Texte de Trados – « Quand un vicomte… »

L’annonce n’est pas reproduite ici car elle est intégrée au texte.

Jean Delacher naquit à Coucy-le-Château, au Nord de Soissons, en 1896. Il resta fils unique.
Son père était bourrelier, sa mère modiste.
Ils vivaient heureux, dans leur maison accolée au château. En bas c’était l’atelier, qui sentait bon le cuir. En haut, l’une des trois chambres était consacrée aux chapeaux et falbalas colorés.

Jean eut une enfance joyeuse, choyé par ses parents et ne manquant de rien. Il était assez bon à l’école, et son gabarit lui évitait les noises. Il plaisait aux filles du village, tout en restant timide avec elles.
C’est haut la main qu’il obtint son certificat d’études. Malgré l’insistance de son instituteur, il arrêta là ses études pour rejoindre l’atelier paternel et équiper les chevaux de trait picards. Il continua de lire assidument et se chargea des comptes de la famille.

***

La tante Aurélie habitait au cœur de la Beauce.

Elle était petite et trapue, avec des joues rondes et rouges, des beaux yeux bleu pâle. Elle refaisait tout les matins son chignon poivre et sel, avant d’enfiler ses sabots pour vaquer à ses tâches multiples.

D’origine bretonne, elle avait travaillé dès son plus jeune âge comme bonne à tout faire dans des grosses fermes, ici et là. Sans être bien sûr instruite, elle était maligne. Sa sœur cadette, plus gâtée, avait elle été orientée dans la couture, avait épousé un bourrelier et s’était installée dans le Nord. Elles se voyaient peu, seulement pour les grandes occasions, comme la naissance ou la communion du gamin de sa sœur.

Aurélie s’était fixée à Fontenay un beau jour. Elle n’avait jamais été mariée, mais des hommes auraient pu témoigner qu’elle avait fait les quatre cent coups dans sa turbulente jeunesse.

Sa maisonnette au toit de chaume était la première à l’entrée Fontenay-sur-Conie, en arrivant d’Ohé. On la repérait facilement à cause des roses trémières qui poussaient naturellement en façade, année après année, sans qu’elle ait à s’en soucier.

Une fois le portillon grinçant ouvert, on entrait dans la petite cour où errait une douzaine de poules. Il fallait voir comme elles se précipitaient quand Aurélie, deux fois par jour, leur envoyait du blé, à la volée. Elle puisait des épis ou des grains d’une main depuis son tablier noir, maintenu relevé de l’autre main. Ses ressources étant maigres, son blé elle le glanait après les moissons.

Elle élevait aussi ses lapins, dans quelques cages grillagées, empilées contre le mur de derrière. La seule fois ou sa sœur et son beau frère était venus la voir, avec Jean qui avait 8 ans, le petit avait ouvert toutes les cages. Quel chenapan, mais tellement adorable !

Pour nourrir ses lapins, elle partait régulièrement avec sa brouette et sa faucille, le long des routes des alentours, pour couper les touffes de luzerne des talus, qu’elle faisait d’abord sécher (de la luzerne fraîche pour les lapins, c’était à coup sûr leur donner le gros ventre). Elle conservait son fourrage et ses récoltes dans une petite grange en bois à la toiture d’ardoise, un peu délabrée, à l’entrée du jardinet séparé des champs par un vieux grillage. Elle y cultivait quelques légumes et des fleurs. L’été, elle y cueillait des mirabelles et des framboises.

***

Arrive l’année 1914.

Jean a belle prestance, son mètre soixante-quinze le situe bien au-delà de la moyenne. Sa chevelure châtain tire sur le roux, ses traits sont rudes mais réguliers. Son regard franc, servi par ses yeux verts aux reflets noisette, fait des ravages, sans qu’il ait encore de copine officielle.

L’inquiétante réquisition en masse par l’armée de chevaux dans les fermes et les élevages freine d’abord leurs activités. Puis la mobilisation générale est déclarée début août.

Son père a été affecté aux chevaux de guerre pour le transport de munitions, il trouve la mort au front, à la bataille d’Arras, dès octobre.

Sa mère n’attend pas le retour de sa dépouille pour se pendre avec une longe à un crochet dans l’atelier.

Jean passe par des phases de déni, d’anéantissement, puis de fureur.

L’enterrement de ses deux parents a lieu le même jour, sous une pluie battante, en présence de quelques femmes et d’anciens du village. Du fait de la pagaille générale dans les communications et transports, personne de la famille n’y assiste, même pas sa tante Aurélie, d’Eure-et-Loir, que sa mère aimait bien.

Dès la fin de la cérémonie, il boucle son sac, ferme soigneusement les portes de l’atelier et de la maison, et va s’engager à la gendarmerie. Que faire d’autre ?

Oh, ce n’est pas la fleur au fusil, ou comme les conscrit de cet été « pour aller couper les moustaches à Guillaume ».

Il a juste 18 ans. Sa vie vient de basculer.

***

Jean est affecté au régiment picard d’Amiens, le 72ème d’infanterie. Après juste une semaine en garnison dans cette ville – le temps d’un examen médical bâclé et de la distribution d’uniforme, paquetage et arme – il gagne le front avec la 7ème compagnie du 2ème bataillon.

Plutôt taiseux au départ, il s’ouvre au fur et à mesure de son intégration. Tout le monde a l’accent picard, il retrouve quelques visages connus, de villages d’alentour. Ils se présentent : « Moi, je suis Jean, Jean de Coucy ».

La vie des tranchées le transforme rapidement.

Il se laisse pousser la moustache, pour faire plus viril.

