Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : Sandroux

Texte de Sandroux

– Dis-moi ! Tu sais nous en faire voir de toutes les couleurs. Selon ton humeur et ton bon vouloir, tu nous offres un soleil éclatant dans un ciel bleu azur ou tu nous envoies des nuages gorgés d’eau provoquant des inondations.

– Crois-moi petite, après tout ce que vous m’avez montré depuis des milliards d’années, le retour de bâton que je vous envoie n’est qu’un faible écho de ce que vous m’avez fait subir.

– Comment ??? Je suis bien curieuse de savoir ce que nous t’infligeons de si désagréable.

– Depuis 4 milliards d’années, vous avez concentré en moi toutes vos espérances et attentes. Au tout début, quand vous êtes arrivés sur Terre, vous me craigniez. Je pouvais jouer avec vos émotions. Votre état d’esprit variait selon mon nuancier de couleur : j’étais bleu et clair, vous partiez à la chasse et la cueillette. A mesure que je m’assombrissais, votre peur croissait. Il fallait voir à quel point vous étiez terrorisés lorsque je jouais avec quelques éclairs et gouttes de pluie. Puis, avec le temps, vos craintes se sont estompées et le pouvoir de force s’est alors renversé. Vous m’avez alors contraint à être le complice de vos grands délires.

– Mais de quoi veux-tu parler ?

– J’ai dû héberger tous vos Dieux, les Grecs, les Latins… Ils ne cessaient de se pavaner à longueur de temps et, par votre faute, je me les suis coltiné pendant quelques siècles. Mes tentatives désespérées pour redevenir l’objet de vos peurs sont restées vaines. J’ai eu beau vous envoyer des pluies torrentielles, elles étaient attribuées à la colère de Zeus. Je vous voyais ensuite vous précipiter lui faire des offrandes pour estomper sa fureur. J’ai voulu attirer votre sympathie en vous envoyant des étoiles filantes, mais non !!!! vous pensiez que c’était Vénus qui vous saluait. Par contre abandonnez toutes vos illusions, les couchers de soleil n’étaient pas de mon propre chef, ce n’étaient qu’une cruche de vin qui tombait de la table de Dionysos lors de ses banquets.

– Ca n’a pas dû être facile pour toi tous les jours mais nous restons tout de même bien attentionnés à ton égard… Nous aimons te regarder…

– Bien attentionnés dis-tu ? Que nenni ! Vous êtes en pleine vendetta. Vous m’en voulez encore de la période préhistorique où j’étais votre bourreau. Et puis la victime s’est rebiffée contre son agresseur : vous avez essayé de m’empoisonner à plusieurs reprises. Vous avez, dans votre chef d’inculpation, plusieurs tentatives d’assassinat, mais je n’en retiendrais que deux : le nuage de Tchernobyl et les pots d’échappement.

– Effectivement je comprends que tu te sentes persécuté mais nous avons toujours les yeux rivés vers toi.

– Mais j’ai perdu toute ma magie…

– Non, nous adorons te regarder. Le soir, tu nous fais profiter de la lune et de constellations d’étoiles. Pendant les journées d’été, ton bleu nous ravit.

– Maintenant que la science de la météorologie a fait son apparition, j’ai perdu tout cachet. Adieu mon mystère !! Tous mes tours de passe-passe ont été décelés par vos scientifiques. Je ne peux plus m’amuser à vous faire des surprises !!! Tous les soirs vers 20h00, la dame du bulletin météo déjoue tous mes plans en vous annonçant quelles surprises je vous avais réservées pour les jours à venir. Vous réussissez à anticiper tous mes cumulus, mes mistrals, mes flocons de neige, mes tempêtes. Néanmoins, j’aime vous voir, de là-haut, vous affoler et vous voir déclencher les alertes sur votre gamme de couleur qui s’étale de vert à rouge écarlate. D’ailleurs, je n’ai pas encore réussi à vous faire déployer « l’alerte noire mauvais temps ».

– Bon, entre nous, on se rend bien compte que cette science n’est pas bien sûre. Tu as conservé de ta splendeur d’antan et n’es finalement pas si prévisible que tu le prétends. Quand Madame Météo nous annonce un soleil resplendissant, nous nous empressons d’oublier nos vestes et enfilons robes et shorts. Je n’imagine pas à quel point tu dois rire dans ton coin en nous voyant nous faire tremper par une de tes averses et rentrer chez nous mouillés de la tête aux pieds…

– Qu’est-ce que je ris à ce moment !!! Pour rien ne te cacher, ça fait partie de mes petits plaisirs qu’il me reste.

