Texte de Groux

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.

C’est comme ça qu’on l’avait trouvée. Assise à même le sol, ses bras entourant ses jambes nues. Ses habits étaient déchirés, ses cheveux emmêlés, remplis de feuilles mortes et de brindilles.

Elle se balançait d’avant en arrière, les yeux hagards.

C’est sa voix ténue qui avait attirée les gendarmes vers elle. Après la découverte macabre, au milieu de la nuit, de ces 3 corps mutilés.

Plusieurs équipes avaient été dépêchées sur le terrain. C’était la 5ème fois en moins de 3 mois que le tueur sévissait. Le nombre de ses victimes ne faisait que croitre et aucune piste n’avait été concluante. Aucun témoin, jamais. Aucun indice non plus. Le tueur était méticuleux.

Et là, pour la première fois, cette fille. Elle avait dû pouvoir s’échapper. Quelque chose ou quelqu’un avait dû déranger le tueur, car il ne serait jamais parti sans l’avoir retrouvée et tuée.

Tous les hommes présents ratissaient la zone, espérant trouver un minuscule quelque chose qui aurait fait avancer l’enquête.

C’est en s’approchant d’un bosquet, qu’on avait entendu sa petite voix qui répétait comme une litanie cette phrase.

« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »

On lui avait mis une couverture de survie, on avait essayé de lui parler mais ses yeux ne regardaient personne. Elle psalmodiait ceci comme si sa vie en dépendait.

Les pompiers étaient arrivés et elle avait été emmenée à l’hôpital.

Il allait falloir la protéger. Les médias se jetteraient sur elle si sa survie fuitait.

Aux premières lueurs de l’aube, le capitaine de la brigade attendait à l’hôpital. Il fallait qu’il ait des réponses.

Il entra dans la chambre, les stores laissaient passer un mince filet de jour. Il la retrouva comme dans la forêt, assise sur son lit, les genoux repliés vers elle, entourés de ses bras.

Il avança une chaise vers son lit, sans parler. Il ne savait pas comment l’aborder sans être trop bourru. Il tenta un bonjour, qui resta sans réponse.

Alors il parla. Il expliqua les raisons de sa venue, qu’il savait que cela devait être difficile pour elle de parler, de raconter, mais que ceci était vital pour essayer de sauver d’autres vies, qu’elle était leur seul espoir.

Au fur et à mesure qu’il parlait, elle avait pris sa tête dans ses mains et reprenait son balancement, de plus en plus vite. Puis d’une voix rauque, elle se remit à répéter la phrase de la veille. « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »

Le médecin entra à ce moment. Il expliqua que sa patiente était en état de choc, probablement autiste et que cette phrase était tout ce qu’ils avaient pu en tirer lors de son examen. Mais qu’elle devait avoir un lien avec ce qui s’était passé au vu de la violence qu’elle pouvait mettre lorsqu’elle la répétait.

Le capitaine retourna à la gendarmerie, pensif et irrité. Cette témoin ne leur apporterait rien, il ne pouvait rien faire de cette phrase. Evidemment que, dans une forêt, il y avait des fleurs, des feuilles et des branches. Il faudrait peut être chercher le lien avec les fruits, car il ne se souvenait pas d’avoir vu des arbres fruitiers dans la zone du crime.

Il mettrait un stagiaire sur cette recherche, de toute façon, il n’avait rien d’autre.

Il s’assit à son bureau, essayant de recouper les différents meurtres et les informations glanées sur chaque victime. Elles n’avaient rien en commun, ne fréquentaient pas les mêmes lieux ni les mêmes personnes. Il devait bien y avoir un magasin où elles étaient allées, une marque de lessive, quelque chose qui devrait leur sauter aux yeux.

La ville était bruyante aujourd’hui, des voitures publicitaires venaient faire leur réclame et l’empêchait de réfléchir en silence.

Il se leva excédé pour fermer la fenêtre. Au moment où sa main touchait la poignée, il marqua un temps d’arrêt. Se pouvait il que ? Il tendit l’oreille, soudain sur le qui-vive.

Il ne rêvait pas, au milieu du bruit ambiant, il entendait bien cette chanson publicitaire : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Que l’on soit lundi, vendredi ou dimanche, venez donc composer votre panier, vous repartirez ressourcés et enchantés. »

Se pouvait-il que cette fille fasse allusion au conducteur de cette voiture ? Elle aurait pu l’entendre avant qu’il ne vienne enlever ces pauvres gens. Peut-être qu’avant de les tuer, il transportait ses victimes dans sa camionnette professionnelle et elle aurait entendu le slogan.

