Texte de Sandroux

– Dis-moi ! Tu sais nous en faire voir de toutes les couleurs. Selon ton humeur et ton bon vouloir, tu nous offres un soleil éclatant dans un ciel bleu azur ou tu nous envoies des nuages gorgés d’eau provoquant des inondations.

– Crois-moi petite, après tout ce que vous m’avez montré depuis des milliards d’années, le retour de bâton que je vous envoie n’est qu’un faible écho de ce que vous m’avez fait subir.

– Comment ??? Je suis bien curieuse de savoir ce que nous t’infligeons de si désagréable.

– Depuis 4 milliards d’années, vous avez concentré en moi toutes vos espérances et attentes. Au tout début, quand vous êtes arrivés sur Terre, vous me craigniez. Je pouvais jouer avec vos émotions. Votre état d’esprit variait selon mon nuancier de couleur : j’étais bleu et clair, vous partiez à la chasse et la cueillette. A mesure que je m’assombrissais, votre peur croissait. Il fallait voir à quel point vous étiez terrorisés lorsque je jouais avec quelques éclairs et gouttes de pluie. Puis, avec le temps, vos craintes se sont estompées et le pouvoir de force s’est alors renversé. Vous m’avez alors contraint à être le complice de vos grands délires.

– Mais de quoi veux-tu parler ?

– J’ai dû héberger tous vos Dieux, les Grecs, les Latins… Ils ne cessaient de se pavaner à longueur de temps et, par votre faute, je me les suis coltiné pendant quelques siècles. Mes tentatives désespérées pour redevenir l’objet de vos peurs sont restées vaines. J’ai eu beau vous envoyer des pluies torrentielles, elles étaient attribuées à la colère de Zeus. Je vous voyais ensuite vous précipiter lui faire des offrandes pour estomper sa fureur. J’ai voulu attirer votre sympathie en vous envoyant des étoiles filantes, mais non !!!! vous pensiez que c’était Vénus qui vous saluait. Par contre abandonnez toutes vos illusions, les couchers de soleil n’étaient pas de mon propre chef, ce n’étaient qu’une cruche de vin qui tombait de la table de Dionysos lors de ses banquets.

– Ca n’a pas dû être facile pour toi tous les jours mais nous restons tout de même bien attentionnés à ton égard… Nous aimons te regarder…

– Bien attentionnés dis-tu ? Que nenni ! Vous êtes en pleine vendetta. Vous m’en voulez encore de la période préhistorique où j’étais votre bourreau. Et puis la victime s’est rebiffée contre son agresseur : vous avez essayé de m’empoisonner à plusieurs reprises. Vous avez, dans votre chef d’inculpation, plusieurs tentatives d’assassinat, mais je n’en retiendrais que deux : le nuage de Tchernobyl et les pots d’échappement.

– Effectivement je comprends que tu te sentes persécuté mais nous avons toujours les yeux rivés vers toi.

– Mais j’ai perdu toute ma magie…

– Non, nous adorons te regarder. Le soir, tu nous fais profiter de la lune et de constellations d’étoiles. Pendant les journées d’été, ton bleu nous ravit.

– Maintenant que la science de la météorologie a fait son apparition, j’ai perdu tout cachet. Adieu mon mystère !! Tous mes tours de passe-passe ont été décelés par vos scientifiques. Je ne peux plus m’amuser à vous faire des surprises !!! Tous les soirs vers 20h00, la dame du bulletin météo déjoue tous mes plans en vous annonçant quelles surprises je vous avais réservées pour les jours à venir. Vous réussissez à anticiper tous mes cumulus, mes mistrals, mes flocons de neige, mes tempêtes. Néanmoins, j’aime vous voir, de là-haut, vous affoler et vous voir déclencher les alertes sur votre gamme de couleur qui s’étale de vert à rouge écarlate. D’ailleurs, je n’ai pas encore réussi à vous faire déployer « l’alerte noire mauvais temps ».

– Bon, entre nous, on se rend bien compte que cette science n’est pas bien sûre. Tu as conservé de ta splendeur d’antan et n’es finalement pas si prévisible que tu le prétends. Quand Madame Météo nous annonce un soleil resplendissant, nous nous empressons d’oublier nos vestes et enfilons robes et shorts. Je n’imagine pas à quel point tu dois rire dans ton coin en nous voyant nous faire tremper par une de tes averses et rentrer chez nous mouillés de la tête aux pieds…

– Qu’est-ce que je ris à ce moment !!! Pour rien ne te cacher, ça fait partie de mes petits plaisirs qu’il me reste.

Par Sandroux

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Sandroux nous propose ce mois-ci un dialogue entre le « ciel » et « l’humain », comme deux entités distinctes. La personne qui parle, parle le plus souvent au « nous », ce qui en fait en quelque sorte la porte-parole de l’humanité toute entière. C’est un dialogue un peu ambivalent, on sent à la fois une certaine défiance de l’un envers l’autre, à qui sera le plus fort ou maîtrisera l’autre ; et une sorte d’affection, comme si au fond les deux savaient que leurs sorts étaient immanquablement liés, même quand c’est décevant. Sandroux décline cette opposition/attirance à travers le côté purement physique (temps qu’il fait, etc…), et symbolique (Dieux, etc…). La dimension historique est riche ici : en permettant de décliner plein de situations différentes s’étant produites au fil des âges, elle permet aussi de faire évoluer le positionnement des deux interlocuteurs, l’un par rapport à l’autre, au fil du dialogue. Et on arrive finalement à un genre de consensus final, presque dans la complicité et le clin d’oeil, là où il y a eu auparavant opposition et dimensions plus philosophiques. C’est donc un texte qui passe par plein de « couleurs » différentes.

Je pense, Sandroux, que tu gagnerais tout à fait à accentuer l’ambivalence, et les différentes « étapes » de ton texte. A marquer davantage de colère quand ils sont opposés (ils pourraient par exemple se couper la parole, et ton personnage humain aussi, pourrait râler, trouver que le ciel exagère à certains moments, ou qu’il se plaint tout le temps, etc…), davantage de tristesse quand ils sont déçus, davantage de complicité quand ils se rejoignent, etc… Tel quel, ton texte fonctionne, mais il est assez « linéaire » en terme de rythme et d’émotions. Je pense que tu lui donnerais plus de relief en creusant des écarts (échanges courts/échanges longs, par exemples). De même, je pense que ton personnage « humain » pourrait parfois parler au « je » plutôt qu’au nous, particulièrement quand elle se laisse embarquer par ses émotions, justement. On pourrait par exemple imaginer qu’elle « rembarre » le ciel quand il parle des temps préhistoriques (« oui, c’est bien gentil, hein, mais j’y étais pas, moi, et ça ne me manque pas spécialement, je suis végétarienne »… Simple exemple of course 😉 ), etc…

J’ai trouvé intéressant qu’ici ça soit l’élément nature qui ait besoin de s’exprimer, et vider son sac. Il est finalement bien plus central que l’humain , dont j’aurais aimé toutefois en savoir un peu plus pour mieux visualiser

Je suis d’accord avec Schiele : c’est intéressant que ce soit le ciel qui vide son sac.

Oui, moi aussi j’ai bien aimé ça, l’élément « supérieur » qui finalement, revendique comme nous petits humains… 🙂

Pour lire ce texte en dernier (par rapport à l’ordre d’apparition sur la page), je suis également agréablement surprise que pour une fois les rôles soient inversés et que ce soit l’élément naturel qui se confie ! Cela lui donne une autre dimension que j’ai trouvé sympa !