Texte de Marieke

Je me suis arrachée à la chaleur de la couette. Brutalement. Je me précipite sous la douche et vers l’espoir d’un peu de chaleur retrouvée. Quelques minutes encore de solitude. Mais le compteur des choses à faire se met en route et déjà les mots rédiger, prévenir, envoyer prennent trop de place et balaient le plaisir de l’eau qui dégouline. Petit déjeuner, café, première dispute des cadets, un mot pour l’absence de l’ainé, maman-ci, maman-là. Sans mentir, je me demande bien ce que je fous dans cette vie-là. Je voudrais l’enchanter… « Puis-je s’il-vous-plait, aujourd’hui, m’évader ? » la phrase est sortie de ma bouche alors que je beurrais la tartine d’Aster. Le silence suivi et quand j’ai levé la tête, dix yeux me fixaient. « Mais tu n’es pas en prison, voyons » m’a lancé mon mari en posant un baiser sur mes lèvres : « A ce soir, je rentre tard ». Ce fut moins simple avec les enfants. « Mais pourquoi maman, veux-tu t’évader ? », « Je veux venir avec toi ! » Philosophe et implacable, Sacha rétorqua qu’on ne demande pas la permission de s’évader, on le fait si on en a les couilles, voilà tout. Il quitte à son tour la table et la maison, son sac sur l’épaule. Après avoir déposé les plus jeunes à l’école, il me reste un sas avant le travail. Je marche comme un automate. Je voudrais tant me poser, décider de décider… J’en suis là dans mes réflexions quand un obstacle me fait trébucher. En fait, je ne décide de rien du tout, je tombe ! Les mains tellement enfoncées dans les poches, je ne peux que courber le dos et tourner la tête pour éviter la fracture du nez.

Douleur. Pas fulgurante… ouf, rien de cassé, mais diffuse. L’épaule, le genou, la tête aussi. Vais-je rester étalée, là ou reprendre mes esprits ? J’hésite. Je suis trempée, l’eau boueuse a amorti ma chute mais transperce mes vêtements. « Venez, entrez prendre un café» une voix chevrotante mais ferme me dicte la suite des événements. Je la suis. Tremblante du froid et du choc, j’entre dans une chaleur suffocante. Sur la table en formica, elle dépose une tasse brûlante. « On m’appelle Monne. Buvez, mon petit, j’ai mis trois sucres. Ca vous remettra d’aplomb » Je déteste le café sucré. Déception. Je bois. L’amertume du café que j’aime tant est remplacée par un goût de mon adolescence, premiers cafés suaves oubliés. Simone a disparu, je suis seule, et les larmes coulent, le sel se mélange au gout de la boue. Je renifle. Simone m’appelle : « Montez ! Le bain est coulé ! » J’entre dans la petite salle d’eau, elle me tend une serviette et me montre une chaise : « je vous ai mis une jupe et des bas, n’oubliez pas d’éteindre le chauffe-eau, ça pousse pas sur mon dos » Son accent et son langage familier me rappellent ma grand-mère, je n’ai pas le temps de la remercier, elle a fermé la porte. Deuxième immersion de la matinée. La tête vide, je plie mon mètre 80, la baignoire en sabot m’accueille en position foetale. La pièce est envahie d’une vapeur épaisse, je ferme le robinet et reste encore.

La jupe en laine et la chemise laissée par Monne s’ajustent, les collants sont trop courts, je coupe les pointes, remets mes chaussettes, enfile mes bottes et le gilet. Le look vintage me va bien. J’entends Monne : « je dois y aller, claquez bien la porte en sortant, vous ne serez pas trop en retard». Je me précipite mais déjà, j’entends la porte se fermer. Je ne lui ai rien dit. Sur la table, un mot m’est adressé :

La vie est courte.
Tu cours, tu cours, tu cours… Regarde : les arbres, la lumière, étonne-toi des saisons. La beauté rayonnera sur ton visage.

Je glisse le message dans ma poche et file vers ma journée. Mes collègues ont ri de mon nouveau style mais je n’ai rien dit de cette rencontre. Je me sens habitée. Le soir, j’appelle mon mari : « rentre tôt, je t’emmène au resto… nous avons laissé filé quelque chose ». Longue soirée, nous nous parlons de nous.

