Texte de Simon – « Observation »

Observation n°3, 28 novembre 2021, étang de Vilnieux

Le cormoran n’est pas un animal difficile à décrire. C’est sans doute le sujet recommandable à tout naturaliste amateur qui souhaiterait se lancer dans l’écriture animalière. Il s’observe facilement à l’œil nu.
Il est là, posé sur son piquet de bois, dominant les roseaux. La posture est arrogante, mais il convient à cette étape de ne pas projeter de traits humains sur l’animal. Le cou est tendu. Il dégage une gorge blanche, lumineuse, comme éclairée d’un bec ocre-jaune. Ces couleurs surprennent un peu pour cet animal qu’on imagine parfaitement noir. L’œil est vif, vert, rond. Le regard porte au loin, comme absent à son environnement proche. Son bec est long, crochu ; c’est une pince efficace.

Lorsqu’il déploie ses ailes, il laisse apparaître de longues rémiges noir charbon. Mais les premières lumières matinales de cet instant reflètent aussi des nuances de bleu. 

Son cri est guttural, rauque. Une mouette, posée quelques cailloux plus loin en frémit. Ou bien est-ce le vent qui l’agite, la déplume et la gonfle. Elle répond d’un cri perçant. Mais les regards des oiseaux, cette fois, ne se croisent pas.

Le cormoran prend son envol et file haut dans les airs. Le battement des ailes est lent, mais il prend cependant de la vitesse. Corps fuselé. Que cherche-t-il en montant si haut ? Se prend-il pour Jonathan Livingston ?

Non, observer, garder la tête froide, centré sur le visible.

Il faut maintenant prendre la jumelle pour le suivre. Le cormoran n’a pas un vol qui joue avec le vent. À l’inverse de la mouette rieuse, la voisine dérangée tout à l’heure et  qui prend maintenant plaisir à jouer avec les courants de l’air, qui tourne et retourne, ne veut pas voir plus loin que le bout de son bec, lui ne cherche pas la jouissance des flux aériens. Son vol est un élan, comme un lance-pierre armé par un gamin. Voilà, on y est. Il vire maintenant sur son aile gauche, et pique vers l‘étang. Cette fois, les ailes sont ramassées, immobiles, plaquées contre le tronc. C’est un oiseau-torpille. Descente, vertigineuse. Le cou tendu. L’œil fixe. Point d’impact. La pénétration dans l’eau est fulgurante et laisse peu de traces. Il a englouti avec lui toute l’écume provoquée par le changement de milieu. Il disparaît à quelques mètres sous la surface. 

L’étang se fige. Pause.

Il ressort là-bas, un poisson au travers de son bec qu’il engloutit comme de rien. Son gosier se déforme au passage de la bête.

Silence.

Et voilà maintenant, le son d’un vol assourdi qui passe au-dessus de la hutte d’observation.

Un groupe d’oies bernaches se pose sur l’étang. Pour le coup, l’amerrissage est agité. On perçoit le poids de la fatigue. Elles sont huit, au plus. 

L’étang est réputé pour être situé sur un couloir de migration. C’est la saison. À vérifier cependant. 

Le cormoran s’éloigne un peu. C’est un territorial qui n’a pour horizon que le fond du lac et le poisson à pêcher. Les oies, elles, voient bien plus loin. D’année en année, de génération en génération, elles tracent la route avec une certitude. En vol, elles voient par delà les limites de l’horizon, guidées par l’instinct. 

Observons la troupe qui occupe désormais le milieu de la scène. Elles se resserrent comme pour un conciliabule. Les longs cous noirs  esquissent une danse rituelle faite de rapprochements furtifs. On cacarde, on glose. Une nouvelle scène s’esquisse. Suivant un léger courant de dérive, une bernache se détache du groupe. Lentement, elle s’approche des roseaux. Elle cherche à s’y cacher. Le corps est ramassé, le cou rentré, elle semble s’être assombrie. Un effet de lumière encore.  Il va falloir attendre un peu. Que va-t-il se passer ? Peut-être assiste-t-on au début d’un rituel de mort ? Est-elle à bout de force ou trop jeune ou trop âgée ? On a lu que le tiers des oies meurent pendant leur périple.Que savent-elles du risque qu’elles courent en prenant leur envol aux premiers jours de la migration ? Ont-elles été protégées, entourées, encouragées ? 

