Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatMai2017

Texte de Schiele

Garderai je un gout amer de toi?

De cette histoire que nous ne vivrons pas.

Sans toi j’apprends l’amour autrement. Celui à sens unique.

Celui qui se soucie de savoir ce que tu ressens, qui se réjouit de tes succès, sans jamais te toucher ni te parler. Celui qui renonce à passer mes mains dans ta crinière brune et à connaitre le gout de tes lèvres qui dessinent ce sourire que je chéris. Moi la cynique biberonnée à la petite maison dans la prairie, voilà comment je la négocie l’approche de la quarantaine? en m’éprenant d’un quasi inconnu de 9 ans de moins? Risible non? et tellement cliché .

A croire que Brigitte Macron fait des émules. Je symbiose avec mes contemporains.

Toutes ces heures à imaginer comment te recroiser, te séduire, retrouver la connivence de ces quelques soirées où ma vie a basculé en faisant ta connaissance. Et toutes ces autres à repousser cette idée tant elle bouleverserait trop ma cellule familiale adorée.

J’aime penser à toi en écoutant Between the buttons de French 79 et Je te sens venir de Juliette Armanet. Ils sont la synthèse parfaite de ce qui m’anime : un délire sensuel puissant et beau mais kitsch. Ou peut être kitsch mais beau et puissamment sensuel.

Comme une ado mal dégrossie, je visualise même notre mariage Une guinguette parsemée de tables aux nappes vichy, couleur lait fraise, des meules de foin et des lampions. Un décor léger, frais et joyeux comme les sentiments que je nous imagine. Ceux qui ne sont pas ternis par le quotidien. Là aussi un joli stéréotype de bobo en crise de milieu de vie.

Toi qui ignores tout des méandres et turpitudes de mon coeur anachronique.

Je ne saurai jamais comment tu aurais trouvé ces mots : touchants ? ridicules? mièvrement lyriques?

Je partirai en l’ignorant

Voilà quelques mois, je t’avais déjà écrit dans les ateliers de Gaëlle. J’y laissais tous les souvenirs que nous ne partagerions pas. A croire que je n’ai finalement pas beaucoup avancé depuis. Tu ne connaitras pas l’importance qu’ils ont pour moi. J’y maintiens le lien qui n’existera jamais entre nous.

Quelle curiosité de se dire qu’on peut vivre ce tumulte seule.

Quelle frustration de penser que tu avances sans savoir qu’une femme se vautre dans des envies de toi.

Mais quel confort de ne jamais me confronter à ta réalité. Car bien tapi au dedans de moi, je sais qu’il n’y pas de réciproque.

Ressentir ça tout en continuant la vie avec les miens.

Le Joker ou femme complexe?

Suis je l’un des deux?

Un monstre fou ou une humaine dépassée?

Nos choix définissent ils ce que nous sommes?

Je sais que je n’aurais jamais le courage de laisser ma vie basculer. Suis je trop lâche ou sage et lucide?

Je partirai sans le savoir.

Au fond ai je vraiment envie de me libérer de toi? du délire où je me suis enfermée .

D’où me vient cette conviction vertigineuse de possible bonheur total entre nous? Pourquoi?

Fébrile, instable, j’attends avec hâte que ton image et mes désirs s’étiolent.

Sans violon ni piano mélo.

Juste immuablement.

Que je souris à la mémoire de cette période trouble. Sans regret. Comme le souvenir d’un doux rêve qui longtemps continuera à m’habiter. Sans que tu en soupçonnes l’existence.

Nous sommes quelques mois avant mon déménagement qui mettra totalement fin aux possibilités de se croiser.

Mais d’ici là, dans deux semaines, nous nous retrouverons.

1 an jour pour jour, à la même fête. Je te reverrai la peur au ventre. La peur de ne plus rien ressentir ou celle d’être à nouveau submergée ? La première solutionnerait pragmatiquement mon problème. Mais ai je envie de laisser filer ce secret qui me fait vibrer dans l’intimité de ma douce folie intérieure?

Il y aussi celle que tu ne viennes pas. Tout resterait alors figé.

Mais ma vie sera jolie quand même. Elle l’est déjà.

J’explorerai d’autres versants de moi.

C’est une erreur de penser que j’ai besoin de toi pour me révéler.

Tu n’es pas le messager de la fin de ma jeunesse. Mais celui du début d’une autre vie. C’est ainsi que je le décide.

