Le choix
Fin 1975, Béa a posé sa candidature pour un emploi administratif dans la banque Fortuna.
Faire des études n’était plus possible. Ses parents manquent de moyens et elle a décidé d’abandonner l’école.
Il est 8h30, ils sont 50 candidats pour l’examen d’entrée.
Après 3h de questions tous azimuts, elle sort un peu groggy et pas vraiment sûre d’elle.
On verra bien, elle a besoin de ce travail mais les autres aussi.
Quinze jours après, par courrier, on lui demande de se présenter dans deux jours au service du personnel. Elle commencera le jour même après avoir signé son contrat.
Exaltation, elle va pouvoir enfin gérer seule sa vie, sans aide et à sa guise, peu importe le travail puisqu’il est bien payé.
Et la voilà lancée dans la vie professionnelle, elle est contente, elle n’espérait pas décrocher un job si vite.
Béa vit dans une maison communautaire. Elle est la seule à travailler, tous les autres sont étudiants. Si elle arrive à mettre un peu d’argent de côté, elle aimerait louer un petit logement pour se sentir vraiment chez elle. Vivre en communauté a des aspects très sympa mais pas que…, malheureusement.
Décembre 1976, un an est passé. Les journées de Béa à la banque se déroulent sans surprise, elles se suivent les unes après les autres, mornes. Elle aurait aimé travailler dans le milieu médical ou social, c’est plutôt raté ! Elle est dans une banque, passant sa journée à classer des papiers.
Tous les jours, il faut étaler sur son bureau les virements, les classer par numéro de compte, ensuite, additionner les montants. Elle a l’impression de ne pas en voir la fin. Tout doit être prêt pour midi. Pas le temps de respirer ou de papoter.
12h15, c’est l’heure du déjeûner. Ses compagnons de table sont entrés dans la banque le même jour qu’elle mais ne travaillent pas dans le même service. Jean-Pierre a tout juste 20 ans, habite à Liège et vit toujours chez ses parents. Hugues a 29 ans, il est marié et sa femme attend un bébé pour l’été. Claire a 25 ans et vit au dernier étage du petit immeuble dont ses parents sont propriétaires.
Spontanément, ils se retrouvent tous les jours au restaurant. On parle de sa famille, des prochaines vacances. Pas de véritable amitié entre eux mais une entente amicale pendant un break au milieu d’une journée plutôt morose.
Certains jours, elle a envie de sortir se balader seule.
45 minutes de break, ce n’est pas long, elle a juste le temps d’avaler un verre de lait-fraise au bar de la galerie au bas de la banque et de filer vers le centre commercial pour avoir un peu de temps pour flâner.
13h, retour dans le service, 16h30, retour à la vraie vie.
Béa a 22 ans, aime lire, visiter les musées, assister à un concert. Nourrir son esprit, s’intéresser aux autres et à l’actualité, c’est important pour elle. Discuter avec les amis est un plaisir.
Avoir un travail sans intérêt est plus dur qu’elle ne l’avait imaginé et lui laisse un goût amer, très amer.
Elle paie cher de pouvoir se débrouiller seule. En fait, la liberté qu’elle croyait avoir, elle ne l’a pas vraiment. Ses journées sont longues à la banque et elle n’imagine pas que la seule vie qu’elle a ne servira qu’à passer des heures à un travail de routine, sans défi pour son esprit.
Certes, elle est très bien payée pour ce qu’elle fait mais elle n’est pas heureuse. Après un an, son contrat va être confirmé à moins qu’elle y renonce. Elle réfléchit beaucoup, elle a le temps pendant qu’elle classe ses papiers. Elle envisage toutes les possibilités.
Janvier 1977, Béa a pris sa décision. Elle va se lancer et demander un contrat différent et suivre des cours du soir pour apprendre un métier.
L’exaltation est revenue. Les journées passent à une allure folle. Elle arrive très tôt à la banque. A six heures, elle trie le courrier. Il faut tout répartir par service avant l’arrivée du personnel.
L’équipe du tri est sympa, tout le monde s’entend bien, on rigole beaucoup. Quand quelqu’un est un peu à la traîne, on l’aide.
Les journées sont plus courtes, elles se font d’une traite, sans pause à midi et à 13h, Béa est libre. Elle mange un sandwich sur le pouce dans la galerie et prend le metro pour Woluwe.
Elle a décroché un stage comme aide soignante à St Luc et travaille dans le service de médecine interne tous les après-midis. Le soir, elle suit des cours et espère obtenir son diplôme d’infirmère hospitalière dans quelques années. C’est dur et plus long que dans les cours de jour mais Béa se sent libre et voit l’avenir avec confiance.
Par Mathilde