L’excitation monta en lui. Il sentait que les choses bougeaient enfin.

Il prit son téléphone et convoqua son équipe. Il fallait retrouver cette camionnette.

Par Groux

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Comme quoi la poésie mène à tout… Y compris à du polar/policier tendance noire, et j’adore cette idée de mélange des genres ! Je l’adore d’autant plus que tu as su utiliser les codes du noir, Groux, et que donc, on y est, d’emblée : le tueur en série, le gendarme sans doute brillant mais paumé, le témoin « fragile » ou « différent » qui donne des indices sans doute essentiels mais pas franchement compréhensibles en première intention, et puis le déclic… Je trouve que tu as fait un choix vraiment pertinent en ne racontant pas « toute » l’histoire, et en laissant l’éventuelle enquête/dénouement en dehors du texte. Sur ce format court, il aurait été compliqué de tout dérouler sans devoir un peu « bâcler » ou en tout cas appauvrir ton intrigue. Et puis peut-être que ce texte deviendra une chouette nouvelle noire un jour, va savoir… ! En attendant, avoir fait ce choix de ne raconter que le début te permet des petits « détails » qui sont très bien trouvés et importants, je trouve. Le stagiaire que l’on mettra sur une piste à laquelle on ne croit pas, la ville bruyante aujourd’hui, etc… Ce sont des éléments importants, parce que c’est toujours d’un détail secondaire que finit par émerger la vérité (ou en tout cas une réfléxion décisive) dans le polar, et c’est d’ailleurs bien le cas ici. C’est presqu’un exercice de style, et il est fort bien mené.

Je crois, Groux, qu’il serait intéressant que tu construises ta narration pas uniquement en narration « externe ». Par exemple, le passage avec le médecin, je le ferais en dialogue, je pense. Le stagiaire, il peut l’appeler directement et lui demander de s’y coller d’emblée. Etc… Le principe d’une ambiance polar, c’est qu’il faut que ça te « prenne » pleinement. Si tu nous la racontes vu de l’extérieur, de manière rapportée, on est moins « dedans », et plutôt « observateurs », et donc ça fonctionne, mais moins bien et moins fort. Il faut vraiment des scènes d’action « vraie », pas juste « expliquées ». Donc effectivement, du dialogue, du factuel. S’il se lève « excédé », plutôt que de nous dire qu’il l’est, fais-lui faire un truc qui nous le fera comprendre (balancer sa chaise trop vivement ? Taper du poing sur son bureau – une sale habitude qu’il a – …?), etc… Tu vois l’idée ? Mets-nous vraiment au cœur de ton intrigue, fais-nous suivre les pas du suspense, des questions, des ressentis des personnages. Sans nous expliquer, juste en nous mettant « dedans ». ça sera encore plus efficace et encore plus dans les codes du « noir » !

Groux j’aime bien ton idée décalée de ne pas utiliser ces fleurs ,ces branches pour y faire du joli

Comme Schiele j’aime ce que tu as fait du thème. Avec tous les codes du thriller moite un peu comme dans la série True Détective. J’ai beaucoup aimé ton texte et trouve très fin d’avoir laissé à la fin l’enquête en cours. Sauf….qu’on a envie de lire la suite !!!

ahhh pily True Détective!!!

ah mais euh!!! j’ai envie de lire le bouquin entier maintenant, je suis sûre que l’écrivain nous mène vers une fausse piste, trop facile, ça va repartir vers autre chose ça se trouve et ça sera peut-être pas si simple pour boucler l’enquête 😀

Quelle bonne idée de détourner complètement l’idée poétique vers le polar! Moi aussi, j’ai envie de connaître la suite!

