Texte de Puccini

Ses doigts se serrent sur la pochette en kraft. Le panorama se délie sous ses yeux. Elle croque dans la chair moelleuse de son éclair. Son regard se fixe alors qu’elle avale la crème sucrée.

Pif paf pouf

Notre Dame se dresse sous ses yeux, majestueuse. La façade dentelée domine le parvis. Elle se souvient de cette sensation de grandeur la première fois qu’elle l’a vue. Rapidement, les méandres des petites rues l’ont plus intéressée, repaire de nombreuses soirées.

Il y a même cette fois-là où elle a un peu trop bu. Elle s’était laissé embrasser. Comme ça, un baiser volé, insouciant.

Le glaçage de la pâtisserie craque sous ses dents.

Pif paf pouf

La Tour Montparnasse attrape son attention, singulière. De cette géante, elle ne garde pas un bon souvenir. Elle s’est fait quitter. Tout là haut, là où la vue était aussi étendue qu’ici.

La crème a un gout un peu plus amer.

Du revers de sa manche, elle essuie le chocolat qui s’accroche au coin de ses lèvres.

Pif paf pouf

Au-delà des monuments, il y a ces rues que l’on devine, auxquelles on prête un tant soit peu d’attention. Ce ne sont pas forcément les premières que l’on retiendra dans l’Histoire mais ce sont celles qui ont marqué la sienne.

Il y a ce sentiment de liberté et de promesse qu’elle ressentait dans le taxi qui la ramenait de la gare de Lyon à son petit studio.

Les quais défilaient alors sous ses yeux. Il y avait cette enseigne de bistro, un peu vieillie, complètement anodine. Pourtant à chaque fois qu’elle en parcourrait les lettres, elle ressentait un souffle nouveau et l’énergie de tout accomplir.

Il en va de ces villes que l’on choisit comme d’un couple. Elles deviennent le pilier sur lequel on se construit, le matériau qui nous donne la force.

Cette ville l’a choisie. Ensemble, elles ont construit pas à pas une histoire commune, celle qui deviendra sa vie.

Elle se souvient de ses années étudiantes. « Profite, ce sont les plus belles années de ta vie » lui disait son père. Paroles de vieux, pensait-elle. Elle est donc vieille.

Elle se souvient de son émoi lorsqu’elle a pris le métro qui la conduirait à son premier jour de travail.

Sa meilleure amie l’avait attendue à la sortie, une rose à la main. Ensemble, elles avaient trinqué à cette nouvelle étape franchie. La vie s’offrait à elles, elles étaient prêtes à y sauter à pieds joints.

Elle se souvint de ce théâtre où elle lui avait donné rendez-vous pour la première fois. Ils s’étaient retrouvés sous l’arche de Saint-Denis.

La pièce était nulle, elle n’avait plu à aucun d’eux. Du coin de l’œil, elle l’observait, angoissée. C’est elle qui avait choisi cette représentation, qu’allait-il en penser ? Heureusement, les bières posées devant eux avaient vite fait diversion. Ils avaient parlé à bâtons rompus.

En rentrant, la pluie s’était abattue. Les pavés devenaient plus glissants mais ils avaient couru, riant et gouttant, se réfugier dans une bouche de métro.

Ce dimanche les avaient menés à partager leur premier appartement dans le 18 ème arrondissement. Le samedi, il attrapait son caddy et il partait au marché de la rue Ordener. Ils aimaient se retrouver pour un café comptoir sur le retour.

C’est là qu’ils ramenèrent leur fils quelques années plus tard. Ils étaient à l’étroit mais heureux. Basile fit ses premiers pas dans un square au milieu de toute la gaité et l’agitation générale.

Basile a grandit. Ils déménagèrent, juste en dessous du parc des Buttes Chaumont. Ils aimaient y pique-niquer. Combien de fois ont-ils fait le tour du parc discutant de la semaine de chacun, Basile récitant même ses tables de multiplication avec fierté.

Puis Basile grandit encore. Il eut l’âge des premières sorties, elle des premières insomnies.

Elle ne comptait plus les soirées qu’il passait rue de la Montagne Sainte Geneviève.

Puis Basile décrocha, à son tour, son premier emploi.

Le 13 novembre 2015, Basile mangeait l’un des meilleurs Bo bun de Paris. Le temps était clément pour un mois de novembre, le Petit Cambodge avait installé quelques tables en terrasse. Basile et ses amis ne s’étaient pas fait prier.

Basile avait toute la vie devant lui. Il avait toute une histoire à écrire avec Paris et avec tant d’autres. D’aucuns en ont décidé autrement.

Les larmes lui brouillaient la vue.

Elle ne pouvait pas finir son éclair.

Pif paf pouf

Elle le jeta dans une poubelle.

Qu’avait-elle à observer maintenant ?

Par Puccini

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Ici encore, l’intrigue du texte est construite autour des attentats de novembre dernier à Paris. Puccini nous propose un texte qui déroule deux histoires en parallèle : l’une simplissime, une femme qui mange un gâteau ; et l’autre plus complexe et foisonnante, l’histoire de sa vie, racontée en flash-back à chaque bouchée. C’est un procédé narratif qui fonctionne ici extrêmement bien : mêler l’anecdotique le plus trivial, au tragique le plus poignant, cela crée un effet de contraste, sans qu’il y ait besoin de surligner le trait. A la fois, cela ancre le personnage dans sa réalité propre, et à la fois, cela souligne la force de son destin. Par ailleurs, choisir une dégustation de gâteau comme fil rouge « concret » est intéressant : Puccini utilise la palette des saveurs, réelles ou ressenties, comme métaphore des émotions, et c’est parlant.