Il commence à fumer, sans trop l’apprécier au début, le « gros cul » (il sourit en découvrant que cette appellation vient en fait d’un gros Q imprimé sur la bande du paquet). On lui apprend à culotter correctement sa nouvelle bouffarde. Ça fait au moins passer le temps.
Lui qui ne buvait pas prend sa première biture au pinard – le sang des poilus – toujours disponible en abondance.

***

Il s’isole dès qu’il le peut pour bouquiner. Il dévore la série des Jean-Christophe, de Romain Rolland, achetés à la hâte à Amiens avant de partir. C’est ainsi absorbé que le découvre un jour son Capitaine, François « Henri » Marie Carpentier de Changy, que cela interpelle. S’ensuit un échange sur le héros, ce musicien allemand qui incarne un peu l’espoir de réconcilier l’humanité. Ils enchaînent sur le romantisme, la complémentarité entre la France et l’Allemagne. C’est presque incongru dans cette tranchée, où on ne parle généralement que des « sales boches ».

Les poilus sachant lire, écrire et compter, sont une minorité. Peu après cette rencontre le capitaine en fait son ordonnance.

S’ensuivent trois mois de ce qui devient une complicité, voire une camaraderie, entre ce capitaine et Jean, encore simple soldat et vingt ans plus jeune. C’est miraculeusement comme un nouveau père pour Jean. Il en oublierait presque la guerre.

Il apprend vite que son capitaine est Vicomte, ce qu’il ne mettait pas en avant auprès de la troupe.

Au fil des confidences il découvre les arcanes de la noblesse française, se familiarise avec les titres, les familles, la noblesse d’extraction, etc. Tout un monde qu’il ne soupçonnait même pas, lui qui n’avait croisé à l’occasion que de la petite bourgeoisie, et seulement retenu le personnage du Vicomte de Bragelonne.

Henri un jour lui dit en riant « Toi aussi tu es un noble. Savais-tu que chez moi on surnomme les bourreliers marquis de la croupière ? Tous ces beaux métiers manuels sont nobles, ne l’oublie jamais. ».

***

Mais c’est toujours la « sale guerre ».

Le 22 février, le bataillon est au Mesnil-les-Hurlus, en Champagne. Il a pour ordre de charger à la baïonnette, en montant vers des tranchées allemandes bien défendues par un fortin. C’est une mission suicidaire, le capitaine confie d’ailleurs à Jean « Il y a quelques bataillons de sacrifiés, nous sommes de ceux-là », juste avant de mener la charge. Après quelques centaines de mètres il est frappé d’une balle dans l’œil et d’une en plein cœur.

Penché sur Henri, Jean chiale comme un gosse, pour la troisième fois de sa vie. Mais il se relève, serre les dents et court vers le fortin, en entraînant ceux qui n’ont pas été fauchés par la mitrailleuse.
Blessé légèrement, il recevra une citation, sera promu caporal.

Ensuite, les rescapés de son bataillon ne l’appelleront plus que « le petit Vicomte », en souvenir de leur capitaine mort en héros, et progressivement « le Vicomte de Coucy ». C’est un surnom qu’il assume et qui lui collera à la peau.

***

Le régiment de Jean continue d’être en première ligne.

Dans les périodes de calme, il écrit longuement à sa tante Aurélie, lui donne des nouvelles en essayant de ne rien dramatiser. Une correspondance s’est aussi établie avec la vicomtesse, veuve du capitaine. Elles deviennent ses marraines de guerre. Ses envois sont retardés par la censure, les réponses ont du mal à lui parvenir du fait de ses déplacements imprévus.

En avril ils sont dans la Meuse, dans la boue et parfois encore la neige. Attaques, contre-attaques, pilonnages d’artillerie sur les tranchées, les offensives allemandes s’y succèdent. À la fin de l’année le régiment aura perdu un tiers de ses effectifs.
« Le Vicomte » est nommé caporal chef.

Les villes, les crêtes, les lieux-dits, les jours et mois se ressemblent. Toutes les tranchées sont pareilles, la crasse est familière, le bruit des obus fait instinctivement baisser la tête de la même façon. Ils sont maintenant dotés de cagoules et de masques au groin de cochon, car les boches ont plusieurs fois fait usage de gaz chloré.

En 1916, durant un déplacement à l’arrière, il se fait photographier en tenue, pour sa tata. Il est entraîné un peu pompette au BMC par des copains. Son déniaisage ne lui laisse pas un souvenir impérissable (par contre la fille se souviendra toute sa vie d’avoir fait ça avec un Vicomte). Par chance, il n’attrape rien.

Il apprend par le courrier que Nivelle remplace Joffre à la tête des armées. Bof !

C’est Argonne en janvier, puis Verdun. En fin 1916, c’est St Hilaire en Champagne. Au printemps 1917, c’est la Somme, puis la Marne dans un froid exceptionnel, la neige recouvre tout. Sa section a été gazée deux fois, il commence à tousser et à perdre son souffle après des efforts.

Maintenant c’est Pétain qui remplace Nivelle. En majorité les poilus s’en foutent, quelques uns comme Jean reprennent espoir que ça finisse enfin, et que ce soit vraiment « la der des ders ».

***

Pendant ce temps là, Aurélie, maintenant, la cinquantaine bien tassée, s’est assagie, elle est même devenue bigote. Sa foi, probablement sincère ne l’empêchant pas de rester roublarde, elle tire un petit revenu de neuvaines, en priant par procuration pour la résolution des problèmes de fermières et bourgeoises des alentours, dont pour la plupart le mari ou un enfant est au front. Son chapelet ne la quitte plus.
Le bouche à oreille aidant, on vient la voir d’aussi loin qu’Orgères, ou même de Châteaudun.

