Texte de Nolwenn

Mathilde est hypocondriaque. Sa plus grande peur ? Faire une crise cardiaque. Sa vie s’organise donc autour de son coeur. De ses battements. Elle a réussi à agacer tous les cardiologues de la ville. Aucun ne veut encore la recevoir. Tous ont fait des tests, des mesures et lui ont dit « vous avez un coeur en parfaite santé Madame. » Peut-être aujourd’hui, mais demain ? Dans sa famille il y a des gens qui sont morts de crise cardiaque, ça pourrait être génétique. Le grand-oncle de son cousin Matthieu par exemple. Et le beau-frère de son grand-père aussi. Il faut faire attention aux prédispositions.

La vie de Mathilde n’est pas très excitante. Et pour cause, l’excitation affole le coeur, c’est dangereux. Avant même de se lever, Mathilde attrape son téléphone et grâce à une application qu’elle juge révolutionnaire, mesure son rythme cardiaque. 57, tout va bien. Avant de sortir de chez elle pour se rendre au travail, elle recommence. 75, tout va bien. Dans sa voiture (oui parce que les transports en commun sont beaucoup trop dangereux), arrêtée au 4e feu rouge qu’elle croise elle vérifie. 70, c’est bon. Ainsi de suite, toute la journée. Avant le repas, après le repas, après avoir monté les escaliers, après avoir discuté avec son patron, après sa séance de yoga, après avoir téléphoné à sa mère, avant de se coucher… Mathilde évite bien entendu toute situation stressante et inconnue. Son objectif ? Ne pas dépasser 110 battements par minute.

Ce week-end, Mathilde est invitée à un mariage à Biarritz. Celui de sa soeur, Hélène. Impossible de l’éviter. Rien que d’y penser son rythme cardiaque augmente. Elle ne peut pas y aller en voiture. Tours-Biarritz, trop long, trop fatigant. Donc 5h30 de train, changement à Bordeaux, tout peut arriver. Elle surveille ses battements toutes les 15 minutes. 85, c’est un peu rapide mais elle stresse donc ce n’est pas catastrophique. Finalement, elle arrive à Biarritz sans encombre. Sa mère l’attend à la gare. Et lui saute dessus, enchantée de la voir, comme d’habitude. “Doucement maman, tu me serres trop fort.” Dans la voiture son rythme redescend à 75, elle respire mieux.

Les retrouvailles familiales sont agréables mais Mathilde a besoin de se remettre de ses émotions. Son petit coeur a été bousculé dans ses habitudes, il ne faudrait pas qu’il s’énerve ou pire qu’il se venge. Derrière la maison de ses parents, part un chemin de balade qui mène à la plage. Enfant, Mathilde aimait regarder les surfeurs. Aujourd’hui, le déferlement des vagues l’assourdit, le vent lui fouette le visage et les embruns lui pique la peau. Elle frissonne. Il y a 10 ans, ici, son frère Tom s’est noyé. Il était sorti faire du surf par un temps épouvantable. Il n’est jamais rentré. La mer, quelle saloperie.

“Tout va bien Mathilde ?” Surprise, elle se retourne vers l’inconnu qui lui parle. “Je suis Grégoire, un ami d’Hélène.” Ah oui elle se souvient maintenant. Le gringalet boutonneux avec qui sa soeur partait toujours faire du vélo. Il n’est plus boutonneux. Ni gringalet. La discussion s’engage. Ils se rappellent leur enfance ici. Rigolent à l’évocation des tours qu’ils ont fait à leurs parents. Il est tard. Demain est un grand jour. 92 en rentrant tranquillement, ça va.

A la mairie, Grégoire vient s’asseoir à côté d’elle. Elle sent son coeur battre plus fort dans sa poitrine. Que se passe-t-il ? Elle est assise. Il ne fait pas trop chaud. Le mariage n’a pas encore commencé. Elle n’ose pas sortir son téléphone pour mesurer son rythme cardiaque. Elle respire. Pas d’affolement. Elle a dû être surprise par l’arrivée de Grégoire, c’est tout. Son coeur se calme déjà.

Le mariage est beau. Hélène rayonne. Mathilde a les yeux humides. Ses battements se sont accélérés mais c’est l’émotion. Grégoire lui serre brièvement la main. Elle lui sourit. C’est bien beau tout ça mais il ne faudrait pas que ça dure trop longtemps. Son coeur risque de ne pas le supporter.

Le soleil brille. Les invités trinquent au champagne. Mathilde échange avec Grégoire. Sa soeur la regarde avec un sourire en coin.

La fête bat son plein. Les tables ont disparu pour libérer la piste de danse. Le coeur de Mathilde bat à 110 à cause d’une valse avec Grégoire. Maintenant elle doit faire une pause. Elle marche, pieds nus dans l’herbe, savourant la fraîcheur de la nuit. 95, c’est bien ça redescend.

Grégoire apparaît à son côté. “Tu as froid, tu veux ma veste ?” Mathilde ne dit pas non. Il la dépose délicatement sur ses épaules et effleure sa peau. Son coeur s’affole. Il avance tout près d’elle. Il cogne dans sa poitrine. Il caresse lentement sa joue. Il résonne même dans ses oreilles. Il approche son visage. Il va exploser. Il l’embrasse. Oh ! Il bat au moins à 200 ! Mais… tant pis… Elle mourra de plaisir.