Puccini, puisque tu as choisi le gâteau comme fil rouge, je crois que tu pourrais creuser ce sillon-là. On pourrait tout à fait imaginer qu’au fil de la narration, au fil des époques, tu fasses des allusions à certaines gourmandises qui ont correspondu à ces instants (« à cette époque, elle s’offrait de temps en temps une tarte au citron de la boulangerie du coin, tellement réputée » ou bien « à cette période, elle préférait le saucisson aux gâteaux. Ça l’étonnait elle-même. Ça n’a pas duré », simple exemples bien sûr). En tissant ainsi ton texte de référence gourmandes, tu renforcerais je pense l’effet de chute, « elle ne pouvait pas finir son éclair » (peut-être même rajouter un truc du genre « plus rien d’autre ne la tentait davantage » ?), la cassure totale, la fin de la douceur.

Par ailleurs, cela permettrait éventuellement de se passer des « pif paf pouf », qui m’ont bien plu au début pour leur côté spontané, comme l’est la vie et comme le sont les pensées quand on se souvient… Mais dont je me suis lassée au fil du texte (ceci dit, ce serait intéressant d’avoir l’avis des autres participants, peut-être suis-je la seule à m’être lassée !)

J’ai bien aimé le fil rouge du gâteau… mais il est vrai que, comme Gaëlle, le « pif paf pouf » m’a un peu gênée, notamment du fait du drame en fin de texte.

oui je comprends bien la gêne du pif paf pouf
En réalité, je n étais pas du tout partie pour que mon texte prenne une fin tragique
Je pensais juste retracer l histoire d une femme avec Paris
J ai fait un grand virage en cours d écriture (qui m a complètement surprise ) et de fait tout n est pas parfaitement lié et adapté à la nouvelle tournure du texte

C’est très intéressant et riche, ce que tu dis, Puccini. ce moment où notre propre écriture nous surprend, nous échappe un peu. Il m’est arrivé de m’apercevoir, quand j’arrivais à une fin de texte (fin que je n’avais pas anticipée) que j’avais sans m’en rendre compte semé tous les éléments nécessaires pour que cette fin que je n’avais moi-même pas vu venir soit cohérente. C’est… Assez troublant! 😉

Après, quand effectivement l’écriture fait un virage par rapport à ce que l’on avait imaginé, il faut souvent un peu de temps (davantage qu’une semaine) pour pouvoir relire à tête reposée, et retrouver la cohérence « juste » du texte commencé avec une autre intention.

Finalement, ici, tu t’en sors plutôt bien, Puccini, il n’y a guère que ce « pif paf pouf » qui soit un peu dissonant.

moi justement j’ai bien aimé ce pif paf pouf, très léger comme ça, qui rend encore plus fort les éléments tragiques, par contraste : la vie et ses moments légers, et bam la réalité dur…j’ai aussi beaucoup apprécié l’esprit « cinématographique » de ce texte

Je suis d’accord pour l’aspect cinématographique. Et c’est bien que quelqu’un l’aime pleinement, ce « pif paf pouf », parce qu’au début, vraiment, il m’a bien plu… 😉

J’ai bien aimé ton texte Puccini avec le fil rouge du gâteau, surtout si tu le développes davantage comme le propose Gaëlle!
J’aime beaucoup la phrase « il eut l’âge des premières sorties, elle des premières insomnies » qui doit parler à beaucoup de parents à mon avis ;-)!

Et sinon, Gaëlle tu l’as déjà évoqué dans tes commentaires mais c’est intéressant de voir ce que le thème a évoqué à chacun. Parfois, je me dis qu’un retour global sur les points communs entre les différents textes, les questions communes que les écrits posent serait intéressant (non pas que je veuille te rajouter du travail Gaëlle :-p mais je me dis qu’un « espace » sur le site où on pourrait faire des commentaires généraux sur l’atelier, un peu comme tu le fais parfois sur facebook, pourrait être chouette!).

C’est une idée qui me plaît, Ariane, il faut juste que je réfléchisse avec mon informaticien préféré à la forme que ça pourrait prendre pour que ça ait du sens… On va voir si on y arrive!

Difficile d’être originale quand on arrive après tous les commentaires déjà mis ! Je rejoins ce qui a été, j’avoue m’être demandé la présence des pif paf pouf. J’ai aimé la légèreté du début et ai été surprise de la chute, mais dans le sens positif du terme. Je me suis dit que finalement, ça collait tellement à la vie, cette impression de légèreté et d’insouciance et ce basculement terrible qu’il peut y avoir à tout moment…

Oui, c’est très vrai, Groux, je pense que c’est aussi pour ça que le fil rouge du gâteau fonctionne très bien: ça a un côté trivial, parfaitement anecdotique, qui donne d’autant plus de relief à la seconde histoire dramatique, tout en l’équilibrant.