Texte de Groux

Etrange mélodie qui résonne dans ma tête. Ce n’est pas ma sonnerie de réveil habituelle mais elle me semble étrangement familière. Je garde les yeux fermés afin de m’imprégner encore un peu de ce moment. Je sens un sourire se poser sur mes lèvres, je pense que la journée va être belle. Des instants de bonheur passent dans mon esprit, me laissant un sentiment de détente.

You won’t ever be alone, wait for me to come home…

 La musique s’intensifie. J’ouvre les yeux en m’étirant. Ma main se pose sur le dos de mon mari. Je sens sa respiration paisible.

Je me tourne pour regarder l’heure. 4h32. Je me redresse, un sentiment d’étrangeté me pénétrant, et me frotte les yeux. Il est bien indiqué 4h32. Je me tourne vers la fenêtre, je devine la luminosité à travers le rideau tiré. Je reste quelques minutes assise sur mon lit, cela ne peut être possible, nous sommes le 21 décembre. J’attrape mon portable, afin de vérifier l’heure. Pas de doute, 4h32.

Je me lève, étonnée mais sereine malgré tout et me dirige vers la fenêtre. Je pousse délicatement le rideau, la blancheur du ciel me fait cligner les yeux. L’extérieur est recouvert d’un épais manteau blanc. Je vois la pleine lune briller mais ce n’est pas elle qui donne sa couleur au ciel.

Doucement, je quitte la chambre. Il faut que je sorte. Je devrais avoir peur, la raison voudrait que j’aille réveiller mon mari mais je ne sais pourquoi je me sens comme aimantée par l’extérieur.

Au fur et à mesure que je m’approche de la porte d’entrée, je sens une vibration m’envahir. Cela fait comme un nectar chaud et doux qui coule à l’intérieur de moi. Si l’amour était physique, il aurait cette consistance.

J’ouvre la porte et m’avance à l’extérieur. Comme dans un état second, je réalise que je suis toujours pieds nus. Je sens un souffle léger faire onduler ma chemise de nuit. Je m’avance dans la blancheur du ciel. Je ne distingue plus l’horizon, la neige et le ciel se mélangent. J’ai l’impression de flotter plutôt que de marcher.

L’atmosphère me semble féérique, il ne me manque plus qu’une couronne de fleurs pour me transformer en nymphe.

Je m’avance dans le jardin recouvert de neige. J’ai l’impression d’effleurer du coton. La lune baigne d’une douce clarté les arbres. Le ciel est clair, d’un blanc laiteux. Je redécouvre mon jardin comme si je le voyais pour la première fois.

Je m’avance, la vibration se fait de plus en plus intense. Je me sens enfin vivante au plus profond de moi, pour la première fois de ma vie. Je sens mon cœur déborder d’amour et n’ai qu’une envie, ouvrir les bras pour embrasser le monde.

Soudain, suivant le fil de mes pensées, je vois mon jardin se transformer en une forêt enneigée, les sapins ployant leurs longues branches, les rayons du soleil se frayant un chemin entre les branches dépouillées de leurs feuilles. Comme dans un rêve, tout se matérialise au fur et à mesure de mes pensées, et pourtant, je sais que je ne rêve pas.

Je continue d’avancer dans la forêt, comme mue par une force intérieure.

Je ne vois personne mais pourtant je sais que je ne suis pas seule. Aucune peur ne m’habite. Au contraire, je me sens envahie par une grande confiance dans la vie, par une gratitude infinie.

Au bout du chemin, sur un banc, une vieille femme. Je ne l’ai jamais vue, cependant j’ai l’impression de la connaitre depuis toujours. Son regard est empli de bonté, son sourire est doux. Tandis que je m’approche d’elle, elle écarte les bras et vient me serrer fort. Elle m’éloigne ensuite d’elle et laisse ses mains sur mes épaules. Ses yeux se plongent dans les miens et je sens sa voix emplir ma tête, douce mélodie réconfortante. Je sens tout l’amour qu’elle me porte, toute la bienveillance qu’elle a pour moi. Je sens qu’elle m’accompagne à chaque instant de ma vie. Je sais que je ne serai jamais seule.