Par Schiele

https://www.youtube.com/watch?v=Kmx6OdrGOpM

https://www.youtube.com/results?search_query=je+te+sens+venir+juliette+armanet

Texte d’Emije

Province de Séville – Ville de Dos Hermanas

Il est 13 heures, les ruelles sont vides, une chaleur de plomb s’abat sur la ville, les volets sont clos, il n’y a pas un bruit, seul un vent sifflant agresse méchamment mes oreilles. Devenue sensible de l’oreille droite, depuis qu’un acouphène de « bruit de vent » est survenu, pendant six longs mois de ma vie. Ne pouvais-je faire plus original que de disposer en permanence d’un instrument à vent greffé au sein de mon oreille ? Sauf qu’il n’y avait que moi pour l’entendre….. Je traîne ma valise, accablée par la chaleur, je l’ai en horreur, tournant la tête de droite et de gauche pour repérer les numéros. Je cherche le n° 26 de la Calle de Santa Reparada. Plus que dix numéros et je suis enfin arrivée à destination. Se tient devant moi une belle bâtisse à la couleur framboise ou fraise écrasée, couleur beaucoup plus foncée que celle du lait fraise glacé que j’aurai bien siroté.

Des effluves de fleur d’oranger viennent titiller le bout de mon nez. Il ne fait aucun doute, je suis bien en pays méditerranéen. Je sonne. Une dame d’un certain âge m’ouvre. Elle porte jupe et tablier. Elle est à croquer. Buenos dias me dit t-elle d’une voix rauque et forte. Elle enchaîne les mots à la vitesse grand v et comme je ne comprends rien, elle me fait signe avec ses mains de bien vouloir m’asseoir et patienter.

Le long couloir de l’entrée est délicatement habillé en son mur de chapeaux de paille colorés et de plantes grasses accrochées dans des paniers.

Je reconnais la voix d’Ana qui me lance un holà en descendant les escaliers. Elle m’embrasse, on échange quelques mots et m’emmène à l’atelier. Nous traversons un patio avec du mobilier en fer forgé. Ana ouvre la porte et un doux parfum sucré avec une légère pointe d’amertume vient s’accrocher à moi. Elle sort du frigo le fruit, la fleur et la feuille et commence à me décrire l’objet de ma venue. Je viens la rencontrer pour en apprendre un peu plus sur le bigaradier appelé aussi oranger amer. Je le connais de nom ou pour en avoir déjà goûté à l’aube de mes 16 ans, la « so delicious british marmalade » pour laquelle je garde un souvenir tout particulier. Elle m’explique que le bigaradier est un agrume plus petit que l’orange douce. Sa peau orange est rugueuse, épaisse et teintée de vert. Sa chair est peu juteuse, acide et contient beaucoup de pépins. Elle est abondamment cultivée en Espagne et notamment à Séville d’où son nom d’Orange de Séville.

J’aperçois la dame âgée s’approcher de la porte de la verrière. Elle toque à la porte, Ana lui fait signe de rentrer et elle me demande si je souhaite me désaltérer. Elle me propose une citronnade fraîchement pressée. Ana s’empresse de traduire en simultané. Puis elle ouvre son ordinateur et me montre une vidéo sur les propriétés et principes actifs du bigaradier. Puis je lui pose la question de l’amertume dans l’orange amère et d’où lui vient son nom. Ana me répond que « les hommes » et l’amer ont une relation assez compliquée. Je souris. Son âpreté et acidité ne font pas un fruit très agréable à déguster nature, me dit-elle.

Alors que je suis émerveillée par la façon dont Ana me parle de botanique, de propriétés et de principes actifs une femme brune taillée comme un homme entre d’un pas ferme et décidé. Elle me prend par les épaules, m’embrasse chaleureusement. Je sursaute et rougis. Ana me présente sa sœur Esperanza, pantalon vissé dans des bottes, un petit chemisier à manches courtes en coton blanc laissant apparaître des bras dorés et musclés. Sa coupe de cheveux à la garçonne lui donnant un petit air taquin. Les deux sœurs me paraissent à l’opposé l’une de l’autre même si elles me donnent à voir une belle complicité. Ana me dit que sa sœur travaille plutôt sur le terrain, elle conduit les tracteurs, entretient les orangers, procède à leur récolte. C’est une femme de la terre. Elle respire l’authenticité et les vraies valeurs.

Esperanza propose d’ailleurs à Ana de m’emmener voir en fin d’après-midi l’orangeraie. Pour ma culture personnelle je suis ravie de pouvoir la découvrir et de pouvoir grimper sur un tracteur aux côtés d’Esperanza. Cette femme a quelque chose de troublant ……….. Les deux jours en terre andalouse arrivaient à leur terme. Je partais retrouver la capitale, les dîners à préparer, les files d’attente dans les ciné, mon mari, les cartables à préparer ……

Les mois passèrent et le 28 Novembre 2018 sortait, dans la Province de Séville, la crème révolutionnaire anti-âge : DOS HERMANAS.

