Texte de Groux

La mer, quelle saloperie…

Flora avait décidé d’organiser un grand weekend pour que l’on se retrouve. Je passe mon temps au travail ou en réunion, quand je ne suis pas au téléphone avec des clients.

Impossible pour moi de déconnecter, il faut constamment que je vérifie mes mails, que je me tienne au courant des dernières avancées technologiques.

Au début, je prenais l’excuse qu’il fallait que je sois le meilleur dans mon boulot. Puis, petit à petit, c’est devenu une habitude, une addiction. Je ne sais plus faire sans.

Je suis encore en train de parler travail, alors que je voulais parler des vacances.

Bref, la mer. Mais qu’est ce qu’il lui a pris de réserver ce phare perdu au milieu de l’océan ?

Je suis malade en bateau, l’idée même de devoir affronter les flots me donne la nausée.

Elle n’aurait pas pu choisir un hôtel au Maroc ? Elle aurait eu tout le confort, des activités et moi j’aurais pu continuer à gérer à distance.

Je ne sais pas s’il y aura du soleil. Des vacances sans soleil, ce ne sont pas des vraies vacances. Qu’est ce que je vais raconter aux collègues en rentrant ?

Nous voici partis. Flora prend place dans le bateau. Elle s’accroche au bastingage et offre son visage au vent. Je ne vois pas ce qui peut la faire sourire autant, mais je ne veux pas lui gâcher son moment. Je n’avais qu’à m’investir dans la recherche de vacances, ça m’apprendra à lui faire confiance.

Le bateau commence sa traversée. Flora a pris un voilier où nous sommes seuls avec le capitaine. Elle aurait pu prendre un ferry, il y aurait eu un bar, nous aurions pu boire un verre. L’envie de regarder mes mails me démange, cela fait 3h que je n’ai pas regardé, je suis convaincu que je rate des affaires importantes. Mais le capitaine me parle.

La mer, quelle saloperie.. Le bateau se met à tanguer, j’ai la nausée. Je déteste l’odeur de l’iode. J’ai la peau poisseuse à force de me prendre les embruns.

Je ne souris plus, j’en ai déjà marre. Ce weekend promet d’être long. Je pense à tout ce que j’aurai pu faire, aux gens que j’aurai pu voir, aux dossiers que j’aurai pu traiter

Enfin nous accostons sur le phare. C’est encore pire que ce je croyais. Un bout de rocher et un phare jeté dessus. Rien d’autre. Je ne comprends pas ma femme. Je l’ai emmené dans les plus beaux pays, sur les plus belles plage et dans les hôtels les plus luxueux. J’ai tenté chaque fois de lui présenter des gens connus. Nous enchainons les weekends, les voyages, les vacances, les rencontres, les soirées. Et quand elle organise quelque chose, elle prend ce phare perdu au milieu de nulle part?

Je rentre à la suite de Flora et monte l’escalier en colimaçon. L’odeur est caractéristique de ces lieux trop longtemps fermés. Nous arrivons dans une petite pièce, le confort est sommaire. Une cuisinière, 1 table, 2 chaises et 1 buffet. Une petite chambre avec un lit étroit. La salle de bain est à l’image du logement. Rudimentaire. La visite du propriétaire aura été rapide.

Je décide de regarder mon téléphone. Pas de réseau. J’aurai dû m’en douter. Pas de mails, pas de messages, pas d’appels. Rien que l’immensité de la mer. Je me sens mal. La mer, quelle saloperie.

Flora s’approche de moi. Elle m’explique que les phares ont toujours été un rêve de gosse. Et m’annonce que ce weekend, une grosse tempête est annoncée. En disant cela, elle a les yeux qui brillent. La petite fille qu’elle a été transparait dans ses traits. Elle a toujours rêvé de voir d’immenses vagues se fracasser contre les rochers. Nous serons aux premières loges.

Elle sort des valises une bouteille de vin et de la charcuterie. Allume quelques bougies. Cette pièce spartiate prend d’un coup une atmosphère chaleureuse et intime.

Le tonnerre se met à gronder, le vent à se lever. J’entends le phare qui craque, trop longtemps malmené par ces innombrables tempêtes.

Je suis assis dans le seul fauteuil de la pièce et je regarde les flammes danser devant moi.

Flora se précipite à la fenêtre. Elle se retourne pour me dire de venir profiter du spectacle. Je la regarde. Ma femme est belle, je ne m’en apercevais plus mais toutes ces années sont passées sans la marquer. Une douce nostalgie m’envahit. Qu’est ce que j’ai fait de toutes ces années ? J’ai vécu à côté d’elle, me privant de ces doux moments. Je me lève et l’enserre contre moi, pendant que nous regardons les éléments se déchainer. Elle sent bon. Je voudrais que le temps s’arrête, que nous restions là pour l’éternité. Ce weekend promet d’être le meilleur de toute ma vie.

La mer, quelle magie..

Par Groux

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Voilà un texte un peu sur le même thème que celui de Sécotine. La vie actuelle, qui va trop vite, et puis un pas de côté « imposé » au départ, qui devient finalement un moment précieux, et l’occasion aussi de retrouver une complicité de couple. Comme chez Sécotine, la colère et le bouillonnement de première intention se transforment ensuite en tendresse. L’utilisation de la phrase imposée, façon « refrain » (la mer, quelle saloperie), puis sa transformation (la mer, quelle magie) transcrit parfaitement cette évolution.

Il me semblerait intéressant, pour « équilibrer » ce texte, de développer le personnage de Flora. Durant toute la traversée, il n’y est fait que peu référence. Je pense qu’introduire des petites remarques, sur le même mode que « Je ne vois pas ce qui peut la faire sourire autant », assez acerbes sans doute (car le personnage qui parle déteste cette traversée, alors que Flora a toutes les chances du monde de s’émerveiller d’être là), renforcerait la colère du personnage, et incarnerait plus pleinement Flora. On pourrait imaginer qu’il s’agace qu’elle s’émerveille de tout, même de petits détails anodins (« Et Flora qui trouve que l’écume, c’est beau. Non mais vraiment. », simple exemple). Et si Flora existe « mieux », cela nous rendra plus attachant encore le fait que ce couple se retrouve, puisque les deux protagonistes qui le composent seront pleinement incarnés.

On sent bien le désespoir du narrateur de devoir se déconnecter et d’aller passer un we dans un phare. C’est bien mené. Je trouve juste que le revirement est trop rapide. Peut-être amener des touches plus tôt. « Un bout de rocher et un phare jeté dessus. C’est vrai que ça a du charme. » ou « Pas de réseau. J’aurai dû m’en douter. Pas de mails, pas de messages, pas d’appels. Pas d’emmerdes non plus. »

Tout comme Nolwenn, une première partie de texte rondement bien menée, ensuite une fin un peu trop rapide…J’ai beaucoup aimé la dernière phrase « la mer, quelle magie »

Un chic type qui accepte de se plier à une lubie de son épouse! Mais même sentiment de frustration à cause d’une fin trop rapide. Il change d’avis trop vite, ce brave homme ! Mais on en revient toujours à la contrainte: 4500 caractères.

Difficile de faire vivre par les mots un changement d’état d’esprit aussi radical en si peu de mots, mais je trouve que tu t’en sors très bien ! La transition se fait tout en douceur, le retournement de situation se fait sans surprise mais après tout, il en avait bien besoin, cet homme… J’ai l’impression que nous sommes nombreux à avoir eu envie de franchir cette limite des 4500 signes ! Travailler à raccourcir un texte c’est intéressant mais aussi terriblement frustrant, et ton texte reste cohérent et vivant malgré tout, alors bravo !