Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatDec2016

Texte de Groux

Etrange mélodie qui résonne dans ma tête. Ce n’est pas ma sonnerie de réveil habituelle mais elle me semble étrangement familière. Je garde les yeux fermés afin de m’imprégner encore un peu de ce moment. Je sens un sourire se poser sur mes lèvres, je pense que la journée va être belle. Des instants de bonheur passent dans mon esprit, me laissant un sentiment de détente.

You won’t ever be alone, wait for me to come home…

 La musique s’intensifie. J’ouvre les yeux en m’étirant. Ma main se pose sur le dos de mon mari. Je sens sa respiration paisible.

Je me tourne pour regarder l’heure. 4h32. Je me redresse, un sentiment d’étrangeté me pénétrant, et me frotte les yeux. Il est bien indiqué 4h32. Je me tourne vers la fenêtre, je devine la luminosité à travers le rideau tiré. Je reste quelques minutes assise sur mon lit, cela ne peut être possible, nous sommes le 21 décembre. J’attrape mon portable, afin de vérifier l’heure. Pas de doute, 4h32.

Je me lève, étonnée mais sereine malgré tout et me dirige vers la fenêtre. Je pousse délicatement le rideau, la blancheur du ciel me fait cligner les yeux. L’extérieur est recouvert d’un épais manteau blanc. Je vois la pleine lune briller mais ce n’est pas elle qui donne sa couleur au ciel.

Doucement, je quitte la chambre. Il faut que je sorte. Je devrais avoir peur, la raison voudrait que j’aille réveiller mon mari mais je ne sais pourquoi je me sens comme aimantée par l’extérieur.

Au fur et à mesure que je m’approche de la porte d’entrée, je sens une vibration m’envahir. Cela fait comme un nectar chaud et doux qui coule à l’intérieur de moi. Si l’amour était physique, il aurait cette consistance.

J’ouvre la porte et m’avance à l’extérieur. Comme dans un état second, je réalise que je suis toujours pieds nus. Je sens un souffle léger faire onduler ma chemise de nuit. Je m’avance dans la blancheur du ciel. Je ne distingue plus l’horizon, la neige et le ciel se mélangent. J’ai l’impression de flotter plutôt que de marcher.

L’atmosphère me semble féérique, il ne me manque plus qu’une couronne de fleurs pour me transformer en nymphe.

Je m’avance dans le jardin recouvert de neige. J’ai l’impression d’effleurer du coton. La lune baigne d’une douce clarté les arbres. Le ciel est clair, d’un blanc laiteux. Je redécouvre mon jardin comme si je le voyais pour la première fois.

Je m’avance, la vibration se fait de plus en plus intense. Je me sens enfin vivante au plus profond de moi, pour la première fois de ma vie. Je sens mon cœur déborder d’amour et n’ai qu’une envie, ouvrir les bras pour embrasser le monde.

Soudain, suivant le fil de mes pensées, je vois mon jardin se transformer en une forêt enneigée, les sapins ployant leurs longues branches, les rayons du soleil se frayant un chemin entre les branches dépouillées de leurs feuilles. Comme dans un rêve, tout se matérialise au fur et à mesure de mes pensées, et pourtant, je sais que je ne rêve pas.

Je continue d’avancer dans la forêt, comme mue par une force intérieure.

Je ne vois personne mais pourtant je sais que je ne suis pas seule. Aucune peur ne m’habite. Au contraire, je me sens envahie par une grande confiance dans la vie, par une gratitude infinie.

Au bout du chemin, sur un banc, une vieille femme. Je ne l’ai jamais vue, cependant j’ai l’impression de la connaitre depuis toujours. Son regard est empli de bonté, son sourire est doux. Tandis que je m’approche d’elle, elle écarte les bras et vient me serrer fort. Elle m’éloigne ensuite d’elle et laisse ses mains sur mes épaules. Ses yeux se plongent dans les miens et je sens sa voix emplir ma tête, douce mélodie réconfortante. Je sens tout l’amour qu’elle me porte, toute la bienveillance qu’elle a pour moi. Je sens qu’elle m’accompagne à chaque instant de ma vie. Je sais que je ne serai jamais seule.

Elle me fait signe de m’éloigner, et me glisse au creux de ma main, une petite plume blanche.

Je sens qu’il faut que je rentre chez moi. Je ne veux pas quitter cet endroit, mais je le vois qui se trouble, s’évapore.

