Texte de Zazie 6454 – « À un cheveu près » *

En fait c’est une histoire qui s’est passée il y a une quinzaine d’année, mon fils était en CE1 non, non, en CE2…oui bon alors, ce n’est pas quinze mais plutôt pas loin de vingt-cinq ans que cette histoire a eu lieu. C’est fou comme on ne se voit pas vieillir ! Donc voilà.
Comme chaque jour, j’ai préparé la table du goûter, BN au chocolat, pain, Nutella, sirop de grenadine, pour mes garçons qui rentrent seuls de l’école, mon fils aîné ayant la charge de revenir avec son petit frère. Moment de détente que j’aime avant d’attaquer les devoirs.
Mais lorsque mon cadet entre dans la cuisine, j’ai failli lâcher le pot de Nutella :
« Mais mais Guillaume, qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ? » dis-je en hurlant
Silence radio.

« Je t’ai posé une question, qu’est-ce-qui-est-ar-ri-vé-à-ta-mè-che ? » crié-je toujours en détachant les syllabes pour être certaine qu’il me comprenne bien vu son air hagard.
Silence de mort.
Je fais ici un aparté, sans lequel cette histoire n’aurait aucun sens pour nos auditeurs. Dimanche était le jour de la communion privée de Guillaume, et toute la famille était conviée à la cérémonie puis au déjeuner, les grands-parents, les oncles et tantes, les cousins et cousines, les parrain et marraine, bref, une bien belle réunion de famille en perspective. Et pour l’occasion, j’avais laissé pousser une belle mèche blonde et longue sur le front de mon fils dont je dois dire, j’étais assez fière (de la mèche et de mon fils !).

Devant mon insistance qui n’a d’égale que ma colère, je somme Guillaume de m’expliquer ce qui s’est passé à l’école et qui lui a fait ça.

Enfin sortant de son mutisme, Guillaume répond entre deux sanglots :
« C’est quelqu’un dans la classe qui m’a coupé les cheveux.
— Quoi ??? Comment ?
— Avec un ciseau
Quoi !!! »

Même si je l’ai déjà seriné un grand nombre de fois à mes enfants, je ne reprends pas cette fois-ci mon fils sur le mot ciseau, imaginant bien que le coupable n’a pas utilisé un ciseau à bois pour lui couper les cheveux …
« Qui ? qui t’a fait ça ?
— Je peux pas le dire. »
Devant son air à la fois obstiné et contrit, je me calme un peu… le temps du goûter.
La malchance, pour mes enfants ou pour les enseignants, voire pour les deux est que je suis la présidente de l’association des parents d’élèves et qu’il est hors de question que je laisse de côté cette affaire de ciseaux et de cheveux coupés en quatre. Je prends mon téléphone, j’appelle le directeur de l’école primaire, et je lui explique, très énervée, la situation et notamment que je trouve incroyable, vous m’entendez, Monsieur LAFONT, incroyable qu’un enfant puisse s’amuser dans la classe à couper les cheveux d’un de ses petits camarades au nez et à la barbe de Madame DELENIKAS, leur maitresse.
Je refais un second aparté car je dois confesser ici, que j’avais déjà eu des mots avec cette institutrice, une première fois lorsqu’elle avait entrepris d’expliquer la conjugaison des verbes du premier groupe à ses élèves avec le verbe schtroumpfer, oui j’avais vu rouge, aussi rouge que la culotte et le bonnet du grand Schtroupmf mais en nettement moins amusant ! Je me souviens je m’étais arrêtée en pleine rue devant l’école d’où j’avais vu sortir Madame DELENIKAS et j’avais jailli de mon véhicule telle une policière lourdement armée comme dans une série américaine du samedi soir, pour lui demander des comptes, les poings serrés, posés sur les hanches prête à l’abattre sur le champ si elle répondait mal à mes questions ! Et la deuxième fois, je lui avais écrit un mot bien senti dans le carnet de liaison, sur son choix de pseudo-poésie ; elle avait demandé aux enfants d’apprendre un texte du grand et illustre poète… Joël Bats ! Quoi ? Elle n’avait rien de mieux à proposer qu’un ancien footballeur, même de l’équipe de France, mais peut-être ne connaissait-elle pas Victor Hugo, La Fontaine ou Leconte de Lisle ? J’étais littéralement hystérique. En un mot comme en cent je dois reconnaître que j’étais une mère d’élève parfois assez odieuse.

