Texte de Nolwenn

7 :00. Réveil. France Info. Grmph. Non. Pas encore.

7 :05. Claire m’embrasse sur le front et se lève. Mon esprit tente d’émerger. Mes oreilles essaient d’écouter les infos. Massacre au Kenya. Suicide de l’ancien maire de Tours. Grève à Radio France. Monde de merde. Se rendormir encore un peu ? Oui.

7 :15. Les enfants bougent dans la chambre d’à côté. Malo descend de son lit superposé en sautant. Un jour il se fera mal. Un jour il m’écoutera. Julie râle qu’il est trop tôt. Comme tous les matins. Claire sort de sa douche, revient dans la chambre pour s’habiller. Pas envie de bouger. Encore tout engourdi de sommeil. Rester là, quelques minutes de plus.

7 :20. « Louis, tu comptes te lever ou pas ? » Ou pas. Fatigué, déjà mal au crâne. La journée d’hier au boulot était terrible. Je ne veux pas revivre la même. Marre de ce stress, de cette pression. Marre. Julie entre dans la chambre en trainant les pieds. « Maman pourquoi je dois me lever alors que papa reste couché ? » Elle saute sur le lit. Je veux l’enlacer. Je ne peux pas. Pas de réponse de mes bras. Je tente de me tourner sur le côté. Rien. Mon corps reste immobile. Je ne sens rien.

7 :25. C’est quoi ce bordel ? « Julie, va t’habiller, je vais te préparer tes tartines. Louis, dépêche-toi ! » Claire sort de la chambre. Non, non, non revient ! J’ouvre la bouche. Pas un son. Merde ! Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi je ne peux plus bouger ?

7 :27. Ce n’est pas possible. C’est un cauchemar, je vais me réveiller. Je ferme les yeux, j’ouvre, je ferme, j’ouvre. Rien. Je commence à suffoquer. Claire aide-moi ! Non pas de panique, tout va rentrer dans l’ordre, il y a forcément une explication. Non je ne vais pas mourir.

7 :30. « Louis, tu te fous de moi ? » Claire regarde-moi bien, je ne peux plus bouger, je ne peux plus parler. Regarde-moi ! Claire, j’ai peur ! « Louis ça va ? » Non, ça ne va pas. Je suis terrifié. « Louis ce n’est pas drôle. Qu’est-ce qu’il y a ? » JE NE PEUX PLUS BOUGER ! Sors moi de là. AIDE-MOI !

7 :32. « Louis tu me fais peur. Arrête tes conneries. Parle-moi et sors de ce lit. » J’aimerai tellement. Je recommence à suffoquer. Je vais m’étouffer, je vais mourir. Claire me secoue, je ne sens rien. « Louis ! Louis, merde ! J’appelle les pompiers. »

7 :35. « Bonjour, je vous appelle parce que mon mari ne bouge plus. Il a les yeux ouverts, il me regarde mais il ne bouge pas, ne parle pas, ce n’est pas normal. Il devrait être levé depuis 30 minutes, ce n’est pas son habitude. Je ne sais pas, peut-être. 32 avenue des Lilas à Rezé. Merci. »

7 :37. Claire j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur. Reste-là. Prend moi dans tes bras. Aide-moi. J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur. Qu’est-ce qui m’arrive ? Au secours. J’ai peur Claire. « T’inquiète pas Louis, le Samu arrive, ça va aller, tu vas t’en sortir. » Pourquoi tu pleures Claire ? Pourquoi tu trembles ? Claire j’ai peur. « Je suis là mon amour, ça va aller, t’inquiètes pas. »

7 :42. « Ils sont là, je reviens. » Non, non ne me laisse pas. Claire ! J’ai peur. « Bonjour monsieur, je suis le docteur Sala. Si vous m’entendez, si vous me comprenez, clignez des yeux. » Je cligne, je cligne, je vous entends, je vous comprends. Aidez-moi ! « Avez-vous mal quelque part ? » Non, je ne cligne pas. Je ne sens plus rien, c’est horrible. « On vous emmène à l’hôpital. »

9 :00. « Monsieur, vous avez eu un accident vasculaire cérébral. Nous allons vous opérer. »

« Il est 7h sur France Info, ne cherchez pas le réveil, vous avez la radio. » Je me tourne, j’enlace Claire. Tout va bien. Ouf.

Par Nolwenn
Aime lire, raconter et écrire des histoires depuis… (ne s’en rappelle pas c’est trop loin). Devenue journaliste de presse écrite pour en partager. Dans ses rêves les plus fous, serait conteuse et écrivaine. Y travaille…

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Sacré cauchemar… ! Où tout a l’air réel, bien évidemment, c’est pour ça qu’il est si puissant. Le texte est donc un texte « à chute », où le dernier paragraphe inverse totalement la narration qui précède, laissant malgré tout un drôle d’arrière goût dans la bouche… Le signe que l’angoisse était bien mise en scène ! L’utilisation de phrases courtes, parfois purement nominales, certaines répétitions… Tout cela « sert » fort bien la dynamique de l’angoisse dans le texte de Nolwenn.

