L’année dernière les résultats avaient été mauvais, les mauvaises langues diront comme les précédentes. Maxime Dupuis en avait vu d’autres mais force de reconnaître que depuis son installation dans cette écurie au confins de l’ille-et-vilaine la réussite n’était pas au rendez-vous.
Maxime a décidé de se reconvertir dans les trotteurs de courses suite à son licenciement de chez Areola, la grande compagnie française. Les indemnités, confortables, et un petit héritage l’avait poussé vers sa passion, les chevaux de courses, plus particulièrement les trotteurs.
Ses débuts il y a 10 ans, s’étaient plutôt bien passés, il avait eu la chance de « toucher » Neige du Goutier, une alezane, qui gagna trois quintés et permit ainsi d’alimenter durablement les caisses de la petite écurie.
Seulement voilà, Neige du Goutier goutait maintenant aux joies de la reproduction et ses collègues équins de l’ écurie ne prenaient que quelques places dans les petits champs de courses de Basse- Normandie. Pas de quoi faire bouillir la marmite, aussi petite soit elle.
La petite écurie commençait à avoir des difficultés, difficile de payer le foin toutes les semaines, le maréchal-ferrant ne passait plus que deux fois par mois, le vétérinaire était appelé seulement en urgence. L’entretien des pistes d’entrainement laissait à désirer, des bosses, des trous se formaient çi et là.
Il ne pouvait compter que sur peu d’entraide, lui le parisien, venu manger le pain des normands, lui qui n’était pas du sérail et qui avait eu de la chance au début.
Il n’y avait que le vieux Eugène Paron, son voisin qui l’aimait bien. Eugène avait connu la gloire dans les années 70 avec Tropical Charmeur qui remporta le prix d’Amérique, la meilleure course pour les trotteurs et surtout la plus richement dotée. En bon normand, il avait fructifié son pactole en achetant des terres et un corps de ferme, puis retomba dans l’anonymat , se contentant d’entrainer et d’élever quelques poulinières pour s’occuper comme il aimait à le dire.
Eugène vivait seul, n’avait pas d’amis et on le regardait toujours avec suspicion depuis sa victoire dans le prix d’Amérique, on parla de potion magique qui aida le cheval à gagner, soupçons alimentés par les pouvoirs que l’on donnait à sa femme.
Janique, c’était son nom, était la rebouteuse, celle que l’on allait voir pour les verrues, la pluie qui tombe ou pas, les douleurs du dos, l’anémie du cochon et autres… Une sorcière disait on parfois. Le raccourci fut donc rapide. On lui prétait le pouvoir de faire avancer les chevaux plus vite. Las, seul Tropical Charmeur sembla en profiter car les autres pensionnaires d’Eugène ne firent jamais d’étincelles par la suite.
Mais Janique avait une explication, Tropical Charmeur aimait les châtaignes, surtout celles du pré du chemin Rouge qui avait reçu la foudre, un soir de novembre. Seulement voilà, dans leurs nouveaux prés, plus de châtaigners, que des noisetiers !
Il avait raconté cette histoire à Maxime l’an dernier, quand, autour d’un verre de cidre, il évoquait la mémoire de Janique, disparue depuis cinq ans. La discussion s’activait dans la cave d’Eugène et le cidre répondait présent. Pas un cidre Loic Raison, qui tord le ventre mais un cidre qu’Eugène pressait lui-même et dont il était fier. Il était difficile de connaître son degré d’alcool, certains parlaient de 10 degrés, d’autres ne s’en souvenaient plus.
Au fil des verres, Maxime devint pensif avec les châtaignes, son pré était plein de châtaigners. Mais oui bien sûr ! il faut y mettre le premier poulain que lui avait donné Neige du Goutier, un mâle nommé Snowman. Il le guettait, vérifiait s’il mangeait des châtaîgnes et oui alleluhiah il les dévorait littéralement. Sa progression était réelle et le poulain allait vite sur la piste d’entraînement défoncée, il fallait le débuter rapidement. A Rânes, ce serait bien, l’hippodrome convient bien pour débuter et Snowman gagna facilement, puis il gagna à Alençon, à Domfront, à Caen. L’heure était venue d’aller à Vincennes, le temple du trot, Snowman gagna encore, le prix d’Amérique se profilait, le nouveau champion Snowman gagna le Grand Prix en restant invaincu, du jamais vu. La magie des courses opérait…. Maxime leva les bras…. et s’ecroula dans la cave d’Eugène. La pomme l’avait emporté trop loin.
En rentrant sous la pluie d’orage, il passa voir Neige du Goutier dont le bas ventre s’alourdissait et qui donnera naissance en avril à un poulain. Il s’appellera Châtaigne.

Par Laurent