Moi aussi, j’aimerais assez connaître la suite, en fait ^^ (Mais je parie que Groux ne l’a même pas encore imaginée elle-même…!)

je parie aussi mais on aurait dit que…comme diraient les enfants 🙂 C’est tellement bien fait qu’on s’imagine que l’intrigue et ses rebondissements sont déjà ficelés

Bonjour Groux,

Une enquête policière toute en délicatesse et subtilité. J’ai aimé les mots décalés, posés là comme « de la marque de la lessive ». On pourrait se demander mais qu’est ce que ces mots viennent faire là ? En tous les cas ces petites échappées s’intègrent parfaitement au texte et ne nous font pas perdre le fil de l’histoire et pourtant, ils viennent nous interpeller. L’intrigue est là, tu nous y amène tout en douceur, on passe d’un paysage à un autre, on te suit et on en veut encore 😉 ….. Emije

Merci pour ces retours ! Je n’étais pas sûre que cela fonctionne et ces différents retours sont rassurants et encourageants !
Un peu tardivement mais voici la version retravaillée en tenant compte des conseils de Gaëlle :

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches.
C’est comme ça qu’on l’avait trouvée. Assise à même le sol, ses bras entourant ses jambes nues. Ses habits étaient déchirés, ses cheveux emmêlés, remplis de feuilles mortes et de brindilles.
Elle se balançait d’avant en arrière, les yeux hagards.
C’est sa voix ténue qui avait attirée les gendarmes vers elle. Après la découverte macabre, au milieu de la nuit, de ces 3 corps mutilés.
Plusieurs équipes avaient été dépêchées sur le terrain. C’était la 5ème fois en moins de 3 mois que le tueur sévissait. Le nombre de ses victimes ne faisait que croitre et aucune piste n’avait été concluante. Aucun témoin, jamais. Aucun indice non plus. Le tueur était méticuleux.
Et là, pour la première fois, cette fille. Elle avait dû pouvoir s’échapper. Quelque chose ou quelqu’un avait dû déranger le tueur, car il ne serait jamais parti sans l’avoir retrouvée et tuée.
Tous les hommes présents ratissaient la zone, espérant trouver un minuscule quelque chose qui aurait fait avancer l’enquête.
C’est en s’approchant d’un bosquet, qu’on avait entendu sa petite voix qui répétait comme une litanie cette phrase.
« Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »
« Capitaine ! Venez vite ! » lança un des hommes.

On lui avait mis une couverture de survie, on avait essayé de lui parler mais ses yeux ne regardaient personne. Elle psalmodiait ceci comme si sa vie en dépendait.
Les pompiers étaient arrivés et elle avait été emmenée à l’hôpital.
Il allait falloir la protéger. Les médias se jetteraient sur elle si sa survie fuitait.
Aux premières lueurs de l’aube, le capitaine de la brigade attendait à l’hôpital. Il fallait qu’il ait des réponses.
Il entra dans la chambre, les stores laissaient passer un mince filet de jour. Il la retrouva comme dans la forêt, assise sur son lit, les genoux repliés vers elle, entourés de ses bras.
Il avança une chaise vers son lit, sans parler. Il ne savait pas comment l’aborder sans être trop bourru.
« Bonjour » lança-t-il. Seul le silence lui répondit.
« Je sais à quel point cela doit être difficile pour vous. Vous devez surement vouloir effacer au plus vite ces souvenirs de votre mémoire. ». Il guettait un signe de sa part, une réponse, mais elle restait immobile, les yeux perdus devant elle.
Il bougea sa chaise, et se rapprocha encore d’elle.
« Vous êtes notre seul espoir. Il nous faut retrouver celui qui vous a fait ça. Ce n’est pas la première fois qu’il commet les actes ignobles auxquels vous avez assistés, et vous êtes notre premier témoin. Le moindre petit détail a son importance. Grâce à vous, nous allons peut être pouvoir sauver d’autres vies. »
Au fur et à mesure qu’il parlait, elle avait pris sa tête dans ses mains et reprenait son balancement, de plus en plus vite. Puis d’une voix rauque, elle se remit à répéter la phrase de la veille. « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. »
La porte s’ouvrit, un médecin entra et se présenta.
« Je suis le médecin qui a examiné cette jeune personne à son arrivée.
– Il nous faut pouvoir lui poser des questions, c’est primordial pour l’enquête. Vous a-t-elle raconté quelque chose hier soir ?
– Rien hormis cette phrase. Nous pensons qu’elle est en état de choc, et probablement avec un syndrome autistique. Elle n’a fait que répéter cette phrase en se balançant. Nous n’avons même pas réussi à obtenir son prénom.
– Je comptais vraiment sur elle pour que l’on puisse avancer dans l’enquête. Si elle se met à parler, rappelez-moi immédiatement.
– Je pense que cette phrase à son importance. Elle doit avoir un lien avec ce qu’il s’est passé car on sent beaucoup de violence en elle lorsqu’elle la répète.