Mais je reviens à l’affaire dramatique de la mèche coupée et à mon entretien avec le directeur, qui, penaud, propose de me recevoir le lendemain matin dans son bureau. Entretien au cours duquel je ne mâche pas mes mots, notamment sur l’inconséquence de l’enseignante puisqu’elle n’a pas vu ce qui s’est fomenté dans son dos. En même temps si j’avais été objective à moins d’être contorsionniste ou d’avoir une vision périphérique comme les chevaux, comment aurait-elle pu le voir ! Et j’ajoute avec une pointe de perfidie que je suis prête à alerter l’inspection d’académie s’il le faut, car j’ai (soi-disant) le bras long etc. etc.
La chieuse absolue.

Se confondant en excuses, Monsieur LAFONT me promet de faire toute la lumière sur cette histoire. Il tient parole et, l’après-midi, il fait descendre tous les élèves de la classe de CE2 dans la cour, les fait mettre en rang, et demande à mon fils, placé entre le Directeur et Madame DELENIKAS, face à ses camarades, de désigner le ou la coupable. Et là mon fils, magnanime, refuse de désigner à la vindicte scolaire le ou la responsable de la coupe de la mèche de la communion.

À la fois fière de la noblesse du geste de mon cadet et en même temps agacée de l’impunité du coupable, je continue , une fois revenus à la maison, à asticoter mon garçon, usant même de subterfuges peu glorieux, comme utiliser son frère aîné pour lui tirer les vers du nez ou lui promettre l’achat de pogs, ces petites rondelles de carton illustrées , très populaires à l’époque dans les cours de récréation et qui provoquaient souvent des bagarres entre mes deux garçons, jeu que je qualifiais habituellement de totalement débile ! C’est vrai je ne recule devant aucune bassesse pour parvenir à mes fins !

Enfin à force d’insistance, de viles compromissions ou de chantages affectifs assez misérables de ma part, Guillaume finit par lâcher le morceau, tranquillement, entre deux bouchées du gâteau au yaourt, et me livre tel Juda, le nom du coupable qui a osé couper LA mèche de la communion.
« C’est moi maman…
— Pardon ? C’est toi quoi ?
— C’est moi qui ai coupé ma mèche. » (pour être tout à fait réaliste, du haut de ses huit ou neuf ans, il est fort probablement qu’il ait dit c’est moi qui a coupé ma mèche)
Moi : Silence radio. Regard hagard.
Je ne comprends pas, dis-je enfin du ton désespéré de quelqu’un qui a peur d’avoir au contraire très bien compris.
Ben…je m’étais mis de la pâte à fixe dans les cheveux, sur ma mèche quoi, et comme je n’arrivais pas à la retirer, j’ai pris mes ciseaux et je l’ai coupée.
« Mais pourquoi tu as raconté cette histoire alors ?
— Tu avais l’air très en colère, et j’avais pas envie de me faire disputer, alors j’ai inventé ça. »
Abasourdie par cette révélation inattendue à laquelle je n’ai absolument pas songé, – vous pensez, MON fils serait incapable de faire une chose pareille – je comprends soudain combien ma réaction pour une petite mèche de cheveux blonds et fins a été ridicule et excessive au point même d’effrayer mon jeune fils qui a eu un réflexe d’instinct de survie, en quelque sorte. Alors juste pour la forme et conserver un peu de dignité maternelle, je le réprimande, vite fait !
Une fois seule, reprenant mes esprits, je réalise que j’ai causé un bordel du diable à l’école, et que j’ai de surcroît proféré envers l’équipe pédagogique des menaces de rétorsion si le coupable n’était pas puni…
Je suis mortifiée, de honte.
Néanmoins je ne peux décemment pas laisser planer un doute quelconque sur un élève ou continuer à porter préjudice à Madame DELENIKAS., même si mon opinion sur ses capacités pédagogiques ne risque pas de changer, il ne faut pas non plus tout mélanger ! Quitte à me couvrir à nouveau de ridicule, je dois avouer l’inavouable sur la chair de ma chair, le sang de mon sang, damned !
Aussi le lendemain, après une nuit d’insomnie à répéter dans ma tête mille fois le monologue final de la dernière scène du dernier acte de cette tragédie, le rouge de l’opprobre au front, je suis prête à affronter le directeur et l’institutrice, et je leur donne le nom du coupable, servi avec mes plus plates excuses. On dirait Louis de Funès en Dom SALLUSTE saluant servilement le Roi d’Espagne  dans La Folie des Grandeurs !
Toutefois, à ma grande surprise, le Directeur éclate de rire, se disant quasi admiratif de l’aplomb d’un petit bonhomme de cet âge et de son imagination aussi fertile puis, revenant à plus de sérieux il me remercie sincèrement d’avoir l’honnêteté de leur dire la vérité parce que peu de personnes auraient eu le courage d’avouer leur erreur. Je me suis abstenue de lui répondre tel fils, telle mère n’en menant pas large malgré tout, même si un moment de honte est vite passé.
La maîtresse, elle, accepte du bout des lèvres mes excuses mais compte tenu des arriérés que nous avons l’une envers l’autre, puis-je objectivement lui en vouloir ?
Le jour de la communion arrive et, mon fils, dans sa large aube blanche, aux plis amidonnés et repassés, est très mignon, même avec sa tête recouverte d’un trop grand capuchon blanc. Tout ça pour ça !
Enfin pour clore mon récit, à présent que Guillaume m’a fait le précieux cadeau d’une adorable petite fille prénommée Juliette, je peux avouer que j’ai vraiment hâte de l’avoir sur mes genoux, toute attentive à l’histoire que sa grand-mère va lui raconter, et qui commencera par il était une fois un petit garçon prénommé Guillaume qui avait une si jolie mèche blonde…


