Proposition d’écriture – Novembre 2022

Pour cette proposition d’écriture en mode contrainte de romancier-e, je vais vous raconter une véritable histoire issue d’un article de Libération ; article que j’ai lu à l’époque de sa parution, qu’hélas je ne peux vous reproduire (j’ai cherché dans leurs archives, mais il n’a visiblement pas été numérisé. C’est toutefois une histoire que je connais très bien, puisqu’elle m’a permis, en 1998, en l’utilisant, de gagner un concours de nouvelles *).
Fin 1996 ou courant 1997, la Société Générale a quitté son immeuble haussmannien  pour s’installer dans plus grand, plus moderne à la Défense. Mais voilà : sous l’immeuble historique se trouve une des plus grosses salles des coffres de France, datant de 1906 (> cet article ici paru à l’occasion de Journées du patrimoine raconte l’histoire cette salle ; article dont je vous recommande la lecture pour l’atelier ).


Dans cette salle, il y a 8 000 coffres privés. Lorsque la banque a décidé de déménager, elle a donc très en amont battu le rappel des propriétaires de coffres pour qu’ils récupèrent leurs biens et les replacent dans un nouveau coffre du nouveau siège, ou les gardent avec eux, selon leurs désirs. La procédure a été très longue. Beaucoup de propriétaires habitant à l’étranger, étant décédés (le coffre se trouvant dans une succession en cours de règlement, par exemple), ou très difficiles à joindre…

Au bout d’un très long processus il est resté une cinquantaine de coffres avec plus personne qui répondait ou était identifiable. Problème : ces coffres sont privés et on n’a pas le droit de les ouvrir. La banque a alors dépêché des  détectives spécialisés qui ont tout de même identifié après de longues enquêtes des ayant-droits aux quatre coins du monde, certains de ceux-ci ignorant qu’ils s’étaient retrouvés propriétaires d’un coffre. Les enquêteurs sont tombés notamment, et évidemment hélas, sur des histoires de familles juives spoliées durant la guerre, exterminées par les nazis, comme sur des destinées inattendues, des héritiers vivant en Patagonie ou ailleurs… On peut imaginer les mille choses possibles, aux quatre coins comme je l’ai dit, de la planète, et il y a eu d’ailleurs pléthore de cas étonnants ; des existences malmenées, ballotées, par les aléas de l’Histoire d’ici et d’ailleurs.

L’article expliquait qu’après ces longues enquêtes et résolutions, il ne restait plus que 5 coffres dont on ne retrouvait trace ni des propriétaires, ni des héritiers, ni de personne. Comme il  fallait en finir, une procédure a été alors déclenchée : sous contrôle d’huissier et des hauts cadres de la banque, on a fracassé ceux-ci, on a établi l’inventaire de leur contenu pour le transférer dans de nouveaux coffres du nouveau siège en attendant que quelqu’un vienne un jour réclamer ledit contenu — ce qui est peu probable. Les contenus n’appartenant pas à la banque.

Sous le regard des officiels, de l’huissier (et du journaliste de Libération qui avait réussi à s’incruster, ayant eu vent de l’affaire), on a donc ouvert les coffres. Les 4 premiers… étaient vides. Le cinquième, lui, contenait des objets.

Voici la liste officielle, telle que décrite par l’huissier dans l’article, sans plus de précisions :

« Un sac plastique contenant de la ficelle, un sucre, un peigne et un vieux numéro du Herald tribune. »

On  a alors placé ces objets dans un nouveau coffre du nouveau siège, et on les a enfermés à jamais… sauf si quelqu’un, comme je le disais, un jour, peut prouver qu’il en est le propriétaire. La Société Générale garde donc depuis le déménagement du siège un sac plastique contenant de la ficelle, un sucre, un peigne et un vieux numéro du Herald tribune, pour l’éternité.

Voilà. Vous me voyez venir ? : À vous d’imaginer pourquoi ces objets ?, comment sont-ils  arrivés-là ?, à qui ils appartenaient ou appartiennent-ils désormais ?, que représentaient-ils  pour la personne détentrice du coffre ? Bref, construisez (mentalement) votre propre histoire, votre propre saga historique et familiale parmi l’infinité des possibles…  Tout cela sur au moins environ 80 ans (1906 construction de la salle > vers 1990 début du rappel des propriétaires en vue du déménagement), sachant par ailleurs que le New York Herald Tribune est un quotidien new-yorkais publié entre 1924 et 1966, soit 51 ans.  (Mais rien ne dit que le peigne n’est pas de 1910, le sucre de 1981, et la ficelle de 1975…). 🙂

Attention : quand je dis d’imaginer… Je ne vous demande pas d’écrire l’histoire de ces objets, et au travers d’eux des gens, des destins, du siècle… Ce serait un sujet de roman de plusieurs centaines de pages. Je vous propose simplement de m’écrire une nouvelle/chapitre qui nous fait croiser au moins un de ces objets, à une époque que vous voulez (dans le créneau identifiable, les 80 ans, 51 ans pour le journal), avec le personnage que vous voulez, dans la situation que vous voulez… Et avec des signes, des indices qui nous fassent penser pourquoi cet objet de la liste était devenu très précieux.


(*) Pour parler de moi : j’ai gagné en 1998 une somme rondelette (le 1er prix) offerte par le journal L’Humanité qui dotait à l’époque richement chaque année un concours de nouvelles. Mon texte racontait le moment de la fracture des coffres, ce qui signait, dans mon récit, le départ en retraite de l’employé de service attaché à la salle, c’est-à-dire la fin de sa vie professionnelle, et des souvenirs incroyables qu’il y avait vécus avec les client(e)s. L’employé, dans ma nouvelle, découvrant le contenu du dernier coffre lors de la procédure d’ouverture, explique qu’il décide de consacrer sa retraite à écrire un roman balayant le siècle… en essayant de raconter comment ces objets sont arrivés-là et en quoi, pour lui ils scellent la fin d’une époque, et quelque part, deviennent importants pour lui car ils lui permettront de revenir sur sa propre existence.
( En somme, vous ne pouvez pas me faire le coup de la scène d’ouverture des coffres : cela a déjà été écrit :-))
Les photos sont extraites de l’article cité ci-dessus.