Imperceptibles, dans les roseaux, quelques branches mortes définissent l’entrée du terrier d’un ragondin. Il va faire bonne chère celui-là, se servir sur la bête. C’est un carnassier opportuniste.

Le cormoran méfiant disparaît peu à peu au loin de l’étang.

La mouette virevolte indifférente.

Le ragondin se prépare au festin.

Observer, garder la tête froide, centré sur le visible.

De l’autre côté de l’étang, un mouvement. À la jumelle, on distingue l’esquisse d’une silhouette à l’horizon.

Elle est là, appuyée sur un piquet de bois. La posture est souple, fluide, elle adopte le mouvement des roseaux. Le cou est tendu. Il dégage une gorge blanche, lumineuse, elle porte sur la tête un foulard ocre-jaune. Ces couleurs vives surprennent un peu pour une promeneuse du matin. L’œil est vif, vert, rond. Le regard porte au loin, comme absent à son environnement proche. Elle déploie ses ailes et laisse apparaître de longues rémiges noir charbon.


Cormoran en Lithuanie (!) : © easyvoyage. 

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Bien désolé pour la confusion !! J’ai en effet voulu traduire la confusion du narrateur qui ne sait plus ce qu’il fout vraiment au milieu de cet étang… observer des oiseaux (pour quoi faire…), ou chercher « la » femme, pourquoi pas celle qui passe (son horizon à lui ???)…mais qu’il n’arrive pas à décrire et dont les contours étranges…a revoir donc cette chute car il y a une marge entre créer de l’ambiguïté, et foutre le bordel…Le lecteur n’a pas toute sa vie pour comprendre si ceci, ou cela, ou bien encore que là peut-être…

Pour la première interrogation, je suis tout sauf un ornithologue, même amateur, pas assez patient, ambiance trop humide pour moi ! Mais au départ, avant même d’avoir le sujet du mois, je voulais écrire un texte sans personnages…Histoire de m’amuser un peu…C’est ce grand nigaud d’observateur qui a mis le bazard en captant une silhouette humaine, c’est pas moi, je le jure…

J’ai adoré le traitement décalé du sujet : la notion d’horizon vue par un cormoran et autres volatiles lacustres. Le choix des mots est minutieux et le rythme impulsé au texte nourrit la lecture des évènements de cette observation n°3. Bravo.

J’aime beaucoup cette manière de traiter le sujet façon documentaire animalier. Et en même temps qui de mieux qu’un oiseau peut-être bien placé pour nous parler de l’horizon? Je m’y suis cru. En revanche, j’ai peur, le ragondin est-il arrivé à choper un volatile?

Coucou (mais le coucou, c’est une autre saison…)
Le ragondin fait ce qu’il peut, mais si l’oie se meurt…

J’aime beaucoup la façon dont le sujet est traité. Il ressort du texte une grande douceur je trouve, créée par les longues phrases, les phrases plus courtes, un rythme quoi ! J’ai eu la sensation d’être là, en embuscade pour saisir toute la richesse du moment et du texte. Je me suis laissée glisser sur l’étang au fil de la lecture.
Et puis cette silhouette qui revient, cette description du début reprise à la fin, j’aime beaucoup cet effet de répétition. On revient au point de départ et pourtant, il s’en est passé entre deux !
Merci Simon pour ce joli moment de lecture.

Moi, je me suis régalée d’un bout à l’autre. J’ai aménagé, il y a moins d’un an un brin plus près de la nature et je m’amuse aussi à apprendre à regarder exactement ces volatiles que tu décris. Je sais maintenant reconnaître une bernache cravant… pfff, faut aussi apprendre leurs petits noms)…
C’est amusant, rythmé, on ne s’ennuie pas comme on pourrait l’imaginer d’un gars planté le pieds dans l’eau (ou juste au dessus dans son abris) derrière ses jumelles à chercher ce qu’on ne comprend pas, nous les profanes… moi, j’aime bien le bazar de l’humain que tu ne voulait pas dans ce texte, mais qui s’est invité, voire imposé et la chute que je n’ai pas mi des heures à imaginer…. Et les commentaires de Francis et ton idée « pas de côté » pour traiter le sujet et ta réponse… c’est tout bien d’un bout à l’autre