Image :  personnage de Grevil de Blois – Gosick (« anime » japonais)

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Hello,
Même commentaire du coup, avec cette impression de lire une histoire plus qu’une potentielle chronique écrite pour un podcast.
C’est toujours bien mené au niveau de l’écriture et toujours bien écrit. 🙂
Je n’ai pas trop accroché avec le sujet de l’histoire, mais ça… les goûts et les couleurs. 🙂

Je ne vois pas quelle nuance vous mettez entre « une histoire » et une « chronique pour un podcast ». Les exemples que je vous ai fait écouter ne sont pas des chroniques… 🙂

J’ai du mal à formuler un avis, d’un côté je pense que l’exercice est réussi, tu parviens à restituer à l’écrit ce qui aurait pu être raconté à l’oral, d’un autre, j’ai moins bien adhéré cette fois à ton histoire. En règle générale j’adore ta façon de traiter les sujets, et ton grain de folie que j’ai moins retrouvé cette fois. Encore que… le scandale fait à l’école est savoureux, surtout quand on connait la suite !
Bref, je suis mitigée, il va falloir que je relise tout ça. Mais je voulais te laisser un commentaire de première lecture.

J’imagine très bien cette mère de famille, elle est fort bien croquée.Quand j’ai lu ton histoire, je me suis dit, « ahc’est ça qu’il fallait faire! » donc pour moi tu as répondu à la consigne. J’imagine très bien ce texte à l’oral.

Hello. Personnellement je trouve que c’est une très belle anecdote. J’ai eu l’impression que le texte naviguais un peu entre récit et témoignage, au final ça sonne tout à fait comme un récit oral. J’ai beaucoup aimé ton texte et cette maman un peu foldingue (de trop d’amour) mais honnête. Merci.

Merci pour cette histoire tout à fait podcastable
La mission est accomplie, la situation est bien décrite, que ce soit le binz à l’école ou la honte ressentie quand on connaît le pot aux roses