Le capitaine retourna à la gendarmerie, pensif et irrité. Cette témoin ne leur apporterait rien, il ne pouvait rien faire de cette phrase. Evidemment que, dans une forêt, il y avait des fleurs, des feuilles et des branches. Il faudrait peut être chercher le lien avec les fruits, car il ne se souvenait pas d’avoir vu des arbres fruitiers dans la zone du crime. Il claqua la porte de son bureau derrière lui, faisant sursauter une de ses collègues.
Il décrocha son téléphone, balayant d’un revers de main les papiers se trouvant devant lui.
« Passez-moi Jérôme non Damien, enfin le stagiaire quoi ». Il patienta une minute, ses doigts pianotant impatiemment le bois de son bureau.
« Fais-moi une recherche sur les fruits que tu peux trouver autour de la zone de crimes. Arbres, fruits au sol, verger dans les environs, n’importe quoi mais dépêche toi. ».
Il raccrocha, convaincu que cela ne lui apporterait rien mais il n’avait rien d’autres et il fallait bien qu’il donne l’impression d’avancer sur cette affaire.

Il se leva et s’assit sur un coin de son bureau, essayant de recouper les différents meurtres et les informations glanées sur chaque victime. Elles n’avaient rien en commun, ne fréquentaient pas les mêmes lieux ni les mêmes personnes. Il devait bien y avoir un magasin où elles étaient allées, une marque de lessive, quelque chose qui devrait leur sauter aux yeux.
Une tasse de café trainait à côté de lui. Il voulut la boire.
« C’est trop demandé que d’avoir du café chaud à disposition » grogna-t-il en la reposant brusquement, faisant gicler quelques gouttes sur les feuilles étalées devant lui.

La ville était bruyante aujourd’hui, des voitures publicitaires venaient faire leur réclame et l’empêchait de réfléchir en silence.
Il se leva excédé pour fermer la fenêtre. Au moment où sa main touchait la poignée, il marqua un temps d’arrêt. Se pouvait il que ? Il tendit l’oreille, soudain sur le qui-vive.
Il ne rêvait pas, au milieu du bruit ambiant, il entendait bien cette chanson publicitaire : « Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches. Que l’on soit lundi, vendredi ou dimanche, venez donc composer votre panier, vous repartirez ressourcés et enchantés. »
Se pouvait-il que cette fille fasse allusion au conducteur de cette voiture ? Elle aurait pu l’entendre avant qu’il ne vienne enlever ces pauvres gens. Peut-être qu’avant de les tuer, il transportait ses victimes dans sa camionnette professionnelle et elle aurait entendu le slogan.
L’excitation monta en lui. Il sentait que les choses bougeaient enfin.
Il prit son téléphone : « appelle tous les gars, rendez-vous dans 10 minutes, on a du nouveau. »
Il fallait retrouver cette camionnette.

Ah oui, Groux, je trouve cette version 2 tout à fait dans l’idée que j’avais envie de m’en faire. Voilà, là, on y est, ça bouge, ça transpire: ça vit! Bravo! Si on imagine que tu peux être amenée à poursuivre ce texte un jour, cette version 2 est beaucoup plus intéressante, je trouve (en discours rapporté, ton texte risquerait de s’essoufler beaucoup plus rapidement, alors que là, tu peux carrément tenir la distance et nous faire un roman 😉 )

oui oui plus percutante cette version. Je trouve que le dialogue entre le médecin et le policier est peut-être un peu trop policé aussi, enfin c’est un détail…

Oui je suis assez d’accord. Je n’étais pas convaincue de la façon dont j’ai fait ce dialogue.
Mais l’écriture du dialogue reste un exercice très difficile pour moi. A améliorer donc !

Il y a effectivement des choses qui pourraient être reprises dans ton dialogue, Groux, mais ce serait aussi intéressant à faire davantage dans la longueur, dans l’hypothèse ou le texte se prolongerait. Dans les dialogues, le « ton » juste se trouve aussi parfois dans la globalité du texte.

Je garde les conseils alors et surtout je garde ce texte sous le coude… de plus en plus envie d’écrire, alors Ca peut être une chouette idée de poursuivre ce texte 🙁

Mince le smiley est mauvais ^^ je voulais évidemment en faire un heureux !!!

Oui, oui développe ce texte en roman !!!! Je préfère cette version qui bouge plus et est donc bien plus réelle (la porte qui fait sursauter la collègue, le nom du stagiaire que personne ne retient,…). Super !