Texte de Groux

Des heures que je roule sous ce soleil de plomb. Je sens la sueur couler le long de mon dos, plaquant mon tee-shirt contre ma peau. Mes lunettes noires sur le nez, je regarde la voiture avaler le bitume. La radio crachote une vieille chanson. Les paysages défilent, je les vois sans les voir. Les pensées défilent à la même allure dans ma tête.

L’Ouest américain. Un rêve de petite fille. Je voulais voir le Grand Canyon avant de mourir. Je ne compte pas mourir de suite, mais au moins j’y serai allée. Pendant des mois, j’avais préparé mon voyage. J’avais minutieusement choisi chaque motel où j’allais passer la nuit, chaque parc que j’allais visiter. J’avais loué pour l’occasion un cabriolet. Je voulais sentir le vent dans mes cheveux.

Cela faisait déjà une semaine que j’étais ici. Les paysages grandioses me faisaient oublier ce que je fuyais chez moi. J’en prenais plein la vue et j’oubliais le temps d’un instant que j’étais seule à admirer cela.

Les rubans de route défilaient. Je m’émerveillais de ces longues routes droites. Aucun virage pendant des kilomètres. Je traversais des déserts.

Le thermomètre affiche 38°. Je me surprends à rêver d’une limonade bien fraîche. Puis je me dis que j’aurais dû choisir des motels avec piscine.

Soudain un hoquet de la voiture. Suivi immédiatement d’un autre. Puis, lentement, la voiture ralentit pour finalement s’arrêter dans un soupir.

La tuile. Que vais-je bien pouvoir faire sur ce bord de route. Je sors de la voiture et ouvre le capot. Je serais incapable de dire pourquoi je fais ça mais j’ai toujours vu faire cela dans les films.

Aussitôt, une épaisse fumée en sort. Classique. Je soupire.

Je fais le tour de la voiture et viens prendre appui sur la portière. Je guette le passage d’un véhicule. La radio continue de diffuser ses airs rétro.

J’aperçois un chapeau de paille sur le siège arrière. Je le pose sur ma tête, de façon à me protéger du soleil.

Soudain, un éclat lumineux au loin. Je plisse les yeux. Je m’avance sur le bord de la route, et penche la tête sur le côté. Je ne rêve pas, une voiture arrive.

Une vieille Cadillac. Toute droite sortie d’un film. Le conducteur met son clignotant et vient s’arrêter à ma hauteur.

« Besoin d’aide Madame ?

– Je crois qu’elle a un problème, répondis-je en désignant la voiture d’un signe de tête. »

Il sort de sa voiture. Il est plus grand que je ne le pensais. Je l’observe tandis qu’il s’approche de mon cabriolet. Je lui donne une quarantaine d’années. Grand, brun avec quelques cheveux grisonnants, des yeux bleus. Cliché. Une barbe de quelques jours.

Je vois ses lèvres bouger. Je comprends qu’il me parle. Il faut que je me ressaisisse mais je suis comme hypnotisée par ses lèvres. Je m’approche doucement de lui.

« Je pense qu’il lui manque juste du liquide de refroidissement. Je vais vérifier. »

Au ralenti, je le vois retrousser ses manches sur ses avant bras musclés.

« C’est bien ce qu’il me semblait. Je dois en avoir dans mon coffre, je vais vous en donner. »

Je ne réponds pas, je le regarde faire, cachée derrière mes lunettes noires.

Après avoir rempli le réservoir, je le vois essayer de démarrer la voiture, s’assurant qu’elle refonctionne.

Il se retourne alors vers moi et dans un doux sourire, me dit que je peux reprendre tranquillement ma route.

Je le vois hésiter, faire un mouvement vers moi puis finalement tourner les talons et remonter dans sa voiture.

Je sens ma respiration s’accélérer. Je suis prête à le retenir mais ma voix meurt dans ma gorge et je reste immobile sur le bas côté.

Tandis qu’il me dépasse, ses yeux restent plongés dans les miens. Je regarde la voiture s’éloigner, je n’arrive pas à me décider à remonter dans la mienne.

Soudain je vois les feux arrière s’allumer. Puis je le vois revenir vers moi en marche arrière.

Arrivé à ma hauteur, il redescend alors de sa voiture et s’approche de moi. Je ne fais pas un geste, je ferme les yeux.

Je sens la chaleur de sa paume contre ma joue, tandis qu’il me remet une mèche de cheveux derrière l’oreille. Je peux deviner ses lèvres toutes proches des miennes et sens son souffle chaud contre mon visage.

« Coupez ! On a tout ! Vous avez été géniaux ! ». J’entends le réalisateur du clip au loin.

