Texte de Schiele

Quand Penny reprend ses esprits, sa première pensée lui sussure qu’elle est folle ou du moins inconsciente. Elle ne connaît Antoine que depuis une poignée de semaines, et elle lui a fait confiance, elle s’est laissée embarquer dans un de ses nombreux délires, qui jusque ici l’ont enchantée. Mais de là à accepter d’ingurgiter un somnifère pour l’assurance d’ une « surprise totale »!!!

Il lui a vendu l’aventure en peu de mots. La force de son entrain, son regard qui l’enveloppe d’une tendresse qu’elle ne peut pas inventer, et son sourire solaire l’ont convaincue en quelques minutes. Et voilà qu’elle se réveille dans un endroit inconnu..

Plongée dans l’obscucrité, la tête lourde, quelle drôle de façon de commencer sa 32ème année d’enfin- plus- galérienne-de-l’amour ! Le corps et les idées engourdis, Penny se réveille totalement.

Elle laisse quelques secondes passer, mais le noir est total, pas moyen de savoir où elle est. Seule la douce mélodie du Frozen World d’Emilie Simon rend l’ambiance rassurante. Un psychopathe projetant de la dépecer ou de revendre ses organes au marché noir n’aurait pas pris la peine de jouer son morceau préféré.

Penny se redresse en prenant appui sur ses paumes, qui rentrent en contact avec un doux velours. Elle était donc allongée sur un canapé, pareil à celui de son enfance, celui où elle aimait tant se vautrer les pieds en l’air, la tête en bas, un club des 5 entre les mains. Cette sensation familère continue de la mettre en confiance.

Ses sens reprennent leur droit , et c’est le subtil parfum du lilas qui vient lui chatouiller les narines.

Une douce chaleur envahit alors spontanément son ventre, rappel buccolique du jardin familal et sa délicate mais trop éphèmère floraison, souvenirs de printemps toujours trop fugaces.

En fond olfactif toujours, le bois. Confirmé par le bruit de planches qui craquent sous ses pieds explorant l’environnement inconnu. Un baillement sonore détend sa mâchoire. Penny étire ses bras en l’air qui , surpris, heurtent un plafond.

Puis elle les tends en avant comme une somnambule, Elle avance prudemment et recontre après 3 pas un mur, rêche, y colle son nez, encore du bois, l’ausculte, épais.

Elle longe le mur, sur la gauche , des étagères y courrent, du sol à ce plafond curieusement si bas. Pleines de livres, de tous les volumes. L’excitation la gagne.

Si la lumière s’allumait on pourrait voir un immense sourire faire rayonner son visage qu’elle croyait si brouillon avant Antoine. Elle en sort un, le colle à ses narines, et y reconnaît l’effluve du vieux papier. De tous ceux qu’elle sort émane cette même odeur familière et surranée.

Elle continue, après 2 pans de livres, bute contre un épais tapis . Se penchant pour s’en dépêtrer, son index l’effleure et ressent les longs poils infiniment doux. Penny s’accroupit pour évaluer la « bête », il a l’air si grand et moelleux qu’on pourrait s’y lover.

3ème pan de mur, 2 chaises, une étroite table sur laquelle est posée une bouteille. Elle manque de la faire tomber, ses gestes ont toujours été aussi maladroits que son visage flou. Antoine la reprendrait s’il l’entendait penser ça!!! Juste à côté, 1 énorme verre ballon. Pas la peine de vérifier, elle sait déjà qu’il y a dedans du vin rouge, tanique,costaud. C’est donc bien vrai, il l’écoute quand elle ose parler d’elle.

Mais où est elle??

Le quatrième mur , juste à côté, est celui de la porte, qu’elle ouvre timidement, de peur de rompre ce moment si unique et irréel.

Ses yeux se plissent pour supporter un insolent soleil et distinguent une forme floue devant elle. Penny accomode, et se détache l’air hilare d’Antoine , les mains sous la tête, allongé dans un hamac de corde qui oscille au rythme de son rire.

La tête lui tourne, l’émotion la submerge. Entre gorge serrée et larmes qui hésitent à exploser. De joie ou de surprise? de stupéfaction ou de plénitude?

« Attention biche » lui lâche t’il quand elle esquise un pas vers lui, regarde où tu mets les pieds!

