Texte de Schiele

Je suis une femme moyenne.

Non pas que je sois totalement banale mais vue de l’extérieur ma vie n’a rien d’extraordinaire.

J’ai toutefois la prétention de croire que j’ai suffisament de relief pour ne pas être complétement ennuyeuse.

Ma compagnie peut être même agréable.

Un juste mélange d’humour, de culture et de vécu qui peuvent vous faire passer des moments plutot sympathiques en ma compagnie.

Concernant mon physique, c’est un peu la même mélodie. Pas canon canon, mais pas rebutante non plus. Une jolie couleur d’yeux qui hésite entre vert et marron. Des attaches fines et de longues jambes qui me rendent mince. Le tout matiné d’une propention aisée aux sourires.

Je passe bien.

Un impérieux besoin de sécurité, probablement dû au climat toujours potentiellement explosif qu’installait avec force névroses mon père, m’a fait me glisser dans le sillage convenu et sans surprise du « un homme , 2 enfants ». Attention quand même, un brin de rock’n roll, pas mariée mais pacsée. Et toujours pas de monospace. Ni de labrador. Mais quelle rebelle !

Un métier suffisament atypique pour qu’on s’y arrête, le plus souvent sur le même échange :

«  Je suis nez »

Sourire amusé/affligé

« oui moi aussi , je suis né »…

mais assez obscur pour qu’on ne passe pas des plombes à m’en causer.

A la catégorie des hobbies, pas vraiment de passion mais du goût pour tout.

Et me voilà vous infligeant la litanie de mes caractéristiques aussi trépidantes les unes que les autres.

Patience vous allez finir par la trouver la poussière sous le tapis.

Je vous parle de ma vie intérieure?

Alors celle là, elle le connait le mouvement. Et depuis petite.

Une capacité à fantasmer, me rêver autre, très tôt développée.

Des années d’analyse pour en conclure que c’est encore la faute à papa.

Pas facile de s’endormir quand ça peut péter n’importe quand pour n’importe quelle raison, surtout la plus absurde.

Pour chasser mes insomnies de fillette, j’avais trouvé la meilleure des parades : m’inventer d’autres vies. Le scénario était sensiblement toujours le même : moi, jeune fille subissant forces épreuves finissant par être reconnue pour sa beauté et son intelligence, aimée pour le restant de ses jours par un prince charmant. Déjà un grand sens de l’originalité.

C’est resté.

C’est marrant comme envisager les possibles la nuit au chaud sous sa couette est palpitant. Aussi consternant qu’à chaque matin, re rentrer dans le moule en bon petit soldat.

Je ne sais pas si c’est parce que je passe ces heures à m’imaginer autre que je m’accomode si bien ma monotonie existentielle. Ou si c’est à cause de cela, que je ne tente rien.

J’ai mes passades, des amourettes platoniques où j’échafaude des plans pour qu’on se recroise et me projette dans un amour total et fusionnel qui me comblerait totalement. Il y aussi les projets de grands changements, le tour du monde, la reconversion.

Ca m’occupe bien dans le bus ou dans le lit matrimonial.

Le hic, c’est que maintenant , j’ai conscience du mécanisme. Merci Freud and consort. Donc je ne suis même plus dupe de moi même.

Le hic, c’est que je n’en suis pas sortie pour autant de ce foutu mécanisme.

Avant, je me payais des rêves intérieurs de folie en étant convaincu que CA prendrait corps en vrai.

Maintenant je m’érode lucidement : petit trip perso, qui fait à peine illusion, vite amorti, puisque je me connais. Je ne passerai jamais la seconde.

Pour imaginer toujours la première! pour agir, euhhh c’est par où la sortie?

Et pourtant me voilà, par un mardi soir pas plus stressant qu’un autre, mon beau couteau en céramique à la main. Dégoulinant de sang. Et pas celui d’un bon rôti.

Je contemple les corps sans vie des miens. Les doigts poisseux Encéphalogramme des affects à zéro, le néant émotionnel total. Spectatrice de leurs corps inertes.

Me voilà en pleine puissance de cides : pari, matri, infanticide, ça a de la gueule ça non? Ca existe pacsicide?