Pour évacuer tout de suite le rapport à la proposition d’écriture… je dirais que c’est plutôt très réussi (parvenir si l’on peut à faire même d’une anecdote, une épopée en forçant le trait sur les effets, la « tchatche », à faire un tourbillon autour de … presque rien, et finir même avec une conclusion, une « morale », une ouverture qui est une leçon ou une expérience de vie).
Là où c’est loupé, mais c’est un détail, c’est l’ajout de dialogues ou des tournures comme : « Je ne comprends pas, dis-je » ; un dis-je qui n’est pas du discours rapporté, mais de la mise en scène. Les outils de la nouvelle, de l’écriture plus habituelle de fiction reviennent dès qu’ils peuvent par la fenêtre. À noter, et ce n’est pas évident, dans ce flot, une excellente, je trouve et pour parler de façon administrative, gestion des digressions, car ça reste fluide et le fil reste tendu. Après… c’est bien drôle, non ?
Pour répondre à un commentaire précédent : c’est bien un récit. Une « chronique » de podcast, terme qui est davantage journalistique (et n’est pas un billet de blog ou de journal, qui consisterait à consigner la vie), ce serait de prendre un fait d’actu, puis un autre, d’y ajouter du personnel ou pas pour délivrer un message qui serait plus d’ordre sociétal, pédagogique, politique, philosophique… (Une chronique c’est simple : vous prenez 1 fait, puis 1 deuxième, et 3e partie vous liez les deux pour obtenir un 3e fait ou faire sortir quelque chose qui était caché, et dernières lignes ajoutez un avis personnel et finissez sur un élément de réflexion pour le lecteur/ou un avis tranché).
Là, on est bien dans l’anecdote solarisée, amplifiée, drôlatique et encore une fois hormis les dialogues qui ne sont pas restituables à l’oral en l’état, on est bien dans le récit, le « je-te-raconte-un-truc », avec faconde et jubilation. De fait aussi, la fin n’est pas une chute, mais bien une conclusion de récit (j’espère que vous me suivez dans ce que je dis depuis le début sur cette proposition – dites-moi sinon) et donc ça colle très bien.
Je sais que l’exercice n’est en fait pas si évident, et prend à contrepied : on essaie d’écrire des nouvelles bien comme il faut, et puis soudain, voilà que la boîte à outils n’est pas complète, ou pas complètement adaptée. Et pourtant : il s’agit d’écriture, d’histoires. Les podcasts, tels que vous les entendez et qui vous racontent des histoires ont été soit préparés, soit remontés (le montage est une écriture), soit vraiment écrits pour, comme une présentation en entreprise ou une conférence ou je ne sais quoi, permettre une narration linéaire, claire. J’ai déjà dit ailleurs, mais je trouve que c’est intéressant parce que du coup vous voyez d’autant mieux vos outils issus de la nouvelle, vos réflexes, votre propre façon d’écrire et d’employer les conventions vis-à-vis du lecteur. En creux, s’ils nous manquent ou paraissent soudain indaaptés, ces outils de la nouvelle ou du roman, ou s’ils s’imposent, je trouve qu’on en apprend du coup soi-même sur sa façon d’écrire. Mieux : de lire aussi. Je vais arrêter de pontifier, mais juste un dernier truc : c’est la même problématique que les auteurs qui font parler un personnage (au « je ») et celui-ci nous raconte comment il est en train de faire des tonneaux dans sa voiture : c’est pareil, ce n’est pas possible, pas cohérent que quelqu’un en train d’être blaqueboulé dans sa voiture nous raconte de façon conscientisée ce qu’il vit seconde par seconde. De la même façon, lorsqu’un personnage de nouvelle ou de fiction raconte, c’est-à-dire qu’il est dans un processus de récit, il faut penser à changer de mode d’écriture : il ne peut pas raconter comme vous, vous écrivez votre histoire autour. (Dans un récent atelier il y a eu un article de presse au milieu d’une nouvelle… Il fallait là aussi changer de mode d’écrit. Tout cela donne des effets de réel). En somme, ce que je veux dire et puis j’arrête (car j’en vois déjà bailler au premier rang, désolé) se rendre compte de ce qu’on ne peut pas faire ou des « erreurs » qu’on peut commettre en se frottant à un mode d’écriture différent nous fera mieux nous rendre compte de ce qu’on fait quand on sera revenu dans ses chaussons habituels et avoir plus d’acuité sur ses textes (< vous avez vu, j’ai évité d’employer l’expression agaçante de « zone de confort » 🙂 ). Enfin, bref, pour revenir au texte de Zazie, on a bien ici la très bonne démonstration (si on virait les dialogues ou du moins réécrivait ces passages) que tout, TOUT, peut faire l’objet d’un récit, d’une histoire, d’une fiction, d’une nouvelle (bon, ça c’est une démonstration qui me tient à cœur, c’est vrai). C’est une question de moyens employés pour faire ressortir l’essence des faits narrés et le plaisir/le message/etc. qu’on veut faire passer au lecteur et qui justifient l’existence ou la necessité mêmes du texte. Idem dans les autres textes produits ici. Et j’ai l’impression d’ailleurs, et j’en suis heureux, que du coup cela a d’ailleurs motivé déjà plus de commentaires dès le début 🙂

Édité 3 années depuis que c'est paru - par Francis

Si vous voulez vraiment coller à la proposition, mais sinon ça peut rester en l’état. Si le lecteur ignorait la proposition, et lisait ce texte comme tel, il ne s’apercevrait de rien…

J’aime bien cette histoire drôle, rapidement menée, pleine d’auto dérision aussi. J’ai particulièrement aimé la référence à Joël Bats ! Cela m’a rappelé un de mes fils à qui on avait demandé de citer un grand poète français et qui avait répondu Renaud ! Ben pourquoi pas ?…
Cette mère de famille survoltée, un peu déjantée garde quand même un oeil lucide sur elle-même. Elle y va même assez fort. C’est rassurant !
C’est un bon moment de lecture. Merci !

Bonsoir !

Pour coller à la consigne/proposition d’écriture, je trouve que les premières lignes partaient bien, mais un ton plus écrit a pris le relai ensuite. Ceci dit, je me suis régalé.e à te lire. Merci merci merci pour le coup du ciseau, en le lisant j’ai eu un frisson de gêne et je me demandais s’il fallait en parler ou non dans les commentaires, si quelqu’un.e l’avait déjà fait… et tu désamorces le truc toi-même juste en-dessous. C’était parfait. Une tension pour psychorigides dans mon genre rondement menée, je suis aussi physiquement satisfait.e qu’après un profond éternuement (dans le coude bien sûr) réussi, qui soulage instantanément^^

Merci pour ce chouette moment de lecture 🙂