apparaissent (poétiques, poésies…) et j’apprécie aussi ce genre policier. J’aime bien le fait d’avoir plusieurs voix dans un même texte… et le thème raisonne douloureusement avec l’actualité.

Petite confidence: c’est pour ça que j’adore les ateliers d’écriture. C’est parce qu’à tous les coups (ou presque) ça marche: on lance une seule proposition d’écriture et on récolte… Plein de trucs chouettes et différents!

Je le découvre… et je trouve ça intéressant et impressionnant! Correction ; je voulais dire « poétiques, policiers, fictions, chroniques, etc… » Et aussi avec des styles différents. Je devrais me relire!

J’ai commence à lire le texte un peu « légèrement », avec un petit sourire en me disant que c’était exactement le classique Paris qui déçoit et ce que j’avais vécu il y a plusieurs années.. Et du coup je n’ai pas vu arriver l’horreur, la scène arrive très vite et je l’ai trouvée très réelle et donc très choquante. J’ai eu du mal à me concentrer sur la fin, et effectivement je rejoins l’impression de Gaëlle qu’il y avait peut être trop d’informations.
En revanche personnellement je n’abregerais pas la scène du crime qui, je trouve, donne beaucoup de force et de réalisme au texte

J’ai bien aimé l’histoire, les 2 tempos, les 2 ambiances, et le style ( comme d’hab Ariane 🙂

Merci beaucoup pour vos retours!!
Je suis d’accord pour le côté « speed » et les événements qui s’enchaînent, j’ai eu du mal à rentrer dans la contrainte du nombre de caractères et j’ai dû être synthétique ;-). Je pourrais en effet développer davantage mon texte (notamment le personnage du policier).
Effectivement Gaëlle, je pourrais tout à fait passer sous silence l’agression et laisser le lecteur la supposer / deviner. Ce serait moins « glauque » mais je me dis aussi que c’est ce qui rend le texte plus « marquant », bref, j’hésite :-).
Il faudrait aussi que je reprenne la fin apparemment mais je ne sais pas trop comment. Bien qu’un peu abrupte, ça me semblait clair pour moi : le policier choisit de se ranger aux désirs de sa hiérarchie qui étouffe l’affaire pour éviter une « mauvaise pub », les coupables ne sont pas recherchés. Mais vous êtes plusieurs à avoir le même ressenti de fin inaboutie donc il faut que je planche dessus!

Oui, la scène de crime a une force certaine. C’est un choix, après, la laisser ou non. ça ne peut appartenir qu’à toi. Je fais partie de ces gens qui trouvent assez facilement l’ellipse plus « forte » que la description, sur les trucs un peu horribles, mais ça c’est très perso. Et Puccini aime cette scène, preuve qu’il n’y a rien « d’absolu » en écriture.

Ce qui m’a semblé confus, à la fin, à titre perso, c’est que je n’ai pas tout à fait réussi à me faire d’idée sur qui prenait la décision: sa hiérarchie, ou lui-même? J’ai imaginé un vieux policier bougon que ça saoûlait d’être dérangé par un truc ingérable, mais il y a le divisionnaire qui s’étrangle… Et je ne m’y suis pas tout à fait retrouvée, du coup.

J’ai beaucoup aimé ton texte Ariane (enfin comme d’hab quoi, j’aime beaucoup comment tu écris !). J’aurai aimé aussi avoir une fin plus développée, je crois que c’est parce que je me suis laissée prendre dans l’histoire et que j’en voulais encore 🙂