Petit à petit, une force me tire en arrière, me ramène vers ma maison. Je perçois le ciel qui commence doucement à s’assombrir.

De nouveau, la chanson qui m’a réveillée se fait entendre…

Loving can heal, loving can mend your soul…

4h33. Mon mari se réveille. Il se tourne me regarder dormir. Hausse un sourcil d’étonnement devant la petite plume blanche que je tiens à la main…

Par Groux

Texte d’Ariane

4h01. Mes yeux écarquillés fixent le plafond. C’est ça de vieillir. Après m’avoir privée de sport et de tâches multiples, les années me privent maintenant de grasses mat’. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. La bonne blague !

Il fut un temps où 4h01 était l’heure à laquelle je rentrais de soirée. L’heure où je réveillais mon compagnon ou ma compagne de la nuit pour m’éclater sous la couette. L’heure où je consolais le petit dernier qui avait fait un cauchemar. L’heure où je terminais ma partie de cartes en m’époumonant car on avait encore triché.

A 4h, il n’y a aucune émission à la radio. Et aucune chance de recevoir un appel de mes petits-enfants. Alors, j’attends… Les journées paraissent d’autant plus longues quand elles commencent à 4h01. L’avenir appartient à ceux qui rêvent tôt. Tic-tac.

4h32. Mon corps tremble. Pas assez pour être de l’épilepsie, trop pour être le froid. Parkinson, je ne vois que ça. Une brusque attaque. Et merde. Je regarde mes doigts faire des soubresauts. Je me vois déjà emmenée de force dans une maison de retraite. Impossible de me rendormir. Comment je vais finir le tricot du petit Paul? L’image d’une vieille tremblotante essayant de manipuler ses aiguilles me fit rire. Tic-tac.

J’essaye d’enfiler un pull. Une crampe me crispe le bras. Tant pis, je me rabats sur un poncho. La maisonnée est endormie. Mon chat lève la tête et la repose aussitôt. Ma chienne ronfle. Rrron pchi. Un thé me fera du bien, un thé noir pour m’éclaircir les idées. Mon corps continue à s’agiter. Splatch. Mon thé m’éclabousse. Dans la maison de retraite de Rosine, il n’y a que du café au lait. Quelle horreur !

C’est à ce moment-là que j’ai aperçu la lueur. J’ai écarquillé les yeux. Je les ai frottés. Scouitch scouitch. J’ai mis mes lunettes. J’ai vérifié l’heure : 4h50. Je les ai écarquillés de nouveau. Je me suis levée. J’ai ouvert le volet. Couic couic. 4h50, 9 décembre et il fait jour. Je me laisse tomber sur le fauteuil. Cette fois, c’est sûr, je perds la boule. Après Parkinson : Alzheimer !

Je vérifie dans l’évier. Aucun verre à bière ni à whisky, que des verres à moutarde. Je n’ai pas bu hier soir, c’est sûr. Mais que m’arrive-t-il ?

J’allume mon ordinateur. Clic. Aucune info concernant une lueur subite. Pas d’éclipse, pas de lune spéciale. Rien de rien. C’est sûr, j’ai perdu la boule.

J’ai envie d’une grosse tartine. Pain, couteau, grille-pain, cuillère, miel. Croc. Faut que je fasse un régime. Pas envie de me faire braire, m’étonnerait pas que je meure bientôt, au rythme où je tremble. Je rajoute une couche de miel. Croc. Sauf que si je vis encore 10 ans, à raison de 2 kg par an… Ca fait… Ca fait que je vais pas réussir à me déplacer encore bien longtemps ! Déjà que j’ai glissé deux fois l’hiver dernier en promenant ma chienne. Si mes enfants apprennent ça, c’est foutu. Go en maison de retraite, cocotte !

« Résidence d’automne ». « A la lueur des années ». « Les jardins en jachère ». « Quelques dizaines de secondes au compteur ». « Les amis du XVIIIème siècle ». Comment elle s’appellera, la mienne ?

Dring ! Dring ! Le téléphone. Le téléphone ? Quelle heure est-il ? 13h37! Mais qu’est-ce que j’ai foutu ?! « Allo ! Si si, ça va, je suis juste un peu endormie. Ne t‘inquiète pas ma Chérie, ta vieille mère pète le feu ! ».

