Texte de Groux

Elsa menait une vie trépidante entre Paris et New York. Entre ses amis, son travail, ses rencontres, elle ne voyait pas sa vie défiler. Elle s’enivrait de cette vie qu’elle n’avait jamais connue étant plus jeune, elle s’étourdissait dans des soirées toujours plus mondaines.

Et puis un jour, un appel. Elsa pâlit. Elle descendait un grand escalier de marbre, elle dû se raccrocher à la rampe pour ne pas tomber. Sa Mima, sa grand-mère qui comptait tant pour elle, qui l’avait quasiment élevée venait de décéder. Brutalement, sans prévenir. Elle se sentit soudain orpheline et eut l’impression d’étouffer.

Elle posa quelques jours de congés pour se rendre à l’enterrement. Cela faisait des années qu’elle n’était plus venue dans cette petite bourgade de Bretagne. Pas qu’elle y eut de mauvais souvenirs. Mais elle avait tellement voulu s’extraire de cette vie qu’elle trouvait morne et banale. Elle ne conservait des liens avec sa famille que par mails ou téléphone. Un sentiment de culpabilité la traversa en se disant qu’elle avait dû manquer à sa Mima. Elle l’invitait régulièrement à Paris, prétextant de meilleurs restaurants, de superbes spectacles à voir. Mais peut-être que sa grand-mère aurait préféré une soirée au coin de feu comme avant. Elsa secoua la tête et s’interdit de se laisser à ces mièvres sentiments.

Toute sa famille était réunie. Ils lui avaient manqué sans qu’elle ne se rende compte. Cela faisait du bien de se retrouver.

L’enterrement se passa, Elsa ne put retenir ses larmes.

Un repas de famille puis chacun repartit dans son quotidien, pressés de quitter ces moments plein de tristesse.

Elsa profita des quelques jours de congés qu’elle avait pour rester dans la maison de sa grand-mère.

Elle poussa attendrie la vieille porte d’entrée en chêne. Rien n’avait changé dans le salon. Tout était comme dans son souvenir. Le même papier peint. Les mêmes meubles. Cette odeur si caractéristique de son enfance qu’elle retrouvait dans chaque pièce.

Elle monta les quelques marches grinçantes qui menaient au grenier. La porte s’ouvrit dans un nuage de poussière. Elsa regardait ce bric-à-brac entreposé avec un sourire attendri.

Soudain, son regard fut attiré par un vieux coffre en bois. Son coffre aux trésors ! Là où elle rangeait tout ce qui lui avait été important. Elle l’ouvrit délicatement, dérangeant une araignée. Elle en sortit une vieille poupée aux grands yeux bleus. Quelques photos de son adolescence. Un livre corné à force d’avoir été lu. Ses premiers crayons de maquillage.

Tout d’un coup, sous sa main, un papier au toucher soyeux. Son cœur s’arrêta de battre un instant. Sans l’avoir encore vue, elle savait ce que c’était. Elle ne se rappelait pas l’avoir gardée. Elle pensait avoir enfoui tous ces sentiments au plus profond de sa mémoire mais il n’en était rien. Tout était aussi précis que dans le passé. Le cœur qui bat. La peau qui frémit à sa pensée. La moiteur de ses mains.

Délicatement, elle sortit la vieille lettre du coffre. A force d’avoir été pliée et dépliée, certains mots s’étaient effacés. Cela ne comptait pas. Elle la connaissait par cœur. La déclaration de sa vie.

Un flot de souvenirs remonta en elle. Elle se souvenait de ces bras puissants autour d’elle. De sa barbe naissante. De ses grands yeux noirs. De sa bouche gourmande. De sa peau au goût salé.

Elle ne se souvenait aussi que trop bien de son départ. Ses larmes. Ses cheveux qui s’emmêlaient au vent. Elle n’avait pas compris.

Sa famille n’était pas pour leur relation. Elle était trop jeune, il était trop inconnu au village. Ils l’avaient menacé. Pour la protéger, il était parti. Elle ne comprenait tout ça que maintenant. Elle avait juste crû qu’il l’avait abandonnée. Ses larmes se mirent à couler.

