Laroche
Monsieur Laroche ?… monsieur Laroche ?…
J’ai encore du mal à réagir à mon nouveau nom. Je l’ai choisi car je suis né à La Roche-sur-Yon en Vendée.
La conseillère de la Poste m’accueille dans son bureau. Elle est prévenante. Je ne lui donne pas d’âge, trente ans peut être, peu de bijoux. Son tailleur doit venir de chez Zara, il n’est ni moche ni beau, il irait très bien aussi à une secrétaire de direction d’une PME de province. Elle me parlait avec un discours stéréotypé issu d’une formation qu’elle a dû recevoir. Ses mots sont précis. Je sens qu’elle s’est mis la pression. Lors de notre première conversation, je lui avais évoqué mon désir de placer cinq cent mille euros.
J’ai aussi la pression. Pour la première fois je vais utiliser mes nouveaux papiers. J’ai choisi la banque Postale estimant que ce serait plus simple. J’avais repéré la conseillère. Je voulais éviter un vieux roublard qui se méfierait. Elle se prénommait Mathilde, le prénom classe sans doute voulu par des parents pensant qu’un prénom pouvait tracer une vie, j’ai une pensée pour les Brandon français.
Je réponds à ses questions avec le plus d’aplomb possible. Tout se passe bien. Nous signons les papiers. « Vous recevrez votre chéquier et votre carte bancaire sous huit jours » me dit-elle visiblement satisfaite de m’avoir comme client. Sa prime lui permettra sans doute de nouveaux achats chez Zara ou H&M.
L’argent est le nerf de la guerre des vies modernes et pour ma nouvelle vie je voulais assurer l’essentiel. Je n’ai jamais couru après l’argent. J’ai acquis la certitude qu’il entraîne le monde à sa perte. Ma mission est de le combattre. Grâce à un gain inespéré, je vais me donner les moyens de mon combat. Ce combat je le tiens d’une phrase de Schopenhauer : la vie étant souffrance, seul l’art nous affranchira de la vie et de la douleur.
Ma première cible sera Mathilde. J’ai imaginé que ce sera facile. D’ailleurs, elle a très peu hésité quand je l’ai invité à diner. Elle sait que j’ai les moyens de payer. J’ai choisi la pizzeria Capri.
A 20h pile elle arrive, je me lève pour l’accueillir. Sa tenue a changé, un jean, un chemisier vert, des escarpins verts, elle a lâché ses cheveux roux et s’est autorisée un rouge à lèvres discret mais pas de vernis. Elle est presque normale.
Pour elle une Napolitaine, moi ce sera une Calzone, j’aime bien la Calzone ça fait original. Il ne faut pas être trop exigeant sur le vin, ce sera un inévitable Chianti, en croisant les doigts. Elle est détendue, j’apprends qu’elle vit seule, qu’elle est originaire de Toulouse, que la vie à Choisy-le-Roi lui pèse, elle passe ses soirées majoritairement avec son chat, le vendredi soir c’est la chorale du Bon Secours, le week-end elle se retrouve avec son amie Patricia pour du shopping au centre commercial proche, elles iront prendre un café latte au Starbucks puis repartiront vers leurs studios. Ses amours suivaient le même encéphalogramme plat, elle avait vécu avec un an avec Franck mais cela n’avait pas pris, les solitudes ne se divisent pas elles s’additionnent .
Pour le travail, elle avait passé des concours, à la banque Postale, gardien de la paix, la RATP, la SNCF et la roue s’était arrêtée sur la banque. Pas de vocation, juste le besoin d’être rassurée pas comme ces fous qui vont connaître plus de dix entreprises dans leur vie professionnelle. La conversation n’est pas riche. Néanmoins Mathilde se montre intriguée et intéressée par mon métier : peintre. Elle me pose mille questions sur ma vie d’artiste. Comment je vis ? comment viens l’inspiration ?, etc. Elle se montre réceptive à mes réponses, il faut dire que j’ai travaillé mon sujet : je suis Gerhard Richter, le peintre allemand. Je lui explique le réalisme dans la peinture, l’abstraction, mais aussi ma recherche devant la profusion des images et leur sens. Comment je dois me confronter aux autres médiums comme le cinéma et la photo.
A la fin du repas, son intérêt devient évident, son univers vient de s’élargir brutalement. Je lui propose de venir boire un verre dans mon atelier-loft, elle accepte avec entrain. Elle boit mon discours sur la peinture qui peut changer le monde. J’avais pris soin d’acheter des reproductions des toiles de Richter, je les avais disposées ici et là en vrac dans l’atelier, l’illusion est parfaite. Elle me demande quel est mon message devant cette peinture du Crâne et de la Bougie et lui expliquer que j’ai voulu explorer le thème de la vanité. Dubitative, elle préfère en rester là. Un jour elle découvrira peut être qu’elle s’est vendue 16 millions de dollars. Cela lui parlera plus.