Le manque de main-d’œuvre est énorme. On la sollicite de toutes parts, mais elle a déjà donné. Elle se limite à biner en avril les betteraves, à côté de vieilles et d’enfants, pour la ferme d’à côté. Elle y aide aussi en cuisine à la moisson.

Elle garde toutes les lettres de son Jean, où parfois des lignes entières sont raturées par la censure, elle essayer d’imaginer tout ce que ça cache. Les mentions de Vicomte lui échappent complètement. Elle imagine ce qu’il endure à partir de ce que lui ont confié quelques invalides réformés, au fil des années. Aurélie sait y faire pour tirer les vers du nez des hommes.
Une photo de Jean à ses vingt ans, en uniforme, est en bonne place sur le buffet. Qu’est-ce qu’il est beau ! Qu’est-ce qu’il a grandi ! Quand va-t-il rentrer ?

***

Jean est « verni », il s’en est sorti indemne. Il est maintenant sergent.

En juin 1917, toujours surnommé « le Vicomte de Coucy », il est au Chemin des Dames. En fait de dames, la section de Jean est terrée, bloquée sur une pente menant au plateau, leur objectif inaccessible. Ils sont pilonnés jour et nuit par les obus allemands.

Dans la nuit du 13 juillet des obus dégageant un nouveau type de gaz déciment sa section. Le gaz moutarde (plus tard appelé ypérite) est plus lourd que l’air, descend la pente, stagne dans les tranchées

Les survivants sont récupérés deux jours plus tard, sans souffle, les yeux collés, avec des cloques et des rougeurs sur la peau, même sous leur tenue. La plupart mourra dans les six semaines.
Après l’hôpital de campagne, Jean en transporté à l’Oratoire d’Amiens. Les médecins militaires s’avérant incompétents pour ce nouveau type de pathologie, après un long périple il arrive fin septembre dans un état épouvantable à l’hôpital St Bruno qui a été réquisitionné pour traiter le problème. C’est à St Laurent-du-Pont, en Chartreuse, ils ont l’habitude des tuberculeux, avec le bon air et la bonne altitude.
Il faudra six mois pour le requinquer.

***

Les premiers temps Jean somnole dans la journée. La nuit, au dortoir, tous ont des insomnies ou des cauchemars parfois bruyants.

Durant sa convalescence Jean a le temps de beaucoup lire et de parfaire son éducation.

Il adore les premiers romans de Colette, et surtout ses articles de journaliste sur la guerre (Bigre, elle a même été sur place à Verdun) et ses effets dans la société civile.

Il dévore les quotidiens de Lyon, et en cachette L’Humanité et Le Canard Enchaîné procurés par Louis, un infirmier manchot avec qui il a sympathisé. Louis est membre de la SFIC (section Française de l’Internationale Communiste).

Il disserte sur la situation en Russie, la révolution et de la guerre civile, la composition de la société française et la lutte des classes. Que Jean soit fréquemment appelé « le Vicomte » le fait marrer.

Jean dévore aussi Le Chasseur Français. Non pas qu’il compte se resservir d’un fusil un jour, même pour chasser, mais il y trouve de tout, découvre des outils et accessoires qu’il ne connaissait pas. Il n’a qu’un regard rapide sur la section des annonces matrimoniales, en fin de revue.

Il joue à l’écarté certains soirs, à la chandelle. Il apprend même à jouer au bridge whist avec des médecins qui cherchaient un quatrième.

On lui avait proposé au tout début une réforme N° 2, probablement pour s’en débarrasser. C’était rapide, mais il s’avérait que le malade aurait la triste consolation d’aller mourir dans son foyer sans pension. Jean, qui n’avait plus de foyer ni de revenus, refusa tout net.

On l’avait prévenu qu’une réforme N°1 – avec pension – imposerait un tas de démarches, avec maintien sous les drapeaux avant d’être éventuellement accordée. Qu’importe.
Suite à sa lettre à la mairie de Coucy pour les formalités administratives d’état civil, il est informé par la secrétaire de mairie (une se ses anciennes copines) que l’armée allemande qui occupait le château de Coucy l’a dynamité en le quittant, en 1917. Sa maison familiale a sauté avec. Il n’a plus aucun bien.

Jean se fait aider par Louis, et des médecins civils de St Bruno. Finalement, après examens, démarches, discussions et contestations, il est réformé catégorie 1, et quitte St Laurent-du-Pont un beau matin de printemps, en 1918.

***

Il rentre par une succession de trains de marchandises. Il a indiqué Voves comme destination pour son billet de retour gratuit, c’est la gare la plus proche de chez sa tante. Le costume qu’il porte, un peu trop court, on le lui a donné à son départ, c’est en fait un habit militaire teint pour la circonstance. Son baluchon ne contient que des sous-vêtements, des livres et des papiers officiels.

Il a en poche un maigre pécule, 490 francs par année dans une unité combattante. Ça ne représente guère plus de deux mois de subsistance.

Il meurt de faim, mais un coup d’œil à la devanture du petit restaurant en face de la gare de Voves est dissuasif. Rien au menu n’est attirant, c’est toujours la guerre, et malgré ça les prix lui semblent exorbitants. Inutile bien sûr de faire un détour aux Trois Rois, l’hôtel/restaurant de luxe local.
Alors en route ! Il n’a que quatorze bornes à s’appuyer, il en faisait parfois plus avec tout son barda.
Tout du long des lièvres batifolent dans le blé encore en herbe, pas loin de la route. Deux perdrix grises traversent à pattes devant lui et s’envolent bruyamment du talus. Il n’est apparemment pas resté beaucoup de chasseurs dans le coin ces dernières années.