Du coup, pour ma part, j’aurais tendance à creuser encore davantage ce sillon des phrases courtes, hachées, quand le personnage angoisse. Petit exemple : Sur ce paragraphe-là

7 :27. Ce n’est pas possible. C’est un cauchemar, je vais me réveiller. Je ferme les yeux, j’ouvre, je ferme, j’ouvre. Rien. Je commence à suffoquer. Claire aide-moi ! Non pas de panique, tout va rentrer dans l’ordre, il y a forcément une explication. Non je ne vais pas mourir.

Quelque chose du type :

Pas possible. Cauchemar. Je vais me réveiller. Je ferme les yeux. J’ouvre. Je ferme. J’ouvre. Rien. Je suffoque. Claire aide-moi ! Non. Pas de panique. Ça va aller. Il y a forcément une explication. Je ne vais pas mourir.

Me semblerait encore plus percutant, encore plus efficace, plus « angoissant ». C’est le cas à d’autres endroits aussi. Et cela permettrait aussi de mieux différencier le monologue intérieur du personnage principal, et les interventions extérieures, qui ne sont pas faites sur le même mode « saccadé ».

J’ai beaucoup aimé ce texte, son rythme et l’angoisse qui monte. Personnellement, la chute a un peu coupé le film que je me faisais sur l’écran noir de mon imaginaire.
Je dois sans doute être trop cruelle: je le voyais bel et bien mort au reste du monde.

Si je reprends en accentuant les phrases courtes.

7 :30. « Louis, tu te fous de moi ? » Claire regarde-moi. Je ne peux plus bouger. Plus parler. Regarde-moi ! Claire, j’ai peur ! « Louis ça va ? » Non ! Je suis terrifié. « Louis ce n’est pas drôle. Qu’est-ce qu’il y a ? » JE NE PEUX PLUS BOUGER ! Sors moi de là. AIDE-MOI !

7 :32. « Louis tu me fais peur. Arrête tes conneries. Parle-moi et sors de ce lit. » J’aimerai tellement. Je suffoque. Encore. Je vais m’étouffer. Je vais mourir. Claire me secoue. Rien. « Louis ! Louis, merde ! J’appelle les pompiers. »

7 :37. Claire j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur. Reste-là. Prends moi dans tes bras. Aide-moi. J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur. Qu’est-ce qui m’arrive ? Au secours. J’ai peur Claire. « T’inquiète pas Louis, le Samu arrive, ça va aller, tu vas t’en sortir. » Tu pleures ? Tu trembles ? Pourquoi ? Claire j’ai peur. « Je suis là mon amour, ça va aller, t’inquiètes pas. »

7 :42. « Ils sont là, je reviens. » Non ! Me laisse pas. Claire ! J’ai peur. « Bonjour monsieur, je suis le docteur Sala. Si vous m’entendez, si vous me comprenez, clignez des yeux. » Je cligne, je cligne. J’entends. Je comprends. Aidez-moi ! « Avez-vous mal quelque part ? » Non. Ne pas cligner. Je ne sens plus rien. C’est horrible. « On vous emmène à l’hôpital. »

J’ai beaucoup hésité Clamoiselle entre cette chute et une autre. Ce n’est d’ailleurs pas la première que j’ai écrit. L’autre était plus brutale, Louis ne mourrait pas mais devait réapprendre à parler, manger… mais je n’arrivais pas à l’écrire pour qu’elle conclue bien le texte. J’avoue j’ai choisi la facilité et peut-être aussi le positif. Mais j’ai l’intention de prolonger cette nouvelle et du coup, ce ne sera pas un cauchemar mais bien la réalité qui va changer toute sa vie.

Et ben je maintiens que j’aime bien l’exercice de concision sur les phrase, je trouve que ça renforce l’adrénaline. Bravo, Nolwenn pour ce premier « bidouillage ».

Concernant la fin, il me semble effectivement difficile de partir dans un récit de longue rééducation. Ton texte est rapide, concis, efficace. Si tu pars dans un truc de longue haleine (même s’il n’est que suggéré) sur la fin, tu risques de le déséquilibrer en termes de rythme. C’est certainement faisable, parce que tout est toujours faisable, mais la marge de manoeuvre est à mon sens très étroite pour tomber « juste ».

En revanche, j’avoue qu’une fin « noire » m’aurait à moi aussi assez plu (serions-nous donc ici un repaire de gens cruels? 😉 )