Par Emije

Texte de Groux

Amélie a un petit gémissement en ouvrant les paupières. Elle cligne plusieurs fois des yeux, afin de s’habituer à la lumière blafarde au dessus d’elle. Sa tête lui fait affreusement mal.

Elle s’humecte les lèvres. Un goût amer et âcre la saisit aussitôt, manquant de la faire vomir.

Elle tente de bouger malgré la nausée qui monte. Aussitôt, une vive douleur lui coupe le souffle. Sa respiration s’accélère, son cœur se met à battre plus fort. Elle sent monter une crise d’angoisse.

Elle essaye de se remémorer ce qui a pu se passer. Elle se souvient être sortie du manoir, avoir recroisé le majordome qui lui avait tendu un verre – un verre de lait-fraise elle se souvient très bien – être remontée dans le taxi qui s’était mis à rouler. Puis elle s’était sentie très fatiguée et n’avait plus aucun souvenir de la suite.

Ses mains sont liées dans son dos et ses chevilles sont menottées et reliées à un tuyau. Le sol est en béton, aucune fenêtre n’est présente. La seule lumière vient de ce néon grésillant au-dessus de sa tête. Elle gémit en essayant de se redresser. Ses vêtements sont déchirés.

Soudain, elle entend du bruit venant de l’autre côté d’une porte métallique lui faisant face. Il lui semble reconnaitre des bruits de pas. Elle tente de se redresser, grimace de douleur. La porte s’ouvre dans un grincement terrifiant.

Amélie ferme les yeux, elle sait qu’elle est en mauvaise posture. Ses lèvres articulent une prière muette.

Elle rouvre les yeux, elle ne perçoit qu’une silhouette se tenant dans l’encadrement de la porte. Il fait trop sombre pour qu’elle ne distingue quelque chose.

Elle murmure un pitié, tandis qu’elle sent les larmes lui monter aux yeux.

L’inconnu s’avance dans la lumière. L’inconnu du bal. Amélie étouffe un cri. Comme la dernière fois qu’elle l’a vu, son doigt se pose surs lèvres tandis qu’il lui fait face, lui enjoignant de se taire.

Amélie ferme les yeux sous la vague de souvenirs qui la submergent. Elle ne comprend rien. Elle se met à trembler. Elle ne peut oublier la sensation qu’elle avait eue lorsque son torse s’était collé contre le sien, lorsque leurs lèvres s’étaient trouvées.

Sans un mot, il s’accroupit près d’elle. Sa main vient lui faire une caresse délicate sur sa joue. Elle sent sa peau s’électrifier à ce contact. Elle ne sait pas quelles sont ses motivations, elle ne réagit que de manière animale.

« Il faut faire vite, nous n’avons pas beaucoup de temps ». Une voix grave et chaude. Profonde. C’est la première fois qu’elle l’entend et elle se sent comme hypnotisée.

Elle perçoit ses doigts qui cherchent à la libérer de ses liens. Elle a mal mais ne dit rien.

Soudain la pression sur ses poignets se relâche et le sang se remet à circuler.

Il s’attaque alors aux menottes, se servant d’une épingle pour crocheter la serrure.

Une fois libérée, il l’aide à se mettre debout. Ses jambes ne la tiennent pas, ses genoux ont été pliés depuis bien trop longtemps. Sans qu’elle ne puisse rien faire, elle vacille et tombe contre lui. Ses bras musclées l’enserrent, la soulèvent et se mettent à la porter. Sans un bruit, ils passent la porte métallique. Elle n’a pas d’autres choix que de se laisser porter. Elle espère juste qu’il est bien en train de la sauver. De nouveau, son odeur enivrante. Elle ferme les yeux, se concentre sur ce parfum et se laisse couler.

Arrivés en haut d’un escalier de béton, l’inconnu ouvre une petite porte. Il tend l’oreille, il sait qu’ils courent un risque et qu’ils peuvent se faire attraper à tout moment. Il vise la fenêtre de la pièce d’à côté, celle qui lui a permis d’entrer et de venir la sauver. Mais avant cette fenêtre, il y a un corridor à traverser et durant quelques secondes, ils seront à découvert.

Il avance aussi doucement que possible, tenant fermement sa protégée par-dessus son épaule.

Il ouvre enfin la porte qui les mènera vers la sortie. Il fait quelques pas dans le petit salon, pose Amélie afin de pousser le battant de la fenêtre. Soudain, il entend des voix qui viennent dans leur direction. Il comprend qu’elles se dirigent vers la cave. C’est une question de seconde avant qu’ils ne s’aperçoivent de la disparition d’Amélie.

Il la prend par la main et lui désigne la fenêtre. Amélie va puiser dans ses dernières forces afin de trouver le courage d’escalader le rebord.