À mi-chemin, il s’arrête boire à la pompe à eau publique de Fains-la-Folie. Il tourne sa grande roue pour l’amorcer tandis que des gamins se moquent, car il a tout l’air d’un trimardeur, pas d’un Vicomte.

Le voilà à Fontenay, il n’a pas ouvert le portillon qu’Aurélie sort en coup de vent de sa maison. Il l’avait prévenue à l’avance de son arrivée prochaine, elle était restée à guetter son arrivée depuis avant-hier.

Jean se penche pour la prendre dans ses bras. Leurs larmes coulent.

Aurélie est intarissable : « Mon petit, oh non, mon grand !»

Puis : « Je vais te préparer à diner. Ça te dirait une salade de pissenlits aux lardons, et une poule au pot avec des légumes de mon jardin ? J’ai aussi fait quatre quarts, c’est bon avec de la confiture de framboises. »

Elle n’arrête pas de parler. « Je t’ai fait ton lit dans la chambre du fond. »
Jean se doute bien que comme presque partout le lit sera trop petit, et qu’il devra s’y mettre en chien de fusil. Puis que comme il sera probablement trop mou, il finira la nuit allongé sur le sol.
Mais il sourit, béat, et embrasse de nouveau Aurélie. L’armée, c’est fini.

***

Les jours qui suivent Jean suit partout Aurélie. Pendant qu’il l’aide pour les bêtes ou à la cuisine, il doit tout lui raconter en détail.

« Alors tu a été nommé Vicomte puis sergent ? »
– Non tata, seulement sergent. Vicomte c’était un surnom, c’était pour rire. »

Il répare la porte de la grange, arrache des mauvaises herbes, fend des bûches.

Il en fait trop, trop vite, se met à tousser et doit s’assoir, à bout de souffle, oppressé. Aurélie s’affole. « Ne t’inquiète pas, c’est ma maladie. J’ai de l’emphysème, d’après les docteurs. Je t’explique : dans mes poumons c’est un peu cassé, à cause des gaz de cette foutue guerre. Mes alvéoles ne sont plus tellement élastiques, l’air reste bloqué et j’oxygène mal mon sang, qu’ils mon dit.»

Il la rassure : « Mais ça va, il suffit que je ne force pas trop. Bien sûr c’est plus compliqué de trouver un travail avec ça, mais j’ai un plan.» Aurélie réalise que ce sera aussi plus compliqué d’épouser une fermière, ce n’est pas le moment d’en parler.

De fait Jean se plonge dans des catalogues et des vieux numéros du Chasseur Français pour choisir et commander l’équipement « professionnel » qu’il a en tête.

Il s’offre d’abord un bicyclette Peugeot neuve. C’est un modèle « touriste », noir avec carter et filets dorés, cadre soudé à l’autogène. Il lui coûte 600 francs, mais c’est un bon investissement, qui devrait lui servir des années.

Il reçoit successivement de mystérieux colis, dont il déballe des scalpels, des racloirs, un rouleau de 100 mètres de fil en laiton diamètre 1 mm, des pinces coupantes, un petit marteau, des clous de tapissier, 10 kilos de gros sel, des clous tête d’homme, des punaises, deux tableaux en liège, 20 Putanges et 2 pinces pour maîtriser leur ressort, une corne de brume, des moules à terrine, un petit étau, des pinces à bec fin, une loupe, des fusettes de soies de plusieurs couleurs, des lots d’hameçons à œillet tailles 10 à 14 …

Il étrenne sa bicyclette pour rencontrer le bourrelier d’Orgères. C’est un vieil artisan, réformé en 1916, avec qui il sympathise. Il va plusieurs jours l’aider dans son travail et en échange se confectionne tout un jeu de sangles et des sacoches en cuir, sur mesures pour lui et sa bicyclette.

Finalement il parcourt les environs de long en large, dans un rayon de 20 kilomètres. Il reste mystérieux quand il dit à Aurélie qu’il fait des repérages.

***

Dés l’été 2018 Jean va de ferme en ferme.

Il annonce son arrivée dans le hameau ou le village en soufflant trois fois dans sa corne, puis crie « Peaux de lapin ! Peaux ! ». Il est accompagné par le concert des chiens de chasse, et des chiens de berger dans les plus grandes fermes (il se méfie de ces beaucerons, les bas-rouges, qui tirent sur leur chaînes à les péter pour attaquer les intrus).

Un sou c’est un sou. À la campagne dès qu’un lapin est estourbi d’un adroit coup de tisonnier derrière les oreilles, et dépouillé illico, sa peau, fourrure à l’intérieur, est remplie d’une poignée de paille de seigle pliée en deux, pour bien la tendre. Elle attend après, accrochée avec pas mal d’autres derrière la porte de la grange ou de l’écurie, le prochain ramassage.

Jean repère dans la cour l’allure du coq dominant. S’il est à son goût il demande qu’on lui réserve son camail quand il passera à la casserole.

Il en profite pour demander si le jardin ne serait pas des fois envahi de taupes. Si c’est le cas il se propose de l’en débarrasser, tend ses pièges aux bons endroits sur les galeries ou taupinières, et repasse le lendemain récupérer les captures.

Cerise sur le gâteau, de temps en temps son passage attendu se termine dans le foin ou la paille avec la fermière (pas dans son lit, ce ne serait ni prudent ni convenable).