Penny bascule alors ses yeux éblouis vers le bas, et refreine un vertige. Entre les planches mal jointes d’une minuscule terrasse suspendue, elle découvre le vide sous ses pieds . Puis, rendues petites par la distance, en contrebas, les racines qui soutiennent le majestueux sycomore, au sommet duquel elle surplombe un horizon infini .

Une cabane, dans un arbre, avec une terrasse pour jouer à robinson. Tout simplement son rêve. Mais de ceux qu’elle pensait à jamais irréalisables.

Par Schiele

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Voilà un texte très « sensoriel », où le pari de supprimer la vue et de faire découvrir le décor par les autres sens, est tenu haut la main. La première partie du texte mélange des éléments très « concrets » et objectifs de description, le nombre des pas, le nombre des pans de mur ; et des éléments purement subjectifs de souvenirs ou d’impressions. Il y a des odeurs, des textures, la musique, on s’y croirait… C’est un texte tout en ressenti, comme cette femme qui semble découvrir des ressentis inconnus en s’autorisant et en s’habituant à être enfin « correctement » aimée. Je trouve à titre personnel qu’il se dégage une grande douceur de ce texte. Comme si finalement, cette crainte évoquée au départ n’existait pas vraiment. Comme si c’était juste un vieux reste, mais qu’au fond, Penny avait déjà accepté en vérité de lâcher prise et de faire confiance. C’est presqu’une histoire de résilience amoureuse, comme le dit la dernière phrase. Elle croyait ce rêve impossible, elle a finalement contribué à le rendre possible en acceptant de faire confiance. Nous avions discuté en off, Schiele, de ton envie d’écrire des textes moins noirs que ce que tu avais proposé sur des ateliers précédents : ce texte-ci est une très jolie manière d’aborder les textes plus légers !

J’aime beaucoup, pour ma part, l’insertion de la question en italique « mais où-est-elle ? ». Il me semble qu’il y aurait vraiment moyen de structurer le texte autour de questions en italique insérées régulièrement dans son déroulé, sans doute au « je » (« mais ou suis-je ? »). Ce pourrait être au début « suis-je folle ? » quand elle se questionne, etc… On pourrait ainsi faire évoluer ces questions au fil du texte (certaines pourraient être factuelles, comme « où suis-je », d’autres plus de type introspection façon « suis-je folle », ou encore en rapport à son histoire d’avant du type « pourquoi ai-je envie de sourire béatement, alors que j’ai si souvent pleuré ? » Etc…). Et peut-être que la dernière insertion de petite phrase en italique pourrait ne plus être une question mais une affirmation (« c’était mon rêve, il prend corps », ou autre), ce qui renforcerait la sensation que sa vie a réellement changé, et que c’est pour de vrai. Ces courtes insertions de questions/remarques au « je » seraient à mon sens une jolie façon de donner « vraiment » la parole à Penny et à ses ressentis.

Je me suis laissée emporter facilement dans ton texte Schiele et dans les ressentis de la narratrice. Et on retrouve ta touche habituelle avec la musique^^ qui permet ici de faire partir l’angoisse de ton personnage. J’aime bien l’idée de Gaëlle avec les questions en italique. Je pense (mais c’est une habitude chez moi ;-)) que j’aurais aimé avoir un peu plus d’informations sur elle, son passé, sa vie. Peut-être utiliser ses ressentis pour qu’elle se remémore des souvenirs / faire le parallèle avec d’autres éléments de sa vie ? Je ne sais pas si c’est jouable…

Je suis ultra fan de ton écriture Schiele, le rythme et l’énergie qui en découlent qui rendent tes personnages si vivants, si sensibles.
Je suis autant touchée par tes textes plus sombres que par le plus « positif » de celui-ci.
J’aime beaucoup ta fluidité qui me donne l’impression de danser en te lisant .

C’est une idée bien originale de mettre en avant le décor sans passer par la vue ! La fin est bien plus joyeuse que je ne l’attendais c’était donc une agréable surprise ! J’ai bien envie de passer un week end de printemps dans une cabane perchée maintenant 🙂

(Oui, moi aussi, j’aimerais passer un WE en cabane, c’est malin… 😉 )

Et je rejoins Pinklady sur la fluidité de ton écriture, Schiele, ce qui la rend très agréable à lire.