La semaine prochaine, je serai Brassaï.
Par Laurent
Laurent nous sert ici l’histoire d’un imposteur cultivé, un genre de « gentleman artiste », un Arsène Lupin qui aurait toujours rêvé d’être peintre ou un Robin des bois qui prendrait l’argent pour le rendre à l’art. On ne saura pas exactement pourquoi il a des faux papiers, d’où provient son argent, ni même s’il le possède vraiment, pourquoi il a un faux nom : à la limite, peu importe. C’est un pari, de taire ces détails, et à mon sens il fonctionne. Ce que nous conte Laurent, ici, c’est l’instant présent, ce moment où ça se joue, où « ça passe », les faux papiers sont acceptés, ce qui permet qu’il invite la banquière et « commence » son petit jeu de faux-semblants. On retrouve (pour ceux ici qui connaissent déjà l’écriture de Laurent) son regard en demi-teinte sur ses personnages : pas de complaisance, mais une grande tendresse, le tout porté par son sens de la formule et du juste détail. Avec peu de choses, finalement, mais bien choisies, il « campe » à la fois Mathilde et Laroche, et nous embarque à leurs côtés.
Je pense, Laurent, qu’il manque un petit quelque chose à ton texte : Moi j’aimerais juste savoir pourquoi Laroche a choisi d’être peintre. Au début du texte, il parle de l’art en général, mais il choisit peintre. Et Brassaï est aussi dans le domaine « arts visuels », même s’il est aussi photographe et sculpteur, d’après ce que je trouve en cherchant (je le connais mal, je ne sais pas pour quel domaine de son art il est le mieux connu…) J’aimerais que ça ait une justification. Autrement dit : soit il est peintre ce coup là et il sera musicien ou danseur la fois suivante, et je voudrais savoir pourquoi il est autant touché par tous les arts (complémentarité ? richesse ?…). Soit il est peintre et restera peintre, et alors je voudrais savoir pourquoi c’est cet art là qui lui parle tellement (couleurs ? Variétés des styles possibles ?…). Et je voudrais le savoir non pas avec de grandes explications, mais juste avec des petites touches par ci par là, sans doute des allusions sensorielles, aux matières/couleurs/sons/mouvements… qui le touchent tellement, et qui l’ont transformé en croisé de l’art. ça « assoirait » davantage ton personnage, et lui donnerait le petit plus qui lui manque sans doute.
je suis décidément toujours aussi fan de l’ambiance des textes de Laurent, et de Ses hommes aventureux et mystérieux
L’idée de mon texte est la critique d’une forme de société dans son formatage où les gens sont de plus passifs. Je voulais considérer que pratiquer un « Art » quel qu’il soit doit permettre de s’affranchir de ce formatage. C’était ambitieux trop sans doute. Mathilde est mon personnage symbole de cette société sans âme ni coeur et Laroche le faire-valoir. Après, j’aurais pu inverser le rôle homme/femme…
Nan nan nan, on n’est jamais trop ambitieux, c’est bien, l’ambition créatrice, en écriture! Et puis j’aime forcément ton idée, moi qui répète à l’envie qu’un jour, l’art sauvera le monde 😉
Mathilde est je trouve vraiment bien posée, telle que tu le dis là. J’ai aimé l’expression « encéphalogramme plat », parce que c’est exactement l’impression qu’elle m’a donné à la lecture. Quelques vagues couleurs pour faire semblant, mais finalement, rien. Elle « fonctionne » bien, cette Mathilde.
C’est alors peut-être le personnage de Laroche qu’il faudrait un peu plus détailler, le rendre plus « ample ». On ne sait pas très bien, tel qu’il est présenté, si c’est juste une petite frappe ou un philosophe…
J’aime beaucoup le personnage de Mathilde, je suis fan de l’univers de Laurent moi aussi 😉
Mais j’aimerais aussi en savoir davantage sur ce Laroche, même si ce n’est pas lui qui t’intéresse … il intéresse le lecteur on dirait ! 🙂
On ne va pas continuer d’insulter ces pauvres caractères dans cette édition de Mars 2016 hein, mais il est vrai qu’on aimerait ( en tout cas moi ) une histoire un peu plus longue…à savoir ce qu’il fait de l’art Laroche, même si ce n’est qu’un prétexte ici peut être.
On retrouve en effet bien ton univers Laurent et ton texte est toujours aussi agréable et fluide à lire, on est tout de suite dedans!
Je rejoins les autres avis, l’envie d’en savoir plus sur Laroche ou en tout cas, sur ses motivations. Aura-t-on l’occasion de lire une version longue ;-)?