Après des secondes qui leur paraissent interminables, ils sont enfin de l’autre côté. Amélie se sent de nouveau vaciller et de nouveau s’effondre contre son sauveur. Encore une fois, il la soulève et ils s’enfoncent dans la nuit.

Par Groux

Texte de Mathilde

Le choix

Fin 1975, Béa a posé sa candidature pour un emploi administratif dans la banque Fortuna.

Faire des études n’était plus possible. Ses parents manquent de moyens et elle a décidé d’abandonner l’école.

Il est 8h30, ils sont 50 candidats pour l’examen d’entrée.

Après 3h de questions tous azimuts, elle sort un peu groggy et pas vraiment sûre d’elle.

On verra bien, elle a besoin de ce travail mais les autres aussi.

Quinze jours après, par courrier, on lui demande de se présenter dans deux jours au service du personnel. Elle commencera le jour même après avoir signé son contrat.

Exaltation, elle va pouvoir enfin gérer seule sa vie, sans aide et à sa guise, peu importe le travail puisqu’il est bien payé.

Et la voilà lancée dans la vie professionnelle, elle est contente, elle n’espérait pas décrocher un job si vite.

Béa vit dans une maison communautaire. Elle est la seule à travailler, tous les autres sont étudiants. Si elle arrive à mettre un peu d’argent de côté, elle aimerait louer un petit logement pour se sentir vraiment chez elle. Vivre en communauté a des aspects très sympa mais pas que…, malheureusement.

Décembre 1976, un an est passé. Les journées de Béa à la banque se déroulent sans surprise, elles se suivent les unes après les autres, mornes. Elle aurait aimé travailler dans le milieu médical ou social, c’est plutôt raté ! Elle est dans une banque, passant sa journée à classer des papiers.

Tous les jours, il faut étaler sur son bureau les virements, les classer par numéro de compte, ensuite, additionner les montants. Elle a l’impression de ne pas en voir la fin. Tout doit être prêt pour midi. Pas le temps de respirer ou de papoter.

12h15, c’est l’heure du déjeûner. Ses compagnons de table sont entrés dans la banque le même jour qu’elle mais ne travaillent pas dans le même service. Jean-Pierre a tout juste 20 ans, habite à Liège et vit toujours chez ses parents. Hugues a 29 ans, il est marié et sa femme attend un bébé pour l’été. Claire a 25 ans et vit au dernier étage du petit immeuble dont ses parents sont propriétaires.

Spontanément, ils se retrouvent tous les jours au restaurant. On parle de sa famille, des prochaines vacances. Pas de véritable amitié entre eux mais une entente amicale pendant un break au milieu d’une journée plutôt morose.

Certains jours, elle a envie de sortir se balader seule.

45 minutes de break, ce n’est pas long, elle a juste le temps d’avaler un verre de lait-fraise au bar de la galerie au bas de la banque et de filer vers le centre commercial pour avoir un peu de temps pour flâner.

13h, retour dans le service, 16h30, retour à la vraie vie.

Béa a 22 ans, aime lire, visiter les musées, assister à un concert. Nourrir son esprit, s’intéresser aux autres et à l’actualité, c’est important pour elle. Discuter avec les amis est un plaisir.

Avoir un travail sans intérêt est plus dur qu’elle ne l’avait imaginé et lui laisse un goût amer, très amer.

Elle paie cher de pouvoir se débrouiller seule. En fait, la liberté qu’elle croyait avoir, elle ne l’a pas vraiment. Ses journées sont longues à la banque et elle n’imagine pas que la seule vie qu’elle a ne servira qu’à passer des heures à un travail de routine, sans défi pour son esprit.

Certes, elle est très bien payée pour ce qu’elle fait mais elle n’est pas heureuse. Après un an, son contrat va être confirmé à moins qu’elle y renonce. Elle réfléchit beaucoup, elle a le temps pendant qu’elle classe ses papiers. Elle envisage toutes les possibilités.

Janvier 1977, Béa a pris sa décision. Elle va se lancer et demander un contrat différent et suivre des cours du soir pour apprendre un métier.

L’exaltation est revenue. Les journées passent à une allure folle. Elle arrive très tôt à la banque. A six heures, elle trie le courrier. Il faut tout répartir par service avant l’arrivée du personnel.

L’équipe du tri est sympa, tout le monde s’entend bien, on rigole beaucoup. Quand quelqu’un est un peu à la traîne, on l’aide.

Les journées sont plus courtes, elles se font d’une traite, sans pause à midi et à 13h, Béa est libre. Elle mange un sandwich sur le pouce dans la galerie et prend le metro pour Woluwe.

Elle a décroché un stage comme aide soignante à St Luc et travaille dans le service de médecine interne tous les après-midis. Le soir, elle suit des cours et espère obtenir son diplôme d’infirmère hospitalière dans quelques années. C’est dur et plus long que dans les cours de jour mais Béa se sent libre et voit l’avenir avec confiance.