Personne ne saura. Personne ne m’y traînera. Tant pis si je confonds la salière et le téléphone. Je mourrais dans mes montagnes et je continuerai à boire du thé.

Wouaf, wouaf ! Wouaf, wouaf !

Oh, ta promenade !! Bichette, je suis désolée ! Attends, je prends mon manteau. Zip. Allez, viens vite ! Clac.

Clac.

Zip.

Miaou ! Viens par là, j’ai envie d’un câlin. Ron ron.

Croc, croc, croc.

Clic. Clic.

Wouaf ! Wouaf ! Chut, tais-toi! C’est le facteur, idiote ! Wouaf !

Scouitch scouitch.

Couic couic.

Rrron pchi.

ParAriane

Texte de Pilly80

C’est le froid qui réveilla d’abord désagréablement Joseph. Puis une sensation étrange et douloureuse qui lui brûlait les paupières. Il ouvrit grand les yeux. Il faisait déjà bien jour ! Il apercevait le ciel à travers le velux au-dessus de son lit. La lumière était très forte. Il avait donc dormi tard dans la matinée ? Mais il n’avait pas entendu son réveil sonner. Il se tourna vers le cadran : il était 4h32 du matin. Et il faisait jour. Et son souffle formait une buée épaisse et blanche devant sa bouche. Il sentit qu’il grelottait et que son corps vibrait imperceptiblement. En fait, tout vibrait à peine autour de lui puis il y eut comme une légère secousse et tout s’arrêta. Il eut la drôle d’impression que sa maison venait d’atterrir. Il s’obligea à sortir de son lit et aperçut, posée sur une chaise, une tenue qu’il n’avait jamais vue ni même possédée : un pantalon très épais et imperméable, un énorme pull et un anorak. Il enfila l’ensemble directement sur son pyjama. Il décida de sortir et trouva devant la porte des gants, un bonnet, des lunettes de soleil et des bottes. Une fois bien couvert, il ouvrit la porte. Il cligna pluieurs fois des yeux : la lumière était aveuglante. Il mit les lunettes et resta stupéfait : une épaisse couche de glace s’étendait à perte de vue. Il sortit et s’éloigna un peu. Il réalisa avec une joie enfantine mêlée d’effroi qu’il était sur la banquise. En plein soleil de minuit. Son rêve de gosse. Il se rappela alors quand il regardait les émissions à la télé avec les explorateurs et les soirs dans son lit à s’imaginer là-bas, sur un traineau tiré par des chiens aux prénoms d’esquimaux. Il y était ! Pour de vrai ! Il repensa à une ancienne chanson de Mathieu Chedid  et se mit à fredonner « aujourd’hui je saisis ma chance, je dois retrouver mon enfance ». Et soudain, le ciel se dégagea et devint d’un azur comme il n’en avait jamais vu. Il en tituba un peu. Puis il entendit des voix et se dirigea vers elles. Il aperçut des silhouettes humaines proches de manchots empereurs. Il était donc en Antarctique ! Les silhouettes se rapprochèrent de lui. Il s’agissait de deux hommes et d’une femme. Ils portaient tous la même tenue : des scientifiques. Joseph remarqua que des mèches flamboyantes s’échappaient du bonnet de la femme et il se dit que le tableau était charmant sous ce ciel azur. Fait étonnant, les scientifiques ne semblaient pas surpris de le voir là. Ils le saluèrent en l’appelant par son prénom et lui demandèrent de les aider. Ils devaient marquer et pucer les jeunes manchots. Joseph passa deux heures avec eux et savait exactement quoi faire. Alors qu’il faisait cela pour la première fois de sa vie : il était graphiste. Ils rentrèrent à la base ensemble, tout près de sa maison. Mais seul Joseph sembla la voir, avec ses volets encore clos. Il les avait repeints en vert pomme pendant un printemps pluvieux. En réalité, il y avait plusieurs scientifiques dans cette base ainsi que toute une équipe pour l’intendance et un médecin. Tous semblaient connaître Joseph. Ils lui proposèrent de manger avec eux mais il avait une chose à faire. Il ressortit et marcha vers le Sud quelques minutes jusqu’à trouver ce qu’il cherchait. Un iceberg éclairé par la lumière australe. C’était magnifique. Et silencieux. Il resta là longtemps. Puis il entendit des pas sur la glace. C’était la jolie scientifique aux mèches attirantes. Elle le prit par la main et le ramena  à la base, sans un mot. Elle le conduisit jusqu’à sa chambre. La pièce était toute petite. Ils se déhabillèrent avec une hâte grandissante mais firent l’amour longuement. Il prenait feu dans ses cheveux. Elle cria Joseph mais lui ne connaissait pas son nom. Il pensa alors que Sarah lui irait bien. Ils s’endormirent blottis l’un contre l’autre et avant de fermer les yeux, il tourna la tête vers la table de chevet. Elle y avait posé son badge : elle s’appelait Juliette.

