Assis dans un coin du parking, sur une bille d’épicéa, le bonnet enfoncé sur les yeux, la tête dans les mains, il attend son tour.

Le soleil est au zénith et chauffe lourd. La sono diffuse en boucle les derniers tubes de l’été séparés par d’autres déjà anciens. Le son est si fort qu’il met mal à l’aise. Le concurrent voisin le pousse de l’épaule et lui annonce son numéro de bille, le 4.

Il sort brusquement de sa torpeur, arrache ses deux haches plantées à côté de lui dans le bois, et avance vers le numéro 4. Les négresses vertes entament « Voilà l’été », on entend « la mer, quelle saloperie», il a le sourire et pense à Elno.

Couché sur le sol, l’arbre qui l’attend est un épicéa, de 38 cm de diamètre, écorcé la veille, lisse et humide en surface, perlé de gouttes d’eau et de résine. Les remugles qui se dégagent de tous ces bois, des tronçonneuses et des hommes font remonter des souvenirs d’origines de parents, de famille…mais retour à l’épreuve.

Il évalue la zone imposée pour la coupe, passe la main dessous pour détecter la moindre cheville qui mettrait fin à tout « exploit ». Trace à la craie l’angle idéal à respecter. Après chacun des six bûcherons de la série fait de même avec plus ou moins de sérieux.

Le départ arrive, répéter une énième fois l’ordre des trois premiers coups, déterminants.

Ne pas prendre « plein fer », personne n’est capable de rentrer une hache ainsi.

Faire le vide, respirer, les deux premiers coups sont parfaits, le bois éclate, le troisième dévie un peu ; au cinquième, le bruit n’est pas le même. Des cernes noirs apparaissent dans le bois, sa vue se brouille, le cœur de la bille ne veut pas sortir, le sien voudrait presque.

Une clameur dans la foule annonce le vainqueur de la série, ce qui freine les ardeurs.

Réveil dans un lit tout petit avec un bip-bip inconnu, une infirmière s’affaire, l’équipe médicale va passer avec une panoplie de gros mots « AVC, vacances, repos, chance ».

Par Pierrot