Par Mathilde

Texte d’Ariane – mai 2017

A l’invention de la langue française, les mots étaient concrets. On pouvait dire « citron », « vie » et « pluie » mais on ne savait pas dire qu’il pleuvait des cordes ou que la vie avait un goût amer. On ne connaissait pas d’expression imagée, il n’existait aucun mot superflu, pas un seul synonyme. Le vocabulaire était concis, simple, efficace et, il faut le reconnaitre, nettement plus pratique que les gestes et grognements d’avant. Les scientifiques plébiscitaient le pragmatisme de cette langue opératoire. Une idée = un mot et vice-versa. La pensée était binaire, pas de malentendu possible, pas de nuance non plus. L’économie française était alors des plus florissantes, les transactions se faisaient sans accroc, le commerce était à son apogée.

Cependant, les francophones furent très vite réputés pour leur morosité. On les décrivait déjà comme des gens se plaignant sans cesse. Un automne particulièrement pluvieux fut à l’origine de nombre de dépressions et, les antidépresseurs et psychiatres n’existant pas en ces temps-là, de suicides. Il fallait sans cesse trouver des commerciaux remplaçants et les affaires en pâtissaient. Le gouvernement pris une mesure d’urgence et convoqua une commission exceptionnelle. Celle-ci avait pour objectif de réformer la langue française afin d’apporter du bien-être à la population. Une mesure peu couteuse dont on espérait des résultats rapides.

Il fut choisi pour cette mission de la plus haute importance trois personnes rêveuses et décalées. Il y avait Robert, un poète qui désespérait du manque d’originalité de sa langue et utilisait depuis longtemps des néologismes. La deuxième était une femme à la chevelure magnifique, rousse et bouclée, connue pour ses frasques extravagantes. Et parce que le commerce était l’objectif final, un commercial, féru d’achats en tout genre, présidait la commission.

Robert, la Rousse et Achète commencèrent par inventer des mots rigolos, comme topinambour ou baragouiner. Ensuite, ils inventèrent des mots poétiques, juste pour leur beauté et leur douceur : mélancolie, clapotis. Et ils virent des sourires se dessiner sur les visages du panel de compatriotes, venus tester la nouvelle langue. Mais il leur manquait encore des rires et des étincelles. Ils en conclurent qu’il fallait changer les choses plus profondément, modifier leur façon de penser.

Pour ce faire, ils prirent la décision de créer des expressions imagées, convaincus que cela transformerait profondément les Français et changerait leur vision du monde. Ils travaillèrent d’arrache-pied, désirant plus que tout combattre les idées noires des Français et contrer la vague de dépressions. Les dictionnaires se remplissaient à vue d’œil. La fièvre acheteuse du président était repartie de plus belle, il se frottait les mains en pensant à toutes les nouvelles transactions qui allaient voir le jour. Il se voyait déjà vendre des mugs en pagaille, sur lesquels il écrirait : « ne ramène pas ta fraise », « prends-moi pour une quiche » ou « lâche-moi la grappe ». Robert, quant à lui, était enchanté par leurs inventions et ne quittait plus le petit nuage sur lequel il s’était installé. Régulièrement, il proposait à des jeunes femmes séduisantes d’aller boire un verre. Malheureusement pour lui, elles ne comprenaient pas encore pourquoi il était rouge comme une tomate et lui répondaient qu’elles n’avaient pas soif. Il y en eut même une qui lui expliqua qu’elle buvait seulement du lait-fraise et jamais de verre car cela faisait mal aux dents !

Le jour où ils présentèrent leurs dictionnaires au gouvernement, ils étaient fiers comme des coqs, persuadés de l’accueil chaleureux qu’on allait leur réserver. Ils ne s’attendaient pas à la volée de bois verts qu’ils reçurent, le gouvernement arguant que leurs mots et expressions allaient provoquer des malentendus à la pelle et compromettre toute l’économie française. Mais cela était trop tard, après l’approbation du panel, les dictionnaires avaient été envoyés aux 4 coins de la France !

Comme vous le savez, les Français n’ont pas arrêté de se plaindre pour autant et leur économie a pris un sacré coup. Cependant, notez qu’ils sont devenus joyeux et inventifs… même s’ils se mettent souvent la rate au court-bouillon !