Il se réveilla quelques heures plus tard et décida d’aller dans sa maison. Il avait quand même besoin d’une explication. Juliette dormait encore quand il sortit de sa chambre. Arrivé chez lui, il fouilla partout, retournant la maison de fond en comble. Mais rien. Il se dirigea vers la porte d’entrée en enfonçant furieusement ses mains dans les poches de son anorak. Ses doigts trouvèrent un morceau de papier plié en quatre. Il le sortit en tremblant un peu et le déplia. Une simple phrase était inscrite : « Tout redeviendra comme avant si tu te recouches dans ton lit avant 4h31 aujourd’hui ». Joseph n’hésita pas une seconde. « Aujourd’hui je saisis ma chance, je vais retrouver mon enfance ». Il claqua la porte de la maison et s’élança sur la glace vers la base scientifique. Vers l’Antarctique.

Par Pily80

Texte de Schiele

Pour une fois ce n’est pas la sonnerie du réveil qui m’arrache des bras de Morphée.

Pour une fois, je n’ai pas besoin de coller ma tête sous l’oreiller pour atténuer le strident signal d’une nouvelle journée qui commence.

C’est la lumière du jour qui aujourd’hui me réveille.

En cette fin d’automne, à quoi bon fermer les volets.

Dans un sursaut je me redresse. Si c’est la lumière qui me réveille, alors il fait jour, alors la matinée est bien avancée, je vais donc être en retard.

Coup d’oeil rapide vers l’écran du pourfendeur de rêves : 4 heures 32 en gros chiffres rouges vifs.

4,3,2 partez! Comme un décompte implacable avant la course du quotidien.

En fait les chiffres clignotent. Encore les plombs qui ont sauté. Ma meulière est pleine de charme, son réseau électrique hors d’âge et instable beaucoup moins.

Confirmation qu’il n’y aura pas de rab de sommeil, que cette lueur laiteuse est bien un appel à sortir du lit et affronter le froid humide de rigueur.

Comme d’habitude depuis quelques mois , je ne suis pas seule dans mon lit.

Le constater me fait vibrer à chaque fois.

Il est comment celui d’hier soir déjà ?

Je relève délicatement la couette : ah oui un blond cendré. Joli dos en V. C’est tout ce que je parviens à apercevoir ; il dort profondément, le nez dans le matelas. Son visage est certainement à la hauteur du corps athlétique, maintenant que je ne fais que dans le haut de gamme. Malgré les dernières incohérences temporelles, cette pensée me ravit et fait revenir instantanément le calme dans mon esprit.

Je soupire de plaisir en m’étirant, féline. Et scrute mes longues jambes maintenant si fines et si galbées. Puis pose les mains sur mon ventre. Ferme. Les passe le long de mon visage et mon cou, plus de goître, enfin des contours.

Il est loin le temps où « Quand vous m’embrassiez à l’abri des regards je savais pourquoi, pour pas qu’on puisse nous voir. Alors je fermai les yeux à m’en fendre les paupières pendant que pour guetter vous les gardiez ouverts ». Personne mieux que Bénabar n’a su raconter ce que c’est d’être la moche. Ca ne m’a pourtant pas consolée. Ca a juste mis des mots sur mon calvaire discret.Et l’a rendu encore plus vrai et pesant. Me sentir comprise n’a jamais allégé la peine.

Elle est loin la grosse Sonia qui ne pouvait être que rigolote.

Contempler mon nouveau corps me procure toujours ce mélange de joie victorieuse et de rancoeur aigre. J’entends encore l’écho des moqueries devant mon souffle court et ma foulée de pachyderme en endurance. Je peux encore sentir le goût salé de mes larmes de rage et de honte après le cours de piscine. Quand je devais passer boudinée dans mon maillot devant le groupe des garçons qui se dépechaient de se déshabiller pour être prêts avant les filles. Pour examiner nos corps en mutation. Chaque semaine la même humiliation. Et revivre le désespoir sourd de l’amoureuse qui sait que jamais son Yvan adoré ne pensera à elle autrement que comme une confidente.

