Texte de Bénédicte – « La diseuse de bonne aventure »

Il y a longtemps – j’habitais alors place des Vosges, le quartier n’était pas encore ce qu’il est devenu, la librairie à l’angle de la rue du Pas-de-la-Mule n’avait pas été remplacée par une galerie, une vieille femme déguisée en gitane m’aborda alors que je rentrais chez moi. Je devais être très fatiguée ou triste, j’ai remarqué, c’est toujours dans ces moments-là qu’on m’aborde, mendiants ou témoins de Jéhovah, ça dépend du quartier.

Ce jour-là, c’était une diseuse de bonne aventure qui me demanda ma main. Elle voulait de l’argent. Je la lui tendis.

Je ne suis pas courageuse pourtant, je n’aime pas qu’on me touche, j’ai peur des autres et surtout, j’ai une hantise de la mort. Elle avait dû le sentir car elle me dit, après avoir parcouru les lignes de ma main droite de son index crasseux : « Vous mourrez jeune Mademoiselle, mais vous mourrez célèbre ».

Sur le coup, la nouvelle me mit de bonne humeur. J’étais jeune alors et, bien que taraudée par la mort depuis l’enfance, je préférais encore la célébrité à la vie. De toute façon, il fallait bien mourir un jour. Alors quitte à mourir, autant être célèbre, fût-ce post-mortem.

Les années passèrent. Je venais d’emménager rue Henner, non loin de la place Saint-Georges, décidément encore une place, dans un quartier vierge de tout souvenir, comme il avait dû paraître tel aux yeux des artistes qui s’en entichèrent à la fin du dix-neuvième siècle. Je mesure le temps qui passe à d’infimes détails, par exemple, le fait de ne plus pouvoir désigner le dix-neuvième siècle comme le siècle dernier. Une femme m’aborda dans la rue, alors que je sortais de chez moi, la même femme de la Place des Vosges, en plus jeune, en moins pittoresque aussi. Elle aussi voulu me lire les lignes de la main, je refusai, elle m’injuria, me maudit même, prédisant une fin atroce.

Sur le coup, je fus abasourdie. Si j’avais pu, j’aurais couru après elle pour m’excuser et la supplier de renoncer à ses malédictions. Je n’osai pas, de peur du ridicule et pourtant, on le sait, le ridicule ne tue pas alors que…

Maintenant, plus que jamais, je me demande laquelle des deux a dit vrai, la messagère de l’espoir ou la prophète du malheur ? Hélas, le temps joue contre moi. Plus il passe et moins la prophétie de la bonne augure est crédible tandis que l’autre durera, tant que je dure pour mon plus grand malheur.


Photo credit: nacho.kai on Visual Hunt / CC BY-NC-ND

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C’est bref, clair et concis avec ce qu’il faut de détail et une chute qui nourrit une réflexion qui au contraire va durer… durer… Merci.

Ne dit on pas que nos points de vue créent notre réalité? De nature optimiste, je garderai plutôt en mémoire le bon présage pour la fin de ton texte Bénédicte cela n’engage que moi bien évidemment… cela dit, bravo et merci

Bravo ! Un texte formidable. La chute , la cerise sur le gâteau . On en redemande.

J’aime beaucoup ton texte, et le dernier paragraphe…. même si je ne sais pas forcément dire pourquoi! Peut-être parce qu’il offre plusieurs interprétations, plusieurs réflexions…. et laisse une porte ouverte à toutes les possibilités..

Mourir jeune mais célèbre ou connaître une fin atroce? J’ai trouvé que ton texte avait quelque chose de poétique, qu’il était agréable à lire. Super dernier paragraphe , qui résume bien le temps ressenti de ta narratrice et qui boucle le texte de façon agréable pour le lecteur. J’ai trouvé cependant que les 2 prédictions n’étaient pas si incompatibles… Si on m’avait fait ces prédictions, je me serais probablement dit que j’allais connaître une fin atroce en tant que célébrité… Bravo et bonne continuité!