Elle me fait signe de m’éloigner, et me glisse au creux de ma main, une petite plume blanche.

Je sens qu’il faut que je rentre chez moi. Je ne veux pas quitter cet endroit, mais je le vois qui se trouble, s’évapore.

Petit à petit, une force me tire en arrière, me ramène vers ma maison. Je perçois le ciel qui commence doucement à s’assombrir.

De nouveau, la chanson qui m’a réveillée se fait entendre…

Loving can heal, loving can mend your soul…

4h33. Mon mari se réveille. Il se tourne me regarder dormir. Hausse un sourcil d’étonnement devant la petite plume blanche que je tiens à la main…

Par Groux

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Le texte de Groux nous emmène du côté du rêve, de l’ambivalence entre féérie et réalité. On ne sait pas très bien si cette femme rêve, ou si elle vit réellement cette aventure surnaturelle. Contrairement à d’autres textes, cependant, Groux décide de nous donner une part de réponse, avec la présence de la plume dans la main de son héroïne, à la fin du texte. Il s’est donc VRAIMENT passé quelque chose. Mais elle maintient une grande part d’étrangeté, puisqu’on ne sait pas pourquoi/comment tout cela s’est produit, et c’est très bien ainsi, pour maintenir cette ambiance étrange qui répond à la fascination de l’héroïne. Tu y fais toi-même référence, Groux, avec la nymphe : ton texte lorgne du coté des références mythologiques, et de la fantasy, et il fait ça plutôt bien. Tu en utilises les codes (personnage qui bascule dans un genre de monde parallèle pas très clairement défini, puis qui revient à son monde à lui) et cela fonctionne.

Mais il me manque un truc assez essentiel, dans ton texte, Groux : c’est le pourquoi tu me racontes ça. Elle est chouette, ton histoire, mais je ne sais pas où elle m’emmène. C’est un texte d’ambiance, et ça c’est bien fait. Mais cette ambiance, j’aimerais qu’elle serve une histoire. C’est qui cette femme qu’elle rencontre ? Pourquoi est-ce important pour elle, ce voyage d’un « autre côté » ? Il n’y a pas forcément besoin de grosses explications (voire même : surtout pas !). Mais par petites touches, que l’on comprenne pourquoi ça survient là, quel sens ça a… Ou alors, que justement, ça n’en a aucun, mais qu’on le sache.
Par ailleurs, je trouve que ton idée qu’elle voie se matérialiser ce à quoi elle pense est une bonne idée, qui pourrait être exploitée de manière plus flagrante : que cela crée un monde un peu fou, qui passe du coq à l’âne en terme d’ambiances au fil de son imaginaire, et qu’elle doive « dompter » un peu ses pensées pour arriver au bout de ce voyage, etc… C’est une piste possible.

J’ai beaucoup aimé la poésie et l’atmosphère de ce texte. Et cela m’a suffit je crois. Alors que d’habitude, en bonne rationnelle que je suis, j’aime avoir des explications logiques à tout, là, je me suis juste allée à goûter le moment.

J’ai bien aimé ton texte Groux, avec ce réalisme un peu magique. ça évoque un peu les textes d’amérique latine (whouaaa la référence). On ne sait pas vraiment si c’est réel ou pas et ça me plaît beaucoup. Je rejoins Gaëlle sur cette très bonne idée de faire se matérialiser les choses qu’elle imagine au fur et à mesure mais ça pourrait donc partir encore plus en enchaînements de lieux, de personnages, de points de vue mais sans fil conducteur réel comme le sont souvent nos rêves.

J’ai aimé la douceur planante de ton texte et n’ai pas du tout été dérangée par son côté suspendu, hors du temps