Par Ariane

Texte d’Ademar Creach

Non. Non, non, non. Elle veut dormir. Fuir dans le sommeil. Oublier. Elle serre les paupières, elle ne veut pas voir si le jour est levé. Ou pas. Dormir. Peut-être que si elle prenait un livre… Comme ça, soit elle se rendort, soit elle s’enfuit dans les histoires des autres. Tout plutôt que de réfléchir et de prendre la réalité en pleine face… ou au moins de la regarder. De se regarder. En face. Oui, c’est une réaction immature. Oui, elle n’est qu’une gamine. Il lui a bien dit, bien fort, devant tout le monde hier soir. Non, non, ne pas repenser à cette soirée horrible qui lui laisse un goût amer. Ou pas…

Elle hésite. Elle a soif. La bouche pâteuse. Pire qu’une gueule de bois. Et pourtant, ce n’est pas avec ce qu’elle a bu hier soir. Justement. Au contraire. Et même pas de tic-tac à proximité pour chasser cette – supposée ? – mauvaise haleine. Boire un verre d’eau est donc la seule solution. Donc se lever. Ne plus pouvoir se rendormir. Mais bouge-toi. Tu ne vas pas rester la journée sous la couette. Et, encore, heureusement on est dimanche. Pas besoin d’affronter les autres au boulot. Elle gémit… en une seule soirée, elle a réussi à réduire à néant sa (future) vie personnelle et sa vie professionnelle. C’est maintenant qu’elle aurait besoin d’un alcool fort. Quelle imbécile ! Elle parle de qui, là ? D’elle ? De lui ?

Oui, c’est aussi un peu à cause de lui qu’elle en est arrivée là. Pourquoi s’est-il moqué d’elle, devant les autres ? Il n’a pas compris qu’elle signait ainsi ses adieux à l’enfance et son passage à l’âge adulte. Et même. On ne se moque pas de sa future épouse comme ça. Et cette petite voix que ne cessait de lui répéter : il ne te connaît pas, il ne te comprend pas…

Elle ne s’est pas reconnue. Les autres non plus d’ailleurs. Elle, Aliénor, la petite fille sage, bien élevée, qui reste toujours dans le droit chemin : bonne élève, à peine une petite crise d’adolescence, des études sérieuses qui la rassurent, elle, et surtout ses parents, une embauche assez rapide dans une entreprise familiale. Un bon poste, un salaire correct. Des amis de jeunesse toujours présents. Des loisirs classiques : lire, nager, aller au cinéma. Une vie tranquille. Trop ? dirait Anthéa sa meilleure amie, qui se pique de mieux la connaître qu’elle-même. Qui lui martèle que cela ne ressemble pas à ce qu’elle est vraiment. Tout au fond, là. Elle qui n’a pas voulu voir ses talents de peintre, qui a étouffé ses rêves artistiques. Car la liste de la petite vie où tout est bien rangé dans des cases continue : la rencontre avec le fils du patron. Jean-François. Bien sous tous rapports. Sérieux. Un bon parti comme dirait ma grand-mère. Deux ans pour apprendre à se connaître, à sortir ensemble… jusqu’à la soirée d’hier, prévue pour annoncer à leurs parents et amis leurs fiançailles. Sous le regard rassuré des uns et narquois des autres.

Ok, elle se sentait un peu en retrait. Jean-François parlait beaucoup, décrivait leur future vie, les enfants, etc… elle se sentait un peu enfermée déjà. Comme si, une fois de plus, on choisissait pour elle. D’où peut-être sa demande enfantine et transgressive quand le serveur était venu prendre sa commande. Cela avait fait sourire ceux qui la connaissaient depuis longtemps et savait que c’était sa boisson fétiche il y a quelques années. Bizarre pour fêter ses « premiers » pas en couple… mais, pour une fois, elle avait suivi son envie. Et il n’avait pas compris. S’était moqué d’elle. Prenant les autres à témoins du fait qu’elle ne grandissait pas et qu’heureusement, il était là.

Alors, elle avait vu rouge. Et lui, rose. Un geste insensé. Instinctif. Irréfléchi. Tout son contraire. Quoique… Elle lui avait jeté son verre de lait-fraise à la tête et était partie en courant. Le pire ? En se sentant plus libre que coupable… Ok, le réveil était difficile ce matin. Mais cela aurait été pire si cela avait été un réveil à côté d’un homme qui ne la comprend pas, qui la prend de haut… et pour le restant de ses jours.

Oui, je vais me bouger. Suivre mes envies. Changer de vie – bien obligée ! Elle entend d’ici ces parents « tu l’as bien cherché, il ne voudra pas te revoir »…oui, certainement, c’est ce je cherchais… sans même en être consciente.

Par Ademar Creach

Texte d’Ann

Il posa calmement son sac en cuir dans l’entrée, sur le banc, suspendit son imperméable noir sur le crochet. Il s’assit pour enlever ses chaussures, se fit la réflexion qu’elles étaient vraiment très pointues. Peu importe, faites sur mesure, elles étaient parfaitement confortables. Et puis ça l’amusait. Il enfila des chaussons trouvés dans le placard, jeta un œil à ses cheveux dans le grand miroir au dessus de la commode, sourit, un peu désabusé.