 

Elle eut soudain besoin de prendre l’air. Elle sortit marcher. Sans s’en rendre, ses pas la menèrent instinctivement sur le chemin qu’ils empruntaient ensemble. Elle continua jusqu’au sentier qui menait au phare. La nuit commençait à tomber. En contrebas, il y avait la plage de leur rencontre, de leur histoire. Avant qu’elle ne parte pour Paris, chaque année, elle était venue l’attendre ici. Espérant secrètement qu’il reviendrait. Puis elle s’était résignée et était partie, changeant complètement de vie. Coupant avec celle qu’elle avait été.

Cela faisait 10 ans aujourd’hui. Elle se demanda s’il était en train de penser à elle en cet instant.

Elle tourna la tête, le cœur soudain en émoi.

Au bord de la falaise, une silhouette dans la pénombre.

Il était là. Il l’attendait…

Par Groux

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C’est un joli texte sur le thème des retrouvailles de l’amour de jeunesse, au « happy end » assumé. Un de ces moments où une vie bascule (ici dans un sens qu’on imagine heureux). Il y a un certain nombre des « grands classiques » du genre, présents dans le texte (la plage, le coffre dans le grenier, la pénombre lors des retrouvailles…), mais ils sont plutôt bien amenés et déroulés de manière fluide et agréable à lire. Ce n’est pas un texte qui fonctionne sur un ressort de « surprise », mais qui choisit plutôt justement de creuser un sillon de bout en bout, nous emmenant avec un certain plaisir là où on imagine assez rapidement qu’il nous emmènera.

Il me semblerait néanmoins intéressant d’introduire dans le texte davantage de références à la vie d’Elsa. Elle n’est finalement que « survolée » en début de texte, ce qui fait qu’on ne connait pas vraiment Elsa. Je pense qu’il serait assez facile d’ajouter des allusions par-ci par là (lors des retrouvailles familiales, elle peut dire à tel vieil oncle quel est son travail, ou telle cousine peut lui dire à quel point elle a changé-ou pas… Ou bien réaliser, même si les siens lui ont manqué, à quel point elle ne vit plus la même vie qu’eux. En être fière ou au contraire le regretter… etc…). Cela donnerait plus de corps au personnage d’Elsa, et renforcerait l’impact des retrouvailles, soit parce qu’on devinera qu’elle va quitter une vie qu’elle aime, soit parce qu’on se dira que finalement, tout était prêt pour qu’elle quitte une vie qu’elle n’aimait plus (selon ce que l’auteur nous soufflera comme détails)

Merci pour ce commentaire !
Effectivement, en l’écrivant, je me suis également dit que je passais un peu rapidement sur Elsa, sur sa vie actuelle, sur ce qu’elle pouvait regretter ou au contraire préférer.
Mais j’ai fait ce choix pour pouvoir plus détailler les moments à partir de son retour et ses sentiments et rester dans le nombre de caractères.
Du coup, ça me donne envie de reprendre ce texte et donner plus de corps à Elsa.

Oui, je comprends ce que tu dis côté choix, surtout quand il y a une limite de longueur. Mais une fois libérééééééééeeee – délivrééééééeeeee (et je jure que je n’ai pas vu la reine des neiges, pourtant) de cette contrainte, tu peux effectivement retravailler et enrichir à ta guise! 😉

D’accord avec Gaëlle, je pense qu’Elsa doit prendre un peu plus corps. Par contre, c’est marrant, moi je n’ai pas vu la fin comme un happy end assumé, mais plus comme une fin ouverte: est-il vraiment là ou bien Elsa est-elle en train de rêver ?
Et je me suis dit qu’en jouant sur le côté un peu féérique du paysage, Groux, tu pouvais éventuellement renforcer ce côté-là.
(sauf bien entendu, si ton but est d’ancrer ton histoire dans la réalité !)

Ah oui, c’est vrai, tirer la fin du texte vers quelque chose de plus onirique, c’est aussi une possibilité.

Comme quoi il y a toujours plein de possibilité en écriture, et c’est l’un des grands bonheurs de cet exercice!