Une opération, beaucoup de sacrifices, du sport, des mets auxquels j’ai renoncé. Mon nouvel estomac ne me les permet plus. Pour toujours. J’ai changé du dehors. Les regards des hommes aussi. J’y ai découvert un intérêt, un éclat soudain. Dorénavant, je sais ce que c’est d’être une proie désirable. J’en use et en abuse. C’est mon nouveau quotidien.

Prise dans mes considérations, je ne sais toujours pas quelle heure il est. De combien, je suis en retard. Et comment je vais expédier ce nouveau » one night shot » de chez moi.

La luminosité spectaculaire et inhabituelle de ce matin chauffe doucement mon visage devenu attirant. Cette blancheur ouatée pose un voile de douceur sur ma chambre devenue hall de passage.

Le trophée assoupi commence à émerger.

On a bien ri tous les 2 hier soir.

Je me souviens maintenant qu’il m’a raccompagné galamment. Qu’il n’a pas essayé de me coller au mur. De fourrer ses pattes sous la mini que j’ai le luxe de pouvoir porter maintenant.

Je crois même que j’ai du insister pour qu’il « prenne  un dernier verre » avec moi.

On a parlé, longtemps. Il m’a posé des questions. J’ai même eu l’impression que les réponses l‘intéressaient vraiment.

Le voilà qui se retourne maintenant. C’est quoi ces traces sur ses flancs? les marques d’une peau craquelée? Une vibration inédite fracture ma carcasse, un trouble nouveau, comme une onde chaude qui irradierait de mon nombril.

Il me hume.

M’embrasse tendrement.

Si je laissais le petit soldat au placard? Si j’appelais mon boss pour dire que je suis malade? Si je lui faisais un petit déj au lit et le laissais continuer de m’écouter?

Par Schiele

Texte de Lou

4h34

J’ai du mal à ouvrir les yeux, cette lumière m’aveugle. Et cette fatigue… si intense… Je me sens lourd, je me sens trembler et pourtant je n’ai pas froid… J’essaie de me lever mais je n’y arrive pas. Impossible. J’arrive à peine à bouger mes bras. Je suis attaché. Je lève la tête et vois un homme en combinaison blanche qui me regarde à travers une vitre. Il m’observe, me scrute, prend quelques notes et s’en va.

6h12

Je vibre. Je ne le ressens pas mais je l’entends, c’est étrange… Où suis-je? Je ne suis pas dans ma chambre : il n’y a pas de vitres dans ma chambre. Un homme en combinaison blanche est encore passé, s’est arrêté, m’a observé, a pris quelques notes puis est reparti.

Et puis un autre. J’ai réussi à l’interpeller :

« -Je veux parler à mon épouse.

– C’est impossible M. Duman. »

Ils savent qui je suis. Mon enlèvement était donc organisé. Pendant combien de temps ont-ils surveillé ma vie, avant de m’amener ici ?

Des draps blancs, une salle blanche, une lumière aveuglante, presque paralysante, les hommes en combinaison blanche. Ils ont réussi à m’avoir et me préparent pour leurs expériences. Quel peut être le dessein de cette secte ? Je dois rester vigilant malgré la fatigue, je ne dois surtout pas m’endorm…

Comme tous les soirs, Jean est rentré à la maison et a bu une bière. Une belge, pas trop sucrée, ni trop amère. C’est son plaisir à Jean, après les longues journées passées derrière un ordinateur. Il a écouté de la musique, Alain Souchon… Son artiste préféré. On lui dit souvent que ce n’est pas de son âge mais il a grandi bercé par la douceur de ses mélodies et la force de ses paroles. Il aime ce contraste. 

11h46

Le bruit du rotor d’un hélicoptère me réveille. Ils m’ont amené dans un endroit isolé, inaccessible. Je revois mon enlèvement comme un flash, je crois que c’est allé très vite. Il y avait du vent. Beaucoup de vent. Les hommes criaient. Ils devaient faire vite.

Ce soir-là, Jean était seul, sa femme était sortie. Elle aime ça, sortir avec ses amies. Alors il a bu une deuxième bière. C’était le début du week-end après tout !

Un documentaire à la télévision, et puis un bouquin. Parfait pour une soirée de détente.