Il rejoignit le salon et se servit une absinthe dans un verre en cristal. Il fit tourner l’alcool dans le verre quelques secondes, admirant la belle couleur verte, avant de sacrifier au rituel. Etrange odeur de plantes, presque de médicament. Il posa le sucre sur la cuillère, elle-même sur le verre puis versa l’eau fraîche au goutte à goutte, regardant le sucre fondre lentement. La sulfureuse fée verte, disait son grand-père. L’eau vint troubler le liquide et libérer tous les arômes. Il donna quelques coups de manivelle au gramophone, les premières notes de musique s’élevèrent dans la pièce. Le soixante dix huit tours entonna Carmen de Bizet. Il avança l’aiguille jusqu’à trouver l’Habanera:

« L’amour est un oiseau rebelle

que nul ne peut apprivoiser

et c’est bien en vain qu’on l’appelle

s’il lui convient de refuser […]

L’amour est enfant de bohème
Il n’a jamais jamais connu de loi
Si tu ne m’aimes pas je t’aime
si je t’aime prends garde à toi… »

La musique résonnait dans l’immense salon du manoir. Il se dirigea vers la cuisine, le piano de cuisson rutilait. On avait disposé un panier de fruits sur le bar. La clé de la cave à vin, munie de son étiquette, était posée en évidence, juste à côté. La vieille table de chêne sentait fort la cire d’abeille. Le réfrigérateur américain regorgeait de nourriture. Il inspecta les meubles, les tapis, le sol dans les différentes pièces. Pas un brin de poussière. Parfait. Il fit un tour rapide des chambres, vérifia la propreté des sanitaires, si le linge de lit avait été mis à disposition correctement…

Rasséréné, il retourna à la cuisine. Il trempa ses lèvres dans l’alcool. Un goût puissant et amer le fit grimacer. Il éclata de rire. Il n’aimait toujours pas ça. Cette sorcière aux yeux verts lui avait fait tourner la tête, tout-à-l’heure. Quel regard étrange, exactement de la même couleur. Il aurait bien volontiers entamé la conversation, mais elle parlait déjà à quelqu’un, au téléphone, expliquant je ne sais quoi sur un long trajet en voiture à faire le soir-même. Il n’avait pas osé. Il but une dernière gorgée à sa santé, jeta le reste dans l’évier, lava rapidement le verre, la cuillère à absinthe, les essuya et retourna les ranger dans le vaisselier de la salle à manger. Son portable émit un bip. Message de son ex-femme disant que le chauffeur déposerait Charly à 21h devant la porte de son immeuble pour le week-end et demandant la confirmation qu’il serait rentré pour accueillir leur fils. Il répondit, remit le téléphone dans sa poche, soupira d’aise. Il passa au salon arrêter le gramophone. Son regard s’égara sur la roseraie.

Une berline se gara dans la cour, des portières claquèrent. Il fila dans le vestibule, remit rapidement chaussures et imperméable noir. Il descendit accueillir les visiteurs, leur donna les clefs, leur souhaita un bon week-end et s’en alla nonchalamment par l’allée. Puis il bifurqua sur un petit chemin dallé qui traversait le parc jusqu’à une porte dérobée. Il sortit une grosse clef brune de sa poche, la glissa dans la serrure, se retrouva sur la rue, referma puis se dirigea vers l’arrêt du bus à quelques pas de là. Pratique cette nouvelle façon de louer le manoir ! Et puis son grand-père avait toujours eu un sens de l’humour prononcé. Des touristes dans la demeure familiale, qui passeraient devant les armoiries et les tableaux des ancêtres sans y prêter la moindre attention. Une bouffée de joie l’envahit. Il aimait son petit appartement en ville, n’en déplaise à son ex-femme ! Plus de personnel, les transports en commun, son cabinet, ses patients, une vie simple, les moments complices avec son fils. Le bonheur ! Comme le verre de lait fraise qu’il préparerait à Charly tout-à-l’heure et soit-dit en passant, c’était tout de même meilleur que l’absinthe. Il en riait encore en mettant le casque sur ses oreilles :

« …Let’s raise a glass or two,

To all the things I’ve lost on you
Oh-oh Tell me are they lost on you?

Oh-oh Just that you could cut me loose

Oh-oh After everything I’ve lost on you

Is that lost on you? … »

Par Ann

Texte de Lizou

« J’ai envie de toi »

Sonia venait de rentrer chez elle. Il faisait nuit, il pleuvait. Le temps était à l’image de son moral : maussade.

« J’ai envie de toi »

Elle s’installa devant sa coiffeuse, défit sa coiffure, retira le boucles d’oreille qu’elle avait hérité de sa mère un an auparavant.