Vous avez un peu plus envie de vous attarder sur mon portrait là non? Dans les séries, le sang coule moins vite. Il me semble qu’il est plus rouge aussi.

Mais quel silence enfin.

Pas de bol les ménagères de moins de 50 ans, ça aussi je l’ai juste imaginé!

Ca vous aurait excité le mou hein ; la copine qui pète un cable et dézingue tout le monde.

Ca vous aurait sorti de votre propre fadeur. De l’adrénaline par procuration, sans risque.

Ben non, je continue sur mes routines.

Et pourtant, Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue.

Par Schiele

0 0 votes
Évaluation de l'article
4 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

Schiele prend le parti de dérouler ici un « archétype ». C’est un personnage à la fois parfaitement réel (on en connait tous, des comme ça, non ?), et à la fois juste « un peu » caricatural, juste ce qu’il faut pour que ça soit un personnage d’écriture et non notre voisine. Schiele marche sur ce fil, entre le « trop » et le « trop peu », et parvient à maintenir l’équilibre d’une jolie manière. Elle nous déroule une litanie de normalité, tout en nous piquant au vif de temps en temps… Tiens, cette femme est nez, ça, ce n’est pas banal, puis revient l’enchaînement de détails presque triviaux. De la sorte, Schiele nous rend cette femme très attachante, parce qu’elle joue fort bien sur le si loin/si proche qui permet à la fois l’identification et la mise à distance. La « fausse » chute m’a beaucoup plu, pour son côté pour le coup, franchement transgressif, dont on devine quand même qu’un personnage qui commence en se présentant comme « moyenne » doit un peu beaucoup avoir envie…

Je suis partagée, Schiele, sur le statut de cette « fausse fin ». Je crois que j’aurais trèèèèès envie, pour ma part, de laisser plus d’ambiguïté autour. Je trouve ce passage de ton texte très intéressant, et je crois que tu donnerais une belle épaisseur, et une complexité comme on aime, à ton personnage, si tu ne « l’annulais » pas aussi sec. Tu pourrais laisser davantage les choses en suspens après « mais quel silence, enfin ». Laisser ton lecteur décider si finalement, elle l’a vraiment fait ou pas, tu vois l’idée ? Reprendre des phrases du début, du genre : « Je suis une femme moyenne. Suis-je vraiment capable de faire ça ? L’ai-je vraiment fait ? Illusion ou réalité ? », enfin tu vois le genre de sillon à creuser ? Ton texte deviendrait plus noir, et plus trouble, si finalement, tu ne bouclais pas la boucle en retombant sur la tonalité du début de ton texte. Et les textes noirs et troubles sont souvent parmi les plus passionnants !

J’ai adoré ton texte, ton style d’écriture en simplicité, l’autodérision de ton personnage qui m’a bien fait rire, la scène de cides^^ bien amenée, ta façon de t’adresser au lecteur. La piste de Gaëlle est intéressante mais j’ai bien aimé aussi ta chute et le fait que ce soit irréel, j’y ai cru (la ménagère qui pète un câble, pourquoi pas!) et j’ai eu l’impression que tu me charriais ensuite d’être tombée dans le panneau alors que c’était évident. Bref, l’idée de Gaëlle est intéressante mais comme ça, j’aime beaucoup aussi!

oui peut-être que j’aurais aimé aussi me perdre dans les méandres de son imagination sans savoir si c’était vrai ou pas. En même temps, elle fait peur, même avec cette fin car on sent une petite agressivité dans la moquerie qui sied bien au personnage! Et même si pour cette fois, c’est une invention, on ne parierait pas pour la suite, on sent la faille qui pourrait s’élargir. Le ton incisif, le personnage ambivalent à souhait: elle rêve d’amour fou et parle de buter tout son monde, on reste dans le passionnel quoi, d’un pôle à l’autre et c’est drôlement bien peint.

Oui, je suis d’accord avec toi, Ann, sur le fait que même avec le côté « je vous rassure, je l’ai pas fait », elle garde un côté joyeusement flippant, cette femme.