C’est qu’il est beau le Jean, et qu’on manque d’hommes par les temps qui courent. Le bouche à oreille, après le bouche à bouche, colporte la rumeur qu’il serait même un vicomte désargenté.

On peut donc le croiser dans la plaine, luttant contre le vent courbé sur son vélo (en Beauce bizarrement le vent semble toujours venir de face). Il ressemble à une grosse boule recouverte de peaux en fin de tournée.

Une fois rendu chez sa tante, il trie les peaux par qualités et couleurs (les plus belles pour la tannerie, qui finiront en manteaux, les autres destinées à faire des chapeaux de feutre), et constitue des grosses qu’il ficèle dans la grange.

Puis il dépouille soigneusement les taupes (Beurk ! a commenté Aurélie au début), écharne leurs peaux, puis les cloue tendues à plat sur un tableau de liège. Il faudra 500 peaux pour faire un manteau, et jusqu’à 1 600 pour du haut de gamme en n’utilisant que des rectangles découpés sur le dos. Ces peaux sont aussi recherchées pour confectionner des chapeaux. La taupe est plus rentable que le lapin.
Les jours de pluie il confectionne des mouches artificielles pour la pêche, comme il l’a appris dans des articles détaillés, qu’il revendra aux magasins de pêche des bords de Loire.

Mais son autre source de revenus, moins visible, est braconnage des lapins de garenne. C’était une activité courante sur le front, et il était devenu expert, faim oblige.
Quand il passe en rentrant le soir le long des bois, il tend des collets tout préparés dans les coulées, mine de rien, en feignant d’aller pisser. Il les relève et les récupère au matin en début de tournée.
Parfois il prend aussi des lièvres avec des collets plus robustes, depuis de piquets de bois plantés le long de traces de passage régulier qu’il a repérées.

Son butin est dissimulé dans la journée au milieu de tout son attirail.

Il a quelques acheteurs discrets, des bourgeois et des restaurants. Il a « débauché » Aurélie, qui fait des terrines à tour de bras.

***

Le temps passe.

En novembre 1918, c’est enfin l’Armistice, mais le retour des soldats traîne, c’est la grogne dans les campagnes.

Au printemps la Charte du Combattant institue un droit à réparation aux anciens combattants et victimes de guerre. Jean n’est invalide qu’à 25%, il ne touchera qu’une pension de 600 francs. Les poilus se disaient avant « Les boches paieront ». Tu parles !

En 1920 l’inflation bat des records, la Bourse s’affole, des épargnants ayant cru aux placements à revenu fixe sont ruinés. Bien sûr ça n’affecte ni Jean ni Aurélie, qui poursuivent leurs activités.

Aurélie tarabuste maintenant régulièrement Jean pour qu’il se marie, joue les entremetteuses. En vain.

De temps en temps, quand la grange se remplit trop, ou que les sous viennent à manquer, Jean attelle une remorque et va livrer à la tannerie.

Il avait commencé par aller jusqu’à Château-Renault en Touraine, pour la réputation de la tannerie Tenneson, qui gardait une fabrication à l’ancienne au bord de la Brenne en employant exclusivement du jus d’écorces de chêne.
Ça faisait une trotte, l’obligeant à coucher en route. Là bas on lui avait gentiment indiqué l’ouverture d’une petite succursale, bien plus près au bord du Loir, à Châteaudun.
C’est là qu’il se rend désormais.

***

C’est en mai 1022 que Jean rencontre Igor à Châteaudun.

Il le croise d’abord à la tannerie. C’est un bel homme à la barbe fournie, très soigné. Il est aussi grand que Jean. On les présente brièvement, Igor s’avère être un des acheteurs de ses peaux après traitement, il est fourreur et costumier à Paris.
Jean part ensuite boire au café du coin, avec vélo et remorque, vite fait afin de rentrer avant la nuit.

Un bruit caractéristique de castagne le fait se retourner. Igor, en pardessus et chapeau élégant, fait face à quatre jeunes patibulaires, casquette sur le crâne, bâton et surin à la main, qui semblent en vouloir à sa bourse. Sa canne ne lui suffira pas contre ces agresseurs.
Jean a un peu pratiqué la savate en 1917, pour s’amuser, avec un vieux sergent-chef qui était avant guerre dans la célèbre Brigade du Tigre. Sans plus réfléchir il fonce dans la mêlée, éclate un nez d’un coup de pied, plie un agresseur d’un direct à l’estomac, en balaye un autre que Boris assomme avec le pommeau de sa canne. Le quatrième se carapate.

Jean et Boris se retrouvent attablés au café après toutes ces émotions. Jean est quand même anormalement essoufflé et s’en explique.

Boris ne cesse de le remercier, Jean rétorque « Buvons plutôt un coup ça nous requinquera ». Au jeune serveur un peu ahuri il commandent :
« Un bleu s’il vous-plait »
– Pour moi ce sera un jaune »

Et ils éclatent de rire, puis commandent plus clairement.

Jean s’est mis à l’absinthe, qui n’est plus interdite (comme dit Aurélie qui ne crache pas dessus non plus, ce n’est rien que des plantes). Boris, à défaut de vodka, s’est converti à l’anis Pernod, sorti depuis peu.

Tournée après tournée ils font plus ample connaissance. Il y a déjà un moment qu’ils sont passés au tutoiement.

« Après ton départ, on m’a dit que tu étais le Vicomte. Raconte-moi. »

Jean, gêné, ne dément pas mais élude un peu. Il questionne en retour sur les circonstances de l’arrivée de Boris en France.