Par Nolwenn
Aime lire, raconter et écrire des histoires depuis… (ne s’en rappelle pas c’est trop loin). Devenue journaliste de presse écrite pour en partager. Dans ses rêves les plus fous, serait conteuse et écrivaine. Y travaille…

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Le texte de Nolwenn nous entraîne dans la vie d’une hypocondriaque qui se focalise sur son rythme cardiaque. Le rappel incessant au nombre de battement est un élément narratif très intéressant : c’est une manière purement factuelle et décalée de faire comprendre, sans les nommer, les états émotionnels de l’héroïne. Il suffit d’un chiffre pour que l’on comprenne ses emballements ou ses indifférences. Bien évidemment, le double sens de cœur est ici pleinement utilisé. Il est à la fois un organe de chair, ayant droit de vie ou de mort, et le reflet des émotions de l’âme.

J’avoue pour ma part que le « happy end » m’a surprise. La répétition incessante des vérifications du rythme cardiaque me laissait à penser que Mathilde ne saurait pas s’autoriser cet écart. Et même si en bonne fille-romantico-guimauve que je suis, ça me ravit qu’elle tombe dans les bras de Grégoire, je pense que le texte gagnerait en cohérence en choisissant l’une des deux options :
– Soit conserver le « happy-end », mais en faisant flipper totalement Mathilde (autrement dit, je pense que ce qui m’a semblé un peu « too much » pour le personnage, c’est le passage quasi direct d’un contrôle total au « tant pis, elle mourra de plaisir ». Je le pense peu crédible pour une vraie hypocondriaque).
– Soit transformer la fin du texte en « raté » : elle aurait bien aimé mais trop risqué, en gros.

Et à titre perso, ça n’engage que moi, je pense que la première solution est meilleure (et sans doute plus amusante à écrire, aussi ^^)

Une héroïne qui m’a fait mourir de rire. Je le voyais vraiment en train de vérifier constamment son rythme cardiaque et cela valait son pesant d’or. Par contre, le happy end m’ a un peu déçue (d’une façon générale, je n’aime pas trop les happy ends!) Il arrive un peu trop rapidement à mon goût. J’aurais aimé qu’on me fasse un peu languir et surtout qu’il soit moins… happy !

Je suis d’accord avec vous sur le Happy end, ta première idée était aussi la mienne Gaëlle. Etant moi-même sujette à quelques peurs paniques, cette fin n’est vraiment pas crédible !
J’ai, je l’avoue, manqué de temps pour l’écrire. Mais je vais essayer d’ici dimanche, de la remanier et de vous la partager.

Chic! 😉

salut Nolwenn, tout pareil que les autres pour la fin! j’attends donc le remaniement avec impatience!

Un remaniement possible :

Grégoire apparaît à son côté. “Tu as froid, tu veux ma veste ?” Mathilde ne dit pas non. Il la dépose délicatement sur ses épaules et effleure sa peau. Son coeur s’affole. Il avance tout près d’elle. Il cogne dans sa poitrine. Il caresse lentement sa joue. Il résonne même dans ses oreilles. Il approche son visage. Il va exploser. Il l’embrasse.

Mathilde s’écarte brutalement. Suffoque. Et fuit en pleurant. 150, c’est trop ! En passant près de la salle de réception, sa soeur, sortie prendre l’air l’arrête. « Grégoire… m’a embrassé… mon coeur… trop vite… je vais mourir ! » Hélène soupire. Comment expliquer que l’amour ne provoque pas de crise cardiaque ?

Le lendemain, Grégoire a voulu parler à Mathilde. Elle l’a évité. Si aimer signifie dépasser 110 battements par minute alors elle n’aimera jamais. Tant pis. 80 c’est bien.

C’est nettement plus « juste » je trouve, dans la droite ligne du caractère de cette femme. On pourrait éventuellement instiller un peu plus d’ambivalence, pour « complexifier » un peu le personnage, un truc du genre: « Le lendemain, Grégoire a voulu parler à Mathilde. Elle a hésité. Mais rien qu’à entendre la belle voix, elle a senti son coeur accélérer démesurément. Déraisonnablement. Presque mortellement. Alors elle l’a évité…. « etc.

Ce n’est qu’une possibilité, of course.

En tout cas c’est déjà une belle amélioration, que tu proposes, Nolwenn, je trouve!

J’aime beaucoup ton texte Nolwenn, j’adore l’idée de l’hypocondriaque qui s’interdit de vivre pour se protéger… Et ta nouvelle fin me plait bien mieux également!
Il y a juste le passage sur Tom, j’imagine que c’était pour le thème de l’atelier mais je trouve qu’il tombe un peu comme un cheveu sur la soupe… Tu peux peut-être essayer de l’intégrer différemment, en faire un lien avec sa peur de mourir (par ex, quand elle refuse Grégoire à la fin : « Tom doit être fier de moi, je vivrais longtemps ainsi » ou alors dire que ce n’est pas possible qu’il se soit noyé, il surfait / nageait trop bien, à tous les coups, il a fait une crise cardiaque, lui aussi…)

Le rappel du rythme cardiaque impose son propre rythme au texte et le sert très bien ! J’ai beaucoup rit, beaucoup aimé, et j’aime encore plus la fin alternative. C’est une très chouette idée, très bien menée ! Bravo et merci d’avoir pris le temps de retravailler ton texte et de le partager avec nous !