Ce matin, je partage un thé sucré avec les enfants. Devant chez Monne, vision d’angoisse : une ambulance stationne, gyrophare allumé. Elle est allongée dans ma flaque de boue, à cause du même pavé. On la place sur la civière, je lui prends la main. Elle ouvre les yeux : « ce pavé, nous a fait nous rencontrer, je suis stupide… « Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue. » … ce n’est pas de moi, c’est d’Oscar Wilde et elle ferme les yeux, on l’enmène.

Par Marieke

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Il y a quelque chose de l’ordre du conte dans le texte de Marieke. Monne, c’est peut-être une bonne fée. Celle qui aide à retrouver le fil de l’existence, qu’on est en train de perdre petit à petit parce qu’on laisse les choses glisser doucement. Il n’est pas ici question d’un grand drame qui aurait tout chamboulé, juste le quotidien, pas malheureux mais usant, qui finit par éroder l’énergie et l’élan. Il y a quelque chose du conte dans le texte de Marieke, disais-je, parce que cette rencontre est somme tout improbable, et que pour autant, on « marche » parfaitement. C’est comme métaphorique, finalement. Elle pourrait presque être juste rêvée, cette rencontre, peu importe. Elle a quelque chose d’irréel, tout va vite, Simone disparaît avant même que l’héroïne sorte du bain. C’est le cocon régressif qu’elle offre, et le déclic qu’elle permet, qui nous est ici raconté. C’est finalement une histoire de banalité qui avait besoin d’un petit coup de pep’s et qui a eu la chance de le trouver. En ce sens, c’est un texte doux, je trouve, malgré le début où tout semble compliqué, et la fin qui est plus triste. Mais dans les contes, rien n’est jamais tout blanc… !

Il me semble, Marieke, qu’il y a du coup quelque chose d’un peu « décalé » avec le reste de ton texte, dans ton dernier paragraphe. Je n’ai pas réussi à discerner, en le lisant, s’il se passait juste le lendemain, ou plus tard. Si ton héroïne avait revu Simone entre temps, ou pas. Et curieusement, alors que l’espèce de doux coton un peu flou qui enveloppe le reste du texte (qui de toute façon, prend le parti de ne pas être « précis » sur bien des points) ne m’avait pas gênée, là, ça m’a davantage dérangée. Je crois justement, que c’est parce que tu fais à ce moment-là sortir le texte du cadre du conte. Si la bonne fée chute et se blesse, alors c’est que ça n’est pas une bonne fée, et qu’il faut m’inviter, doucement, à regagner la réalité moins brusquement. Je crois que ton texte gagnerait à rajouter des petits éléments du genre « Je n’ai jamais revu Monne depuis ce jour étrange/je suis retournée voir Simone le lendemain/ce matin j’avais prévu de redéposer la jupe à Simone, mais devant chez elle il y a des girophares »… (des trucs du genre, en fonction de ce que tu souhaites). Ou alors, à conserver le format conte, vraiment, sans qu’il arrive malheur à Simone à la fin (voire même, éventuellement, en créant une certaine ambiguité sur la réalité de cet épisode dans la vie de l’héroïne ?). A voir comme toi, tu imagines les choses… !

Je trouve que tu campes bien tes personnages, parfois en une phrase seulement (pour les enfants par ex) et tu arrives à les rendre tous attachants. Je crois que j’aurais aimé plus de liens entre les différents passages : le petit-déjeuner, le passage chez Monne et la matinée évoquée (comme Gaëlle, je me suis demandée si c’était le lendemain)

il est chouette ce texte, il a un joli côté éthéré , flottant que j’aime beaucoup. Et c’est bien trouvé que la changement ait lieu après un événement plutôt anodin, ça évite le côté cliché

La magie dans le quotidien. C’est vrai qu’on dirait un conte. J’aurais juste envie que la phrase « je suis stupide » disparaisse, elle me gêne un peu je crois. Mais ce n’est que mon envie… Par contre, la fin ne me gêne pas, les contes ne finissent pas toujours bien, après tout et le fait que les 2 tombent à cause du même pavé est bien vue.