Sa première pensée à la sortie des limbes de son sommeil est pour les enfants. Pourvu qu’ils se réveillent le plus tard possible.

Une gueule de bois à côté de leur énergie bruyante est implacablement insupportable.
Pas question de devoir répondre aux interrogations mitraillettes de sa grande ou d’assurer les calins interminables du petit bonhomme avec un mal aux cheveux si cogné.
Mel veut juste retourner dans sa grotte. Enfin en trouver une, comater, seule.

C’est étrange pourtant, le soleil semble déjà bien haut , la maison est inhabituellement silencieuse. Suffisamment étrange pour qu’elle s’extraie du lit, chercher ce qui se trame et constater que l’appart est vide.
Leur père a du les emmener au parc, il connaît son état post soirées entre amis.

Bonheur de se prélasser tranquille qui devient vite inquiétant, alors que la cloche a déjà sonné l’heure du repas dominical des banlieusards. Et personne qui répond au téléphone.

Mel décuve, un peu dopée par l’adrénaline générée par l’inconnu de ce dimanche, saute dans son uniforme slim Uggs gros gilet et part à leur rencontre.
Pas un pékin dans les rues…pas mieux au parc…elle a beau être encore embrumée , Mel sent le bizarre de la situation.

Alors elle crie.
Un truc primal, du fond du gosier. Ca résonne dans la ville, retombe comme un soufflé. Personne ne réagit.
Lui revient en mémoire un épisode de la 4ème dimension : 2 personnages errant, revenant sans cesse sur le même chemin, dans une ville vide ; qui étaient en fait les poupées d’autres humains géants. Faisant ressurgir au passage la douleur pulsatile dans son cerveau, elle secoue frénétiquement la tête, refusant l’idée d’être manipulée par quiconque.
Mais ça ne fait revenir ni passant ni traffic.
Tout ce silence est maintenant lourd, il la cerne, pèse sur ses épaules.
Elle déambule dans les rues, mi hargarde mi perplexe. Partout même constat. Elle en vient presque à souhaiter croiser un zombie. Puis se dit qu’il va falloir arrêter les séries, qui semblent être sa seule référence culturelle. Même quand tout bascule, son cynisme n’est jamais très loin.

Alors Mèl enfourche son vélo de bobo. L’inquiétude lui donne l’énergie de pédaler jusqu’a sa proche capitale. En ne croisant aucun véhicule.
L’interrogation fébrile se mue subrepticement en sourire.
Pas de bouchon porte d’orléans?!! Elle peut griller tous les feux rouges sans vergogne.

Pas de trouducs qui bloquent les croisements en forçant le feu orange, elle roule au mileu des voies.
Pas de portière brutalement ouverte ou de clignotant oublié qui risquent de la renverser ? Elle chante à tue tête « girls in América » dans la descente de saint Michel.

C’est à présent une allégresse enfantine qui l’envahit. La jouisseuse en elle déboule, et lui fait balayer le surréalisme de la situation. Puis accueillir dans une allégresse totale, le retour de ses fantasmes de fillette. Passer une nuit de liberté dans un grand magasin. Comment de fois , par le passé, s’est elle bercée de ce rêve pour trouver le sommeil ? Sauf que là, comme un cadeau de la vie, pas besoin de stratagème pour s’y faire enfermer. Il fait jour, Paris est à elle ! Le plus dur finalement , c’est de choisir.

Mel repense à la coupole du grand palais croisé à son retour de boite. Elle ira plus tard. Sans plus tergiverser, elle prend la direction du Bazar de l’Hotel de ville.

Se saupoudrer d’un parfum haute couture. Se dessiner une bouche enfin gourmande de féminité avec un rouge puissant d’un étui siglé. Se parer d’une combinaison bustier, noire, juste bien coupée, qui laisserai affleureur la nature de son charme. Etre cette autre tant rêvée mais jamais assumée.

Farfouiller au rayon des jolis carnets, dénicher un stylo à la plume délicate pour y poser des mots de sa plus belle écriture. Monter sur la terrasse, déguster la plus douce des tartes au citron accompagnée d’un chaud thé Mariage. Embrasser la vue. Savourer Paris.
Se vautrer dans un king size moelleux. Se fondre dans l’histoire et les personnages d’un roman savamment choisi après de longues heures à chercher le bon.

Voilà tout ce à quoi elle aspire.
Du temps pour elle.
Donc face à elle.
Ce qu’elle fuit avec fureur dans chacune de ses sorties où elle se perd en s’étourdissant. Elle est là, libre.

Mais son bonheur est brutalement triste.
Ce « bonheur qui ne vaut que s’il est partagé ». Foutu Christopher McCandless. Foutu Sean Penn. Là tout de suite, elle les veux ses kids. Elle la veut la litanie des questions. Tout comme elle veut rassasier de ses bras autant qu’il en aura besoin.
Et des larmes coulent, d’un flot profond et continu. Longtemps. Des heures peut être.
Et c’est une sourde fatigue qui emporte Mél.
Qui sombre sans même se demander à quoi ressemblera demain.

Par Schiele