« Comment as-tu fait pour parler si bien le français ? »

Avant de se séparer, Boris fait montre de sa reconnaissance démesurée, il invite Jean à passer chez lui une semaine à Paris, il le sortira, paiera tout (« J’ai les moyens »), s’occupera de tout. « Tu me promets de venir, hein ? »
Jean qui n’a rien vu de la Ville Lumière est tenté, il finit par promettre.

***

Igor Kravchenko était arrivé en 1918 pour fuir les massacres. Il parlait couramment le français, de par son éducation et parce qu’il était déjà venu en France en villégiature. Son intégration s’était donc faite de façon quasi naturelle, sauf qu’avant il était riche, et qu’il était arrivé quasiment démuni.
En 1922, à 40 ans, il a déjà fait son trou, comme on dit. Il ne travaille plus les pelleteries nobles – renards de toutes couleurs, zibelines, loutres de mer – devenues introuvables ou inabordables. Orthodoxe pratiquant quoique sans conviction, il collabore avec des russes juifs du Marais, apatrides comme lui. Manteaux, chapeaux, confection, puis costumes et décors de scène, son « empire » s’est diversifié et développé. Il a ses entrées partout.

Jean arrive à Paris à la Pentecôte, avec une valise modeste, mais en cuir, qu’il a confectionnée lui-même. Igor le récupère gare Saint Lazare. Après une chaleureuse accolade, il l’emmène en taxi chez lui, dans un immeuble bourgeois de la rue Daru, où il occupe tout un étage. C’est tout près de la plus grande église orthodoxe, aux allures de cathédrale

Jean découvre sa magnifique chambre, avec salle de bains en marbre attenante.

« Quand tu auras fait ta toilette et seras un peu reposé, tu pourras choisir ce qui te plait dans ma penderie. Ça devrait t’aller à peu près. Nous recevons ce soir. Demain je te ferai faire deux costumes sur mesures, je connais quelqu’un qui les livrera en moins de vingt-quatre heures. Inutile de protester, tu es mon ami et mon invité. »

Il y a une demi-douzaine d’invités, tous prestigieux mais inconnus de Jean, qui est présenté par Igor comme le Vicomte Jean de Coucy. Par égard pour Jean, tout le monde parle en français. Jean, d’abord contracté, tient bien son rôle sans aucune bavure.

Irina Maklakov, la sœur de l’ambassadeur de Russie à Paris (nommé en 1917 et toujours en poste après la révolution bolchévique non reconnue par la France), est assise entre Igor et Jean. Elle semble assez proche d’Igor. Elle est charmante, brillante, sa conversation est agréable. Jean boit ses paroles, tout en appréciant les mets délicieux servis par toute une brigade.

Elle mentionne à un moment « J’ai déjà rencontré un Vicomte, je ne me souviens plus de son nom, mais vous le connaissez peut-être. Il faisait partie de la délégation diplomatique accompagnant Poincaré en juillet 1914, lors de sa rencontre avec le tsar à Saint Petersbourg. Lui et son épouse sont restés, pour consolider l’alliance qui a fait que la Russie a déclaré la guerre à l’Allemagne. »

***

Le reste de la semaine est un enchantement. Igor l’emmène partout : Tour Eiffel, musée du Louvre, Galeries Lafayette.

L’éclairage public rend leur descente de nuit des Champs Élysées époustouflante et le dîner sur la Seine en bateau mouche inoubliable.

Boulevard Voltaire une boutique vend des postes de radio, diffusant de la musique émise depuis la Tour Eiffel. Jean tombe longuement en arrêt devant.

De la butte Montmartre il peut contempler l’immensité de la ville. Un chanteur des rues entonne à côté Nuit de Chine, que les badauds reprennent au refrain.

Ils vont voir les Ballets Russes à l’Opéra de Paris, avec au programme l’opéra-bouffe Mavra que vient de créer Igor Stravinski. Ils rencontrent le compositeur en fin de soirée, les deux Igor s’embrassent. Jean le complimente, il a été vraiment conquis.

À l’Alhambra ils vont écouter Georgel. Là, Jean n’est pas emballé par son interprétation de La Vipère du trottoir, encore moins par les paroles de La Garçonne. La salle est partagée, entre sifflets et applaudissements.

La semaine se termine déjà ! Ça a été un peu la fable du Rat des ville et du Rat des Champs que Jean a récitée à l’école, sauf que tout est resté parfait et que rien ni personne n’a troublé la fête.

Au retour Aurélie veut tout savoir, en détail, elle visite la Ville Lumière par procuration.
Son Jean est splendide dans son costume sur mesures, c’est un vrai Monsieur maintenant.

***

Tout en pédalant quelques jours après son retour, Jean cogite. Le vélo ça l’aide à penser.

Il vient de rencontrer toutes les facettes de la communauté des « Russes blancs ». Se souvenant aussi de tout ce que lui a appris Louis à St Laurent-du-Pont sur les « Russes rouges », il réalise que la politique ce n’est pas si simple, ce n’est ni tout blanc ni tout noir.

Traversant un hameau isolé au milieu des champs à perte de vue, il réalise que l’électrification des campagnes ce ne sera pas demain la veille.

Sa courte expérience du luxe lui a bien plus, mais ce n’est pas en continuant ses activités actuelles, ou même en restant dans le coin, qu’il y parviendra. L’ exemple d’Igor prouve bien qu’on peut toujours rebondir. Il faut qu’il y réfléchisse.

