« Beaucoup difficultés avant bonheur… »

Il se demandait ce qu’il faisait là, pourquoi il avait laissé sa cousine l’amener ici. Les doigts de Madame Rita dansaient au dessus de sa boule de cristal. Elle devait frôler la soixantaine, avait une certaine prestance, des bagues sur chaque doigt. Ses dons lui venaient de sa mère et de sa grand mère. Elle s’interrompit et alluma une cigarette, la porta à sa bouche puis la posa sur son cendrier. la fumée qui sortait de ses narines rejoint rapidement celle qui remontait, serpentant du cendrier. Elle reprit :

« Beaucoup argent travail ».

Il pensa : moi avec ce nouveau patron c’est pas prêt d’arriver…

« Plus travail, fini travail ».

Il acquiesça.

« Ami mourir accident, beaucoup souffrance pour vous. Nom avec J, John, Jim, James ? Vous connaître ».

Il pensa : « oui comme 100% des americ… »

Elle coupa brutalement sa pensée.

« Non Jeff ! Vous connaître Jeff ?

– Oui , c’est un voisin avec lequel je suis devenu ami.

– Après, elle revenir vous voir, bonheur pour vous. »

Sa cousine reprit :

« Ce serait bien, depuis qu’elle l’a quitté, il n’est plus le même. »

Sur ces paroles, Madame Rita se leva comme pour nous faire comprendre que le temps imparti aux 30 dollars payés, était écoulé.

Contrairement à Lisa, il ne croyait ni aux boules de cristal, ni au marc de café ni aux os de poulet. Il l’avait accompagné pour lui faire plaisir.

📅👔📅

Les semaines passèrent et se ressemblèrent jusqu’au jour où il fût convoqué par le DRH. Ah! ben voilà, on y est, ils vont sûrement réduire le personnel.

Quand on lui parla d’une promotion, d’un poste de superviseur, il pensa immédiatement à Madame Rita. À cet instant, un doute creusa une brèche dans laquelle s’infiltra une certitude : Rita avait raison. Cette certitude s’ancrait de plus en plus profondément en lui, au point que très vite, elle était devenue une véritable obsession. Chaque jour, il lisait son horoscope pour savoir si l’une des prédictions de Madame Rita allait se réaliser. Rien n’était arrivé, il s’était senti oublié du destin. Il fallait qu’il la revoit ;  elle aurait peut être de nouvelles prédictions. Sans traîner, il y alla.

La grille en fer était baissée. Des lettres s’entassaient sous la porte. Elle était partie… Déçu il rebroussa chemin en direction de sa voiture. En se tournant, il vit une affiche publicitaire pour la loterie nationale, une phrase l’interpella  » La chance ne s’attend pas, elle se provoque « . Ces mots eurent l’effet d’un électrochoc.

Mais oui! C’est ça, pourquoi attendre quand on peut devenir le maître de son destin et aider les prédictions à se réaliser ? L’augmentation c’était fait, le licenciement maintenant! Quelques retards bien choisis, un avertissement, un dossier égaré, une ou deux insultes, un licenciement voulu est si vite arrivé.

En sortant du bureau du DRH, il riait aux éclats, enfin les choses changeaient. Un nom lui vint à l’esprit « Jeff ». Traiter son patron d’abruti c’est une chose, mais Jeff, il lui avait toujours été fidèle. Il se reprit immédiatement. Il fallait que ça soit un accident pour que ça colle au mieux à la vision de Madame Rita.

Il savait quand son voisin sortait ses poubelles, il n’avait qu’à patienter et le pousser dans les escaliers.

Sa tête heurta violemment les marches. Il ne bougeait plus. Il était mort. Il le regardait étendu sur le sol, il lui semblait désarticulé. Sans remord et tournant les talons, il rentra chez lui. Il avait été vigilant, personne ne l’avait vu. En effet, personne ne l’avait vu, sauf Jeff. C’est ce qu’il raconta à la police après trois semaines de coma.

Venus le coffrer, les inspecteurs trouvaient chez lui toutes ses notes, y compris celles concernant « l’accident de Jeff « . Il était fichu. Menotté, devant la voiture de police, il hurla :

« C’est pas comme ça que ça devait se passer ! »

Pendant le procès, alertée par sa cousine, son ex-femme était présente. Les longues heures, à pouvoir la regarder même si parfois elle détournait le regard, en valaient la peine. Elle avait vu juste . Rita, elle était bien revenue le voir, et il en était heureux.

Verdict : Peine capitale. Et ça, il ne l’avait pas vu venir .


Photo credit : april-mo on VisualHunt / CC BY-NC-SA