14h33

Les hommes en combinaison blanche sont partis. Ils ont été remplacés par une nouvelle équipe. Les uniformes sont identiques. Je les ai entendus discuter dans leur salle (la porte vitrée de la chambre était mal fermée). Ils disent que je suis agité. Alors ils me droguent. Ils veulent m’empêcher de m’enfuir. Peut-être que ce ne sera pas une expérience mais seulement un sacrifice. Peut-être que je ne souffrirai pas.

Jean est allé se coucher mais il n’a pas éteint son téléphone. Pas tant qu’elle ne sera pas rentrée.

Peu après minuit elle a appelé : un pneu de la voiture avait crevé, elle avait peur, seule dans la nuit d’hiver. Elle n’était pas loin, à 5 kilomètres de la maison, près de la piste cyclable qu’ils aiment tant emprunter, le long de la rivière.

Jean s’est levé, s’est habillé, a pris son vélo et s’est dépêché de la rejoindre.

16h54

Je viens de faire un cauchemar. J’avais froid, j’étais dans l’eau. Dans l’eau glacée. Le bruit des sirènes se mélangeait à celui de l’hélicoptère. Cela semblait tellement réaliste et tellement lointain à la fois. Je voudrais tant voir mon épouse. Lui dire de venir me chercher, de venir me sortir des griffes de cette secte. Mes tremblements reprennent de plus belle.

Jean a pédalé très vite, trop vite, sur les berges non éclairées. Dans la précipitation de son départ, il n’avait pas pris sa lampe frontale, celle qui éclaire si bien dans la nuit. Ce n’est pas grave s’était-il dit, je connais la route. Jean n’avait pas peur, il a l’habitude de faire du vélo en hiver, il ne craint que le verglas.

17h11

Je surveille le passage des hommes en combinaison blanche à travers la porte vitrée. Je veux profiter d’être réveillé pour leur poser des questions, savoir ce qu’ils attendent de moi. Le silence de ma chambre me pèse. Je voudrais écouter de la musique. J’entends une mélodie au loin, une mélodie que je connais, un air familier qui me rassure. Il me semble que c’est Alain Souchon… Je devine les paroles :

« Jimmy, t’es fort, mais tu pleures »

Un homme en combinaison blanche s’approche, il est suivi par… Je n’y crois pas, c’est bien elle, elle m’a retrouvé ! Ils entrent dans ma chambre, elle me sourit. Lorsque la porte s’ouvre, j’entends la suite des paroles :

« Jimmy s’éveille dans l’air idéal
Le paradis clair d’une chambre d’hôpital »

Jean se souvient à présent, et il comprend.

Par Lou

Texte d’Esther Drallige

La lettre

sans-titre

Tourne girouette ! Rien à faire, toutes mes ruses ont échoué, le sommeil, coupable d’évasion, a fui. Je tourne et me retourne. Ça m’agace. Mon œil gauche furieux jeté sur le réveil indique – 4h32- Ben voyons ! Pourquoi pas 2h32 tant qu’il y est ? Je lui tourne brutalement le dos.

Gabrielle, ma conscience obstinée, me souffle :

– « 4,3,2,1, partez !

Alors je me projette sur la ligne de départ, tous les sens aiguisés. Il se passe quelque chose, je le sais, je le devine. Cette lueur qui filtre par les interstices du store ! Ce silence ! Mon corps oscille comme soumis au balancement de la houle. Toutes mes cellules vibrent.

Illico presto sur pied je découvre le ciel. C’est… «LE SPECTACLE !»

Sur sa piste multicolore des rubans roses, verts, parmes, rouges, blancs glissent, virevoltent, bifurquent, se rétractent, s’étirent dans un ballet féérique. Cette chorégraphie de flammes chatoyantes entraîne les arbres squelettiques du jardin dans la danse envoûtante d’une mosaïque ondulante. Sidérée j’admire ces mouvances prodigieuses. Le temps est suspendu.

Puis la magie s’arrête, je redescends sur terre. Est-ce un signe que le destin m’envoie ? Gabrielle me rappelle à l’ordre ?

– « Arrête, tout n’est pas centré sur toi ! D’accord c’est surprenant ! Mais une aurore boréale est une aurore boréale ! Certaines sont même descendues jusque Singapour. Alors, oui, rare ici mais pas exceptionnelle, étouffe tes délires ! »

Des bulles de lumière irisée dansent devant mes yeux quand je descends.