C’est à ce moment qu’il est doublé de trop près par une « Citron ». Il jure en manquant de basculer dans le fossé, et reconnait dans le nuage de poussière soulevé l’arrière en cul de poule jaune d’une Citroën C torpedo. C’est celle du seigneur local, qui réside au château de Cambray.
Jean est d’abord furieux, il jure puis réalise qu’au fond il est devenu envieux, jaloux, insatisfait de sa condition actuelle.

Il remonte en selle, et fonce pour se vider la tête. Il s’imagine au Tour de France qui va bientôt prendre le départ. Il se prend pour Robert Jacquinot, il a lu qu’il est en grande forme.

***

De son côté, toujours dans l’espoir de caser celui qu’elle appelle encore « mon p’tit gars », Aurélie lit laborieusement les annonces matrimoniales à la fin des Chasseur Français qui traînent à la maison.

Dans un numéro de l’année est déchiffre cette annonce qui la frappe :
« Orpheline distinguée, jolie, parfaite femme d’intérieur, qualités morales, épouserait gentleman fortuné, éducation impeccable, 35 à 55 ans. Mutilé de guerre allié ou veuf serait accepté. Joindre Photo ».

Ça collerait, sauf que Jean est plutôt du genre pauvre. Lui vient alors l’idée de le faire à l’envers : un parti attirant mais fauché qui ferait rêver des bourgeoises friquées. Jean lui a déjà raconté l’attirance de la noblesse qu’ont certains roturiers fortunés, dotant richement leur fille pour lui obtenir un titre.

Pour que son annonce soit alléchante, elle n’est pas à un peu de « menterie » près.
Aussitôt décidé, aussitôt fait. Elle va lui en faire une surprise à son Jean ! Elle en rit d’avance.
Elle prend sa bourse et fonce à la poste. Elle y concocte son texte, pas trop long parce qu’elle ne peut pas y mettre beaucoup de sous ni s’emberlificoter dans des détails. Elle doit s’y reprendre à plusieurs fois, sa copine la factrice, mise dans la confidence, doit lui donner un coup de main.

C’est ainsi que dans le Chasseur Français n° 388 du 01/07/1922 parait cette annonce – étonnante, maladroite et incongrue – qui pourrait bien pourtant faire basculer la vie du jeune Jean, de Coucy :

« Vicomte français, 25 ans, bien généralement, sans fortune, parents Russie sans nouvelles depuis 1916, recherche orpheline ou autre 18-24 ans, ayant forte situation. Photo. »

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Je n’avais ni expérience préalable ni repères. J’ai effectivement pris une approche formelle (2 jours de recherche préalable du contexte historique dans le détail, pour que tout soit authentique/vérifiable), avec le souci de pouvoir justifier tous les éléments de cette annonce imposée, à priori bizarre. Et le contexte du centenaire de l’Armistice a eu son influence.
Cela m’a conduit à une construction séquentielle, partant de très loin, en insérant des faits déjà collectés.
L’écriture ne m’a pris que 2 autres jours, sans panne de l’écrivain, et c’était effectivement jubilatoire. Une fois parti, c’était difficile de réfréner cette forme de logorrhée.
L’enchaînement inéluctable des faits, le déroulement de la guerre, sont en effet linéaires, jusqu’au passage à la libération, aux balutiements de l’autonomie et à l’arrivée de l’envie. Cette dernière partie mérite en effet un changement de style encre plus affirmé.
Le personnage de la tante, non prévu au départ, s’est imposé comme forme de balancier, et pour crédibiliser l’écriture de l’annonce finale.
J’ai tout de suite eu conscience d’avoir trop écrit, mais n’ai pas eu le courage à chaud d’épurer, je me suis contenté de corriger/reformuler ici et là.
Bien sûr ce texte aurait du être « peaufiné, j’ai eu peur de faire encore plus long et préféré attendre voss commentaires. Il a donc été envoyé tel quel très tôt (mes ennuis de messagerie ont fait qu’il est parvenu le dernier).
Je pourrais maintenant humaniser/enrichir le récit, probablement développer des pensées, remplacer des parties narratives par des dialogues etc. si les textes des auteurs présents/futurs de cet exercice ont pour finalité une publication. Je devrais même en couper des parties – ce qui à prori doit être assez douloureux.
Bref j’ai besoins de vos conseils d’amélioration ! Merci d’avance à toutes et à tous.
J’ai hâte de commencer l’exercice de début décembre.

C’est une belle plongée dans l’Histoire que tu nous proposes, on sent effectivement les recherches et le travail derrière. On entre bien dans ton récit mais j’ai trouvé qu’il y avait certaines « longueurs » à partir du moment où Jean est réformé. Peut-être parce que ton personnage m’est resté assez extérieur : il m’a intéressée et j’étais curieuse de la suite de l’histoire mais je m’y suis peu attachée, comme s’il y avait une certaine distance instaurée. J’ai du mal à savoir à quoi c’est dû : le choix des temps et ce recul pris sur ton écriture pour préserver la chute finale avec l’annonce ? le fait que tu partages peu ses émotions (bien qu’un peu plus à la fin de ton texte)? Je serais intéressée de savoir si c’est le ressenti aussi des autres lecteurs et si c’est volontaire de ta part.
En tout cas, bravo pour cette nouvelle, digne d’un roman historique !

