« Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches »

C’est tout ce que je voudrais t’offrir.

A toi ma première née.

Ma fille.

J’ose à peine écrire ces mots. Je serais certainement incapable de les prononcer à haute voix tant ils me paraissent irréels et magiques.

Mon tout petit bébé.

C’est notre deuxième nuit dans le cocon de la maternité.

Et je réalise. De toute la force de mon coeur. Une vague folle d’amour m’envahit. Venue d’on ne sait où. Un truc ancestral, tribal, tripal. Ca me dépasse, je n’ai aucun contrôle là dessus mais j’aime ça. Je le ressens irradier par vague et imprégner mon corps.

Je me sens louve.

Tu n’as pas encore de prénom.

Avec ton père , on s’était dit qu’en voyant ta trogne on pourrait trancher.

Ca fait 30 heures qu’on alterne entre Penny et Zoé. Ton père ne veut pas assumer Penny à cause des potentiels jeux de mots débiles et moi je veux que tu sortes du lot avec un prénom qui ne figurera pas dans le top 10 dans les années à venir.

Je te souhaite des fleurs pour égayer ta vie et des fruits que tu te régales de leur jus sucré en été. Des feuilles sous lesquelles t’assoupir bercée par la brise de mai.

Et des branches pour y grimper et construire des cabanes.

Je te souhaite de la liberté. Celle d’être qui tu voudras . Celle de voir le vaste monde.

Je te promets d’être cette mère qui y veillera.

Qui deviendras tu?

Me ressembleras tu? Irons nous nous promener le long des plages? Serons nous complices?

T’aurais je transmis le goût des autres, du rire et de la bouteille à moitié pleine? Voudras tu aussi soigner ?

Feras tu mieux que moi?

Seras tu une adulte qui ose?

Réussiras tu à aimer ton corps, savoir en jouer en tant que femme?

Vivras tu près de moi que nous continuions à partager une fois que je t’aurais élevée?

En attendant, je contemple ton visage à la peau si parfaite, tes menottes délicates et me baigne dans le ressac doux et enveloppant de mes hormones de maman en devenir.

« Voici des fleurs, des fruits, des feuilles et des branches »

C’est tout ce que j’ai à lui offrir.

Pauvre de moi.

Elle me rira au nez.

Qui ose encore déclamer de la poésie à une femme ?

Ma voisine.

Enfin celle qui a investit la maison de l’autre côté du lac.

Non pas que ma solitude me pesait, je l’avait embrassée avec fougue et n’ai cessé de l’étreindre depuis. Dénicher cette longère isolée, pour y réparer des vélos et des vieilles motos a été la meilleure idée de ma morne existence.

Ca signifiait ne plus avoir à subir le vacarme incessant des marteaux piqueurs, des grues et cris des collègues sur les chantiers. Vivre à mon rythme et pas celui des ingénieurs qui ne connaissent rien aux réalités des maçons. Mettre mes mains dans le cambouis redonner vie à des bécanes patinées. Ne pas être obligé de porter quotidiennement le masque affable de la sociabilité.

Mais entendre au loin les vieux volets grincer m’a sorti d’une torpeur dans laquelle je ne m’étais pas senti glissé.

Il me semblait bien qu’il y avait à nouveau de la vie dans ce vieux corps de ferme, mes chiens aboyaient plus souvent. L’inconnue, arrivée en pleine explosion de l’été, était restée volets fermés pendant des semaines.

Il lui en a fallu du temps pour sortir son nez dehors.

Pas très calée sur la météo, elle a poussée les battants aux premiers nuages d’octobre.

Je me suis surpris à guetter, intrigué par sa présence et sa silhouette courbée. Je n’ai jamais réussi à distinguer nettement ses traits. J’allais quand même sortir mes jumelles.

Son pas semble trainant et lourd dans les graviers.

Et quelle lenteur pour monter l’échelle , élaguer la glycine et le lierre qui ont sauvagement conquis les murs de sa bâtisse.

Maintenant que les pluies de novembre sont battantes, la voilà qui sort désherber.

On dirait qu’elle a redressé son port de tête. Son pas est plus léger, ses mouvements fluides.

Elle a l’air gracile dans sa salopette en jean.

Après le cloitre et le silence, elle nous fout son ghetto blaster dans la cour à fond de Nirvana.

Ca devient une habitude de fumer ma clope sur le pas de ma porte en la regardant bosser dans le jardin.

Elle qui n’avait jamais semblée intéressée par mon voisinage , se retourne et me gratifie d’un beau majeur saillant, vernis d’un rouge bagarre. Pas commun pour quelqu’un qui fout les mains dans la terre.

Elle n’a jamais de visite, sauf le facteur.

Elle devait être partie faire des courses, ce matin, il m’a laissé un gros paquet pour elle.

Je connais maintenant son prénom.

Comme dans la chanson de Kurt, distill the life that’s inside of me, seat and drink Penny royal tea

 

Par Schiele