« J’ai envie de toi »

*

Le week-end de Pentecôte s’annonçait parfait. Jean et elle avaient loué un appartement à Deauville, en bord de mer. Il faisait beau, loin de la grisaille parisienne.

**

« J’ai envie de toi »

Elle se mit à pleurer.

Ce qui s’annonçait comme un conte de fées (elle s’était surprise à rêver d’une demande en mariage sur la plage, au clair de lune) a tourné en cauchemar.

Une phrase. Cinq mots. « J’ai envie de toi »

*

Jean et Sonia étaient installés au « Bar de la Mer », afin de profiter de la vue. Jean avait commandé un double espresso. Sonia un verre de lait fraise, sa madeleine de Proust à elle. Le téléphone de Jean se mit à sonner.

Il invoqua un « coup de fil important pour le boulot », se leva, jeta un billet de 50€ sur la table, et s’éloigna.

Au bout d’une demi-heure, ne le voyant toujours pas revenir, Sonia ramassa la monnaie et partit à sa suite.

Elle l’aperçut au loin. Même de dos, elle le trouvait beau, avec ses cheveux bruns et sa silhouette musclée mais pas trop.

Sonia adorait la météo Normande en cette saison automnale. Le soleil, un peu de vent mais pas trop, des températures encore très correctes pour un mois d’octobre. Mais ce qui lui plaisait le plus, c’était la luminosité, surtout en fin de journée, quand le soleil se couchait.

Jean marchait, les pied dans l’eau, les chaussures à la main. Sonia décida de le surprendre en arrivant derrière lui. Elle l’entendait rire. Il semblait très détendu, pour quelqu’un qui parlait boulot. Mais Jean aimait son métier. Être trader à son compte, c’est un métier permanent, mais il était très calé dans son domaine, et malgré son âge (35 ans), il bénéficiait déjà d’une certaine notoriété.

Elle s’approchait de lui discrètement, pour le pas le déranger.

C’est alors qu’elle l’entendit prononcer ces mots.

« J’ai envie de toi ».

Bien-sûr, il ne s’était pas rendu compte qu’elle était derrière.

Elle avait peut-être mal compris.

« J’ai envie de toi ». Comment pouvait-elle envisager qu’il ait pu dire ces mots à quelqu’un d’autre ? Quand les lui avait-il dits à elle pour la dernière fois d’ailleurs ?

Certes, leur vie sexuelle n’était pas aussi trépidante qu’au début de leur histoire, il y a cinq ans. Mais elle n’était pas inexistante non plus. Sonia mettait ça sur le coup de la routine, d’ailleurs. Aucun signe n’avait jamais donné l’impression que.

Sonia ne sut pas quoi faire, comment réagir. Les paroles qui suivaient étaient sans équivoque. Aucun doute n’était possible.

Il ne s’était toujours pas rendu compte de sa présence. Elle s’était arrêtée. Il avait continué à avancer.

Elle décida de faire demi-tour. Elle retourna à leur appartement. Jean avait la sale manie de ne jamais fermer à clés. Pour une fois, c’était une bonne chose.

Elle fit sa valise, appela un Uber et se rendit à la gare de Trouville-Deauville, pour emprunter le premier train pour Paris.

Elle était partie sans un mot.

Elle arriva à leur appartement aux alentours de 21h30. Elle avait coupé son téléphone jusque-là. Quand elle l’alluma, elle découvrit que Jean avait essayé de l’appeler plusieurs fois. Et laissé plusieurs messages. Qu’elle choisit d’effacer sans les écouter.

**

Après s’être démaquillée, elle éteignit la lumière, et alla s’asseoir près de la fenêtre, sur laquelle l’eau ruisselait.

Cette vue sur la Tour Eiffel allait lui manquer. Jean aussi, certainement. Après tout, ils avaient vécu ensemble cinq merveilleuses années.

Mais pour l’instant, la tournure qu’avait prise ce week-end qui s’annonçait pourtant si bien lui laissait un goût amer.

Par Lizou

proposition mai 2017

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Le prochain atelier aura lieu en Juin (lancement le vendredi 2 au soir). Il est complet.

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Voici venu le joli mois de mai, à ce qu’il paraît… Mais histoire de jouer les trublions, je vous propose ce mois-ci de construire votre texte autour de cette expression : « un goût amer ».

Vous pouvez bien évidemment la prendre dans son sens premier, comme au figuré.

A vous d’imaginer quels personnages, quelle intrigue vous allez tisser autour de ce « goût amer », qu’il soit purement gustatif ou psychologique, qu’il soit actuel, passé, ou à venir.

Et pour faire contrepoint, je vous propose de faire intervenir quelque part dans votre texte, à votre guise, de manière purement anecdotique/secondaire, ou au contraire essentielle, un verre de lait-fraise.

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