Alors, avant d’aller plus loin dans mes remarques, j’en précise le contexte : quand je m’apprête à lire une nouvelle, qui plus est dans un atelier d’écriture comme ici, je me pose au calme devant mon PC avec une tasse de thé, et je me prépare à lire un texte court, deux fois : la première fois pour me laisser porter par le texte, et la seconde pour l’analyser plus en détail.
J’ai commencé à lire votre texte, Trados, et après quelques scrolls de souris, j’ai fait défiler le texte en vitesse jusqu’à sa fin pour juger de sa longueur, et… J’ai refermé ! Je n’étais pas prête pour ça ! Je m’y suis donc remise, mais différemment : nouvelle imprimée sur papier (ça faisait beaucoup de pages, dites- donc !) et bien installée dans mon canapé cette fois-ci.
Tout cela pour dire que, même si effectivement la longueur du texte m’a refroidie de prime abord, ça a plus à voir avec mon fonctionnement de lectrice qu’avec la qualité du texte (« c’est pas toi, c’est moi » → un peu trop éculée comme formule ?).
Le texte, donc : bien construit, avec une progression intéressante, et des personnage bien dessinés. J’ai quand même été, comme Ariane, un peu désarçonnée par le personnage principal : je n’arrivais pas à m’y attacher, pas dans le sens de le trouver agréable (les méchants, les médiocres, les vilains aussi sont des personnages passionnants bien sûr), mais dans le sens de le trouver intéressant. Son histoire est formidable et nous tient en haleine, mais… Pas lui. D’ailleurs, j’ai beaucoup apprécié la chute et le raccord avec l’annonce, mais même ce coup de maître n’est pas de l’initiative de Jean mais de sa tante!
Cela reste un avis très personnel, un ressenti subjectif, mais autant vous en faire part si ça peut vous aider.
A part cela, les idées s’enchaînent, peut être avec un manque de fluidité par endroit, notamment avec l’apparition progressive de nouveaux personnages qui viennent s’imbriquer dans la trame, mais sans que cela soit gênant : ça colle finalement avec le côté « saga historique ».
Dernière remarque, qui porte plus sur votre commentaire que sur votre texte : 2 jours de recherche et 2 jours d’écriture… Je suis verte de jalousie ! Comment faites-vous pour trouver tout ce temps ?! Pitié, si vous avez une astuce pour rallonger les journées de quelques heures, partagez-la !!!

Je me joins aux commentaires de mes « camarades » d’atelier. L’histoire m’a emmenée, la tante m’a touchée (beaucoup aimé cette femme, merci de l’avoir laissée s’installer dans votre histoire) mais Jean moins. Peut-être ce petit manque de fluidité.
Je suis bluffée par la méticulosité du détail dans votre récit, fruit de vos recherches, bravo. J’ai traversé une page d’histoire en accompagnant vos personnages tout au long de ma lecture.
Oui, oui dites-nous votre secret pour allonger le temps !!!
L’annonce en guise de chute m’a bien plu dans l’idée de partir de loin en glissant une allusion aux annonces matrimoniales du Chasseur Français pour finir sur la tante qui l’écrit. Ah la voilà l’annonce 😉

J’ai trouvé le texte un peu long (pour une nouvelle s’entend), même si je salie comme mes petits camarades le travail de recherche (surtout en si peu de temps). J’ai également eu du mal à m’attacher au personnage de Jean, qui ne semble pas habiter vraiment le récit. Je pense que l’emploi du présent y est un peu pour quelque chose, ainsi que le fait d’une certaine distanciation de l’auteur avec son héros. Même au moment de l’enterrement de ses parents, on ne le « sent » pas. Pour moi, il glisse un peu dans l’histoire sans vraiment nous attacher et nous retenir. Et pourtant les personnages autour de lui ont du corps.
Mais cette fameuse tante Aurélie ! Voilà un personnage qui a de l’épaisseur, un personnage qui « existe ». Je la trouve très attachante !
En terminant ma lecture, je me suis dit que Jean vit un peu par procuration : il tient son titre de vicomte de sa fréquentation d’un « vrai vicomte », peut-être que sa vie va basculer du fait de cette annonce, mais ce n’est pas lui qui l’envoie : c’est un peu comme s’il n’était que le spectateur de sa vie.
Donc, finalement, le héros dans cette histoire ? C’est Jean ou Aurélie ? Qui va voir sa vie bousculée par l’annonce ? … ah ah !

Merci de vos commentaires. Pour confimer l’impression générale, ma première lectrice a été ma femme, qui se demandait la raison de mon addiction soudaine. Elle n’a pas je crois fini de lire le texte et m’a dit « c’est barbant comme un documentaire » (d’ailleurs elle n’a pas dit « barbant »). Promis la prochaine fois je ferai moins long.
Jean n’est pas vivant (même s’il n’est pas mort), c’est un personnage à 90% imaginaire (les 10% pour mon grand-père revenu du front gazé) que je n’ai pas peaufiné. La tante est plus réelle car j’ai connu une personne comme ça.
Quant au temps consacré, pas de mystère (non, je n’écris pas depuis une prison). J’ai du temps car je suis un vieux retraité, j’ai 80 piges (c’est un mot désormais désuet).

Belle, belle écriture. Des phrases courtes, claires et des mots justes. Une lecture fluide et facile à lire. Oui, c’est long, je trouve aussi, mais bon, le premier atelier on a tellement à coeur de bien faire… (les suivants aussi, hein Francis, n’en doute pas)
Une belle, belle page d’histoire. Moi, j’ai pris plaisir à revisiter cette époque (voire apprendre des trucs! J’avoue!)
Tout se tient jusqu’au bout. Cette annonce n’était pourtant pas simple…
Génial, un poil chirurgical dans la progression des paragraphes et le côté « âme » de ton personnage mériterait certainement d’être étoffé, c’est vrai qu’on a du mal à; soit l’aimer; soit ne pas l’aimer (sans pour autant le détester). Mais c’est peut-être comme ça que tu voulais qu’on perçoive l’ensemble : juste comme un récit de faits?