Aussitôt, on sent le relâchement sur le plateau. Tout le monde rigole, se congratule. Je sens alors l’acteur s’éloigner de moi, me faisant un grand sourire.

Je repose mon chapeau et mes lunettes sur la banquette arrière et m’en vais rejoindre les autres participants.

Malgré tout, je peux encore sentir son regard brûlant sur moi.

Par Groux

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Tout comme Schiele, Groux a décidé ce mois-ci de nous mener en bateau, avec un texte dont la chute éclaire la narration préalable d’une toute autre façon que ce que l’on avait imaginé. Et cela fonctionne plutôt bien ! Groux déroule suffisamment de « clichés » de l’ouest américain pour à la fois assoir son histoire, l’ambiance, et donner la cohérence nécessaire à son texte, et à la fois laisser supposer qu’il y aura un retournement de situation (parce que sinon, c’est « trop » cliché). Mais j’avoue que personnellement, même si j’avais compris qu’il y aurait une chute « surprenante », je n’avais pas deviné laquelle, et ça m’a agréablement surprise. Pour autant, Groux choisi de laisser « traîner » une certaine continuité entre l’avant et l’après, à travers le trouble de l’actrice qui demeure. Je trouve que c’est plutôt malin, cela évite la rupture franche de narration, et dessine des contours un peu plus flous qui ouvrent davantage la porte de l’imaginaire, il me semble.

Je pense, Groux, qu’il faudrait sans doute que tu veilles à certains petits détails dans ton texte… « des heures que je roule sous ce soleil de plomb », par exemple, au final ça n’est pas vrai, elle n’a pas parcouru 600 bornes non plus… C’est un peu le cas de tout le début de ton texte, qui n’est finalement pas totalement en phase avec la chute. Ce n’est pas forcément hyper gênant, on peut imaginer qu’elle incarne tellement son personnage qu’elle se convainc elle-même que c’est le cas, qu’elle fait comme si, mais alors il faudrait à un moment le dire (« elle s’y est vraiment crue », à la fin, ou quelque chose du genre), ou alors resserrer ta narration sur vraiment l’instant présent. Le principe des textes à chute, c’est qu’il faut vraiment une grande cohérence, rien qui « dépasse », pour qu’on soit contents de s’être laissés embobinés, mais que tout soit hyper en place malgré tout. Sinon, on se dit « ah ouais, mais c’est un peu tiré par les cheveux », et c’est dommage. Par ailleurs, je trouverais ça intéressant que tu essayes de jongler un peu plus avec le cadre « cinéma » que tu as choisi. Que tu distilles ça ou là dans ton texte, en amont de la chute, l’un ou l’autre indice cinématographique suffisamment masqué, mais bien là, qui poserait déjà les jalons de cette chute. A réfléchir lesquels ?

Même la panne est en toc! J’adore! Y’a que dans un clip qu’une voiture peut redémarrer avec un peu de liquide de refroidissement après avoir bien fumé! Sinon tu sais que tu peux mettre de l’eau aussi? Ca pourrait être un clip de chanson ou une pub pour une marque d’eau, pour les details… La chute est vraiment bien vue et ambiguë à souhait. J’ai marché aussi

D habitude je vois les twists arriver mais là je me suis totalement fait eu 🙂 je me disais même que c était trop bateau, que d habitude tu faisais des choses plus subtiles Groux. Alors chapeau pour la surprise finale !

Je me suis laissée surprendre aussi. J’ai adoré !!! La chute est surprenante. Après la partie « coupez, on a tout, vous avez été géniaux », j’ai un peu de mal du coup à revenir à la réalité. J’y aurais bien vu une pointe de légèreté sur l’envie de la comédienne de proposer « un truc » à son charmant sauveur ……

tombée dans le panneau aussi ! je me suis effectivement dit que c’était bien bien cliché tout ça 🙂

Super texte : je n’avais rien vu venir non plus… et pourtant, il y avait un indice (« j’ai toujours vu faire cela dans les films »). Chapeau!

Ah oui, je n’avais pas tilté non plus à cette allusion! Il y a aussi la cadillac « toute droit sortie d’un film ». Comme quoi on se laisse balader même quand les éléments sont là…

Idem, je n’avais pas vu venir la fin ! En écoutant la chanson j’avais tout d’abord pensé à écrire quelque chose en lien avec l’ouest américain mais je n’avais pas réussi à aller plus loin… Alors bravo !

Comme les autres, je n’ai rien vu venir (ni vu les allusions^^) et je suis rentrée facilement dans ton texte (grâce aussi je pense à ton style simple, fluide, aux phrases assez courtes), même pas perturbée par le côté cliché! Bref, bravo !