Texte de Groux

Des jours enfermés dans cette chambre. Sa chambre. Volets fermés. Allongée sur le lit, attendre que le temps passe. S’oublier. Si elle ne bouge plus, peut être qu’elle n’existera plus.

La chaleur pèse sur elle. Elle ne bouge pas. Le ventilateur est là, proche d’elle. Il la nargue. Ne surtout pas le mettre en route, ne pas bouger. Attendre, immobile.

Les larmes n’ont plus la force de couler, les cris ne sortent plus. Les mains le long du corps, elle ne fait plus qu’un avec le matelas. Son cœur se transforme en pierre. Elle tente de ralentir sa respiration, n’être qu’un mouvement imperceptible.

Elle garde les yeux fixés au plafond, se répétant en boucle les dernières paroles qu’il lui a dites.

Le temps s’est arrêté au moment où il lui a dit qu’il ne l’aimait plus, qu’il en aimait une autre.

Une fin d’histoire tellement cliché, tellement prévisible. Elle s’était toujours dit qu’elle ne serait jamais ce genre de couple.

Et aujourd’hui, elle est là, seule, allongée sur ce lit comme toutes ces autres femmes.

Son téléphone s’allume. Un message. Elle tourne à peine la tête, elle sait déjà que ce ne sera pas lui.

Elle a coupé la sonnerie pourtant, rien ne doit venir la troubler. Elle aurait dû éteindre son téléphone. Figer le temps dans sa douleur.

Son téléphone se rallume une deuxième fois. Puis une troisième.

A regret, elle se lève de son lit, se dirige vers son téléphone.

Chaque pas lui semble une épreuve. A force d’avoir été couché, son corps lui semble lourd et inerte. Lever la jambe, plier le genou, poser le pied par terre… Recommencer.

En prenant son téléphone, elle prend conscience de la souplesse de ses doigts. Ouvrir la main, serrer les poings, mouvements infimes mais si importants.

3 messages de sa sœur. Elle veut passer la voir, se doute bien que quelque chose ne va pas.

Elle se retourne et regarde son appartement. Ce qui lui semblait auparavant un nid douillet et un cocon, lui semble à présent menaçant.

Si sa sœur doit passer, autant rendre cet appartement présentable. Elle ouvre tout d’abord la fenêtre et les volets. Allume un bâtonnet d’encens. Reste fixée sur le mouvement de la fumée qui s’élève et fait des volutes. Puis son regard est attiré par la danse du rideau entrainé par le vent.

Sa robe bleue est posée sur la chaise. Elle l’enfile, frissonne au passage du tissu sur sa peau.

Une envie de sortir, de voir le soleil l’envahit. Comme un automate, elle ouvre la porte et bascule la tête en arrière en sentant les rayons du soleil sur elle. Elle fait quelques pas dans le jardin.

S’arrête, émerveillée. Ces jours dans le noir l’avaient coupée de tout.

Elle redécouvre l’odeur du lilas, le bruit du vent dans les feuilles.

Puis son regard s’arrête sur les mouvements des brins d’herbe, dansant au gré du vent. Se courbant dans un sens, puis dans l’autre ; se redressant fièrement ensuite.

Elle s’accroupit, son jardin est grouillant de vie ; des fourmis qui s’affairent, une araignée qui traverse, un papillon qui virevolte.

En se relevant, les volants de sa robe se mettent à onduler au vent. Le tissu se meut autour de ses jambes.

L’air se charge de légèreté. Elle se sent tout d’un coup légère et apaisée. Son corps se remet en mouvement, reprend ses droits.

Une envie de danser la prend. Elle fait 3 petits pas dans son jardin. Une sensation aérienne l’envahit.

Poussée par une force invisible, elle se met à tournoyer dans le jardin. Tourne de plus en plus vite. Sa robe se soulève autour d’elle. Elle ne sait plus où est le sol, où est le ciel. Elle se met à rire, ses jambes se plient sous elle. Elle se retrouve à rouler au sol. Un mélange de couleurs passe devant ses yeux ; bleu du ciel, vert de l’herbe, marron de terre, rouge des fleurs, jaune du soleil.

Elle se relève, titubante. Se met à courir derrière les papillons, derrière le vent, derrière cette feuille qui vole. Elle se remet à tourner, les bras grands ouverts. Sent le vent qui glisse le long de ses bras. Le ciel se mélange au soleil, son rire se mélange à ses larmes.

Elle court, elle danse, elle rigole. Son corps la guide, elle se laisse faire.

Elle s’aperçoit que d’avoir suspendu sa vie ne lui correspond pas. Tout n’est que mouvement autour d’elle.

Elle est en vie.

Par Groux

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Groux prend ici le mouvement comme métaphore de la « vie » au sens large. Elle passe à cette moulinette le thème de la rupture. On ne bouge plus quand on est anesthésié par la douleur, puis on recommence à bouger et on se sent revivre. C’est mélangé avec le thème de la lumière, le mouvement est lumineux, le non-mouvement est sombre. Cela renforce ce que l’auteur cherche à transmettre. Par ailleurs, le côté un peu « dichotomique » que tout cela pourrait avoir est tempéré par l’introduction d’autres sensations (odeur, toucher, visuel…) qui amènent une certaine nuance. Pour rebondir sur l’atelier du mois dernier, la narration au présent fonctionne ici très bien et me semble parfaitement justifiée.

Personnellement, j’aime bien ces deux passages : « Lever la jambe, plier le genou, poser le pied par terre… Recommencer. » et « Ouvrir la main, serrer les poings, mouvements infimes mais si importants. ». Ils ont un côté assez clinique, purement descriptif, qui me semble bien correspondre à la remise en route de cette femme qui était comme sur « pause ». Je pense du coup que le texte pourrait gagner en personnalité en jouant avec cette façon de faire. Rajouter, régulièrement, des petites phrases courtes et rythmées, de la même manière que celles-là, décrivant le mouvement qui se réinstalle. A simple titre d’exemple, quand elle parle des papillons, on peut imaginer quelque chose du type « Deux ailes, qui vont, qui viennent, un vol léger. C’est beau ». Etc…

Une réponse un peu tardive pour cause de vacances.
Merci pour ce retour. Effectivement, ce genre de phrases rajouterait à la sensation de mouvements qu’elle sent revenir.
Surtout que lorsque j’ai eu l’inspiration du texte, c’était en observant les mouvements des feuilles avec le vent et c’est le genre de description que j’avais en tête.
A préciser alors !

j’aime beaucoup, ça colle aussi avec la saison, ce mois d’avril justement où la nature figée dans l’hiver reprend ses droits, où nos propres corps engourdis commencent à s’tirer dehors au soleil, et le thème de la rupture, qui nous laisse sous le choc quand c’est brutal comme ça, est prétexte à ce lent renouveau intérieur qui émerge peu à peu dehors au contact des éléments. ça me parle complètement…… 😀