Tout d’abord, mon double a raison, rien ne change. À la discussion du petit-déjeuner succèdent les rituelles tâches ménagères heureusement éclairées de multiples petits riens comme le sourire d’un enfant, le parfum d’un souvenir ou l’harmonie d’un concerto.

Je perçois un battement d’aile de papillon quand une lettre inhabituelle arrive au courrier. Sur l’enveloppe une écriture que je reconnaîtrais entre mille. Alors une foultitude de questions m’assaille. Pourquoi ? Quand ? Trouvent rapidement une réponse.

C’était il y a dix ans pour mon changement de dizaine. Je souris. Comme la dernière fois, à une année près tu ne t’es pas trompé. Tu frôles la perfection, il faut que tu le saches mon cher. Le savoir ? C’est impossible, si nos échanges restent aussi rudimentaires. Nos vies se sont construites, nos rêves appartiennent au passé. Le bonheur est passé à deux doigts de nos lèvres deux doigts si fins que j’ai presque pu le goûter. Le bonheur a sculpté de son ciseau d’orfèvre les souvenirs impossibles à effacer. Le passé appartient au passé !

Ton enveloppe intacte glisse dans ma poche.

– « Trop facile ! » raille Gabrielle

Elle a raison, trop facile, je le mesure au fil des heures suivantes.

Quand Juliette propose Audresselles pour passer le réveillon.

Audresselles ? Tu sonnes.

Au cours d’un déjeuner, nous avions évoqué la pêche d’échouage et les vieux tracteurs qui sortent les bateaux au retour de la pêche.

Quelques années plus tard l’acquisition de la maison d’Audresselles s’est imposée à moi parce que sur sa plage les tracteurs remontent les flobarts à fond plat, partis poser les filets et casiers.

Je me souviens de ce jour d’été où j’ai marché pour la première fois sur la laisse de mer dans les vagues mourantes, le regard pointé vers ton bout du monde en pensant à notre ancienne conversation, en pensant à toi, en pensant à nous.

Ou encore à l’écoute de Don Giovanni.

Don Giovanni ? Tu sonnes.

Le double CD fait partie de tes cadeaux qui embellissent encore mon décor. Je me souviens de nos conversations, nos enthousiasmes, nos émotions partagés à l’écoute d’une musique, à l’étude d’une toile. Nous avons toujours mesuré nos convergences sur une même route avec les mêmes perspectives. Nous sommes deux moitiés d’une même essence.

Ou encore à la lecture d’un article scientifique.

Conductivité ? Tu sonnes.

Dans ton laboratoire tu m’as accueillie, guidée et conseillée pendant mon stage de fin d’études. La défiance s’est vite transformée en confiance. Ces trois mois, perçus interminables au départ ont été bien trop courts pour approfondir notre gémellité.

Nos vies respectives ont repris leurs droits. Notre correspondance s’est épuisée sous le poids de nos enfermements.

Maintenant en effleurant ton aquarelle j’évalue l’ouverture de mes horizons et ta présence.

J’ouvre ton enveloppe.

Internet fait le reste.

Dans les derniers rayons du soleil ton numéro s’affiche.

Le temps est suspendu. Je tremble.

– « Allo ?

– Allo… »

Des perles irisées caressent mes joues. Tout commence !

 

Par Esther Drallige

Texte d’Ademar Creach

Il fait jour. 4h32. Ah non, nuit. Et pourtant, jour. On croirait un vieux sketch. J’me rappelle même plus de qui. De mon lit (c’est donc la nuit, si j’suis couché, non ??), je vois la lueur blanchâtre du jour à travers les persiennes. Donc, il fait jour. Hum, 4h32 à ma montre-bracelet. Donc, c’est la nuit. Mais depuis quand je dors avec ma montre, moi ? Bizarre. Bizarre aussi que je ne reconnaisse pas ma chambre. Ni le mobilier. Où ai-je bien pu tomber ? Et moi qui dors comme un loir, pourquoi me suis-je réveillé à 4h32 ce matin ? Oh là, trop de questions sans réponses. Hum…Trop de gin hier soir. D’autant plus que je ne me souviens de rien. Ça doit être quelque chose comme ça. Mais…il se passe quoi, là ? C’est moi qui tremble ou le lit ? Voilà, c’est ça qui m’a réveillé… Une première « demie-réponse ». On avance. Ah, tiens, ça s’arrête.

