Toujours ces mêmes rêves récurrents. Je pourrais dire ce même rêve. Car bien qu’il se passe dans des lieux différents, dans des périodes différentes, le fond est le même. Je n’arrive pas à définir s’il s’agit de rêves ou de cauchemars.

Cela commence toujours par des matins semblables aux autres. Je me vois me lever, me préparer, accomplir chaque geste du quotidien. C’est lorsque je m’approche de la salle de bain que tout se complique, que l’angoisse arrive. Je passe donc la porte, afin d’aller me coiffer et me maquiller. Et à chaque fois, je vois cette silhouette dans le miroir. Il me semble distinguer une femme, ses intentions sont hostiles. Elle a un air sévère et me juge. Ses traits sont flous et déformés mais je sens qu’elle ne m’aime pas. Jusqu’à présent, je me réveillais en sueur, me sentant tétanisée par ces yeux inquisiteurs.

Au fur et à mesure des nuits, j’ai réussi à ne plus me réveiller, à aller plus loin dans ce rêve. Je sais qu’elle sera là, qu’elle me jugera, mais j’ai appris à ne plus avoir peur d’elle. Je crois même que je me suis habituée à sa présence. Mon rêve continue de se dérouler, je revis mes journées de travail, mes sorties ou mes loisirs. Mais, contrairement à la vraie vie, je ne suis jamais seule où que j’aille.

Je me demande qui sont ces personnes que je croise. Etranges étrangères me suivant comme mon ombre. Certaines me font peur, d’autres me rendent heureuse. Je crois que je pourrais en aimer quelques unes.

Il y a la silhouette que je croise lorsque je m’occupe de mes enfants. Celle-ci est beaucoup plus culpabilisante dans sa posture. Autant celle de la salle de bain me fait me sentir moche, me montre tous mes défauts et me pousse à fuir le miroir, autant celle avec les enfants me fait me sentir une mauvaise mère. Elle pointe mes manquements, mes agacements, mes paroles plus sèches que je ne le voudrais. Quand elle apparait, j’ai envie de devenir toute petite, et de demander pardon à mes enfants de ne pas être la mère parfaite que j’aimerais être.

Il y a la silhouette du travail. En sa présence, je sens que je ne fais pas correctement mon travail. Chaque nuit, je revis ma journée professionnelle et je me demande comment j’aurai pu l’améliorer, comment mes collègues font pour être plus efficaces que moi.

J’ai appris à apprécier celle du parc. Elle me faisait peur au début, puis j’ai ressenti de la bienveillance. Elle apparait lorsque je me vois me promener au bord de l’étang, souriant à la vue des écureuils ou offrant mon visage au soleil.

Dernièrement, mes rêves se modifient. Je vois plutôt des sortes de flashs de mes actions. Un passage avec mes enfants lorsque nous cuisinons un gâteau, un moment lorsque je suis installée au creux de mon hamac et que je lis ce livre qui me plait tant, cet instant où cette vieille femme m’a souri, les yeux remplis d’émotion après que je me sois arrêtée pour discuter avec elle… Toutes ces silhouettes étrangères sont là et m’observent, me suivent. En fonction des lieux, des moments, des actions, elles me sont plus ou moins hostiles, plus ou moins aimantes.

Celle que je préfère est celle qui est proche de moi lorsque je me vois écrire. Dans ces moments là, je me sens bien et je me sens fière de moi. Je sais que l’étrangère est penchée par-dessus mon épaule. Mais je ne sens pas de jugement, je sens juste de l’amour. Je me sens à ma place.

Depuis que cette dernière est apparue, j’ai envie d’en savoir plus sur ces personnes. J’ai envie de creuser. Je ne le dirai à personne, mais cette nuit, je me suis couchée en me disant que j’allais leur parler, que j’allais essayer d’établir un contact.

Cette nuit là, le rêve fut différent. Je me trouvais dans une pièce, blanche, vide mais étrangement chaleureuse. Aucune peur ne m’habitait. Soudain, comme par transparence, chaque silhouette se mit à apparaitre. J’allais enfin mettre un visage sur ces inconnues, j’allais peut être comprendre le sens de tous ces rêves.

De fantomatique, les silhouettes se mirent à se matérialiser tout en gardant une certaine immatérialité. Stupéfaite, je m’aperçus alors qu’il ne s’agissait pas d’étrangères. En réalité, je voyais une nuée de moi.

Moi, dans tous les jugements que je pouvais avoir. Moi dans toutes mes personnalités, dans toutes mes émotions. Elles n’étaient que là pour me faire prendre conscience du dur regard que je portais sur moi. Je croyais me connaitre, mais j’étais étrangère à moi-même. Il allait falloir que j’accepte d’accueillir toutes ces étrangères amies pour enfin être heureuse.

Par Groux