Bon, plus que deux mystères, et pas des moindres, à résoudre : quelle heure est-il et où suis-je ? Mon mal aux cheveux confirme le rapprochement avec une (ou plusieurs ?) divines bouteilles hier soir…. Ça va être difficile dans cet état de répondre à des questions existentielles telles que : fait-il nuit ? Ou jour ? D’autant plus que le tremblement reprend. Autre mystère. Jour cotonneux, tremblements réguliers et intermittents, aucun souvenir…ça doit être une autre dimension. Hum, pas convaincant comme explication pour le rationnel que je suis.

Là, tout de suite, j’vais tenter le déplacement latéral unidimensionnel vers la fenêtre, voir ce qu’il y a à l’extérieur m’aidera p’t’être à comprendre. OK, je suis en ville. Des voitures, des piétons, et ah…le responsable du tremblement, un métro tout proche…. Mais quel métro, quelle ville… Deuxième point résolu, il fait jour. Ma montre a dû s’arrêter… bah non, 4h54.

Aïe, je me suis approché trop vite et fort de la fenêtre. En voulant me pencher pour voir où j’étais, je m’suis fracassé le front contre la fenêtre. Quel imbécile. Va falloir que je décuve. Ou pas. En voyant les idéogrammes sur les enseignes de l’autre côté de la rue, je sais où j’suis. Pas à Paris… même si ma montre, elle, est restée à l’heure française. Donc, je suis à l’autre bout du monde. Même pas mal… si un peu. Deuxième effet – pas si positif finalement – du coup sur la tête : le dégrisement. Le dessillement. Je me rappelle. L’accident. La mort de Marlène. La fuite pour éviter la sollicitude des autres. Partir. Ailleurs. Loin. Seul. Pour oublier et recommencer. L’alcool. Avec l’excuse officielle de ma peur de l’avion. Et l’excuse officieuse : oublier ma culpabilité – pourquoi elle, pourquoi pas moi ? Le premier hôtel trouvé à la sortie du métro. Une autre bouteille avant de m’écrouler sur le lit. Et être sûr de ne pas me rappeler. Finalement, pas top de retrouver la mémoire… L’aurait mieux valu que je reste dans l’autre dimension. Ai-je pris la bonne décision ? Mais quelle autre ? Il fait jour. Il fait soleil. J’aurai une excuse pour les lunettes noires. Ici, incognito, loin de tout et loin de tous, je dois – je vais – reconstruire ma vie. J’suis sûr que je ne suis pas le premier, ni le dernier, à m’enfuir devant ce poids. J’suis comme les autres en fait. Je ne saurais jamais. Si je poursuis la quête, si j’ai laissé tomber. J’suis comme rempli d’espoir. Ce matin je renais.

Si. Il le fallait. C’était la seule solution, la bonne. Maintenant, je le sais.

Par Ademar Creach

En italique : emprunt à « Emmène-moi » de Boulevard des airs.

Proposition 12/2016

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Pour ceux qui le souhaitent, le prochain atelier commencera le vendredi 3 février, et les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes. 

En attendant, je vous souhaite de très belles fêtes de fin d’année!

Bonne fin de soirée à tous!

Gaëlle

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Bonsoir à tous,

Décembre est là, et moi qui déteste novembre, j’en suis heureuse, croyez-le bien! L’hiver frappe à notre porte, et je vous propose ce mois-ci de l’habiller d’un voile d’étrangeté (à vous de décider s’il sera léger ou épais…!).

Imaginez plutôt… Vous vous réveillez, un matin d’hiver, dans une ambiance étrange. Ciel laiteux, mais grande luminosité, alors que votre réveil vous indique 4h32. Il devrait, sans aucun doute, encore faire nuit… De plus, vous avez le sentiment diffus que votre corps vibre, de manière très discrète et à peine perceptible. Vous n’arrivez pas à vraiment discerner si cela vient du fond de vous-même, ou de l’alentour.

La veille, vous vous êtes couché normalement, pas de folie particulière.

Où êtes-vous ? En compagnie de qui ? Que se passe-t-il réellement ? A vous de l’inventer…

Racontez la journée qui suit cet étrange matin. Et glissez-nous dans le texte, à votre façon, et comme vous le souhaitez, 2 phrases d’une chanson que vous aimez.

Bonne écriture à tous!

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