Par Sandroux

Texte de Sandroux

Je ne me rappelle plus depuis combien de temps je fais ce trajet, quotidiennement, cinq jours par semaine, aller et retour. Ce trajet dont j’ai appris à connaitre chacune de ses courbes, chacun de ses tunnels et arbustes qui se dressent devant moi, chacun de ses paysages. D’abord des maisons bourgeoises en meulière. Leurs deux ou trois étages s’élèvent majestueusement au milieu d’un jardin fleuri où l’on aperçoit une balançoire, une cabane pour enfants et des jeux disséminés sur toute sa surface. Puis arrivent des immeubles d’une dizaine d’étages. Des antennes satellite, regardant toutes dans la même direction, habillent ces façades décrépies et noircies par le temps. Ces habitations évoluent avec mon trajet, progressivement, sans que j’en prenne réellement conscience, et font place à des immeubles sociaux où des familles s’entassent dans un 20m2. Des barreaux s’érigent devant les fenêtres me donnant l’impression que chaque logement s’est transformé en une cellule de prison. Des vêtements et des chaussures sont désespérément accrochés entre le vitrage et ces barres métalliques, probablement pour les faire sécher. Au rez-de-chaussée, des morceaux de tissus sont étendus entre la façade et un petit muret : non pas une cabane d’enfant, mais un abri de fortune pour adultes, juste pour essayer de dormir au sec.

La routine de mon trajet m’a fait perdre toute sensibilité pour cette disparité. Les voyageurs, que leurs emplois ou activités a involontairement mis dans le même wagon que moi réussissent à dissiper ma torpeur.

Premier arrêt : Versailles. Une jeune fille monte. Cheveux blonds relevés en chignon, yeux bleus maquillés avec discrétion, teint hâlé de ses dernières vacances, tailleur ajusté et escarpins.

Cinquième arrêt : Bellevue. Sur le quai, un homme hésite. Il n’arrive pas à choisir dans quel wagon il va monter. Après quelques secondes de réflexion, il se décide. Mais avant de rentrer, il a un geste qui retient toute mon attention : il s’essuie les pieds sur la première marche. Un peu comme quelqu’un qui frotte ses semelles avant de rentrer chez lui. Est-ce un TOC ou considère-t-il les transports en commun comme sa propre demeure ? Il est suivi de très près par un homme au costume dépareillé. Une veste en velours côtelé, trop grande pour son gabarit, cache ses poignets et ses mains. On peine à distinguer la largeur de ses épaules tant la veste est grande. Il porte un pantalon trop court laissant ses chevilles découvertes. Les traits de son visage laissent à penser qu’il est Russe – tout du moins il le sera pour moi. Il serre contre sa poitrine une pochette remplie d’un bloc de feuilles imprimées. Tête baissée, il attend patiemment le départ du train avant de pouvoir en distribuer à chaque passager.

Sixième arrêt : Meudon. Un Africain, frisant la cinquantaine d’années, monte avec difficultés dans le wagon. Malgré le grand nombre de places libres, il décide de s’assoir à côté de la jeune femme de Versailles. Ses traits sont tirés, probablement dus à un travail de nuit. Il porte une chemisette à carreaux délavés (trahissant un trop grand nombre de lavages) et un pantalon noir. Il transporte, en guise de pochette, un sac plastique de supermarché (mais après tout, leur fonction première reste la même).

Gêné, le Russe arrive à ma hauteur et me tend avec toute la détermination dont il est capable, une feuille que je parcours rapidement des yeux. Il nous explique les difficultés qu’il rencontre pour se loger, se nourrir, se soigner, poursuivre ses études…

La lumière du train s’éteint brusquement ! Je ne prends même plus la peine de regarder par la fenêtre, je sais que l’on traverse le tunnel de Vanves Malakoff.

Je cherche du regard le Russe, mais mes yeux s’arrêtent sur le binôme Versailles/Meudon. Le papier avait fait naitre une discussion. La jeune femme lui lisait le texte et explicitait les attentes d’une telle démarche. L’homme fouille dans son sac et en sort quelques pièces qu’il pose délicatement sur le siège d’en face. La conversation se poursuit, les visages deviennent compatissants et compréhensifs, des sourires apparaissent…

Une voix féminine crache dans le haut parleur : Terminus ! Tous les voyageurs sont amenés à descendre.

Je ne me rappelle plus depuis combien de temps je fais ce trajet, quotidiennement, cinq jours par semaine, aller et retour. Néanmoins mes compagnons de voyage, dont j’imagine parfois la vie et avec qui je partage involontairement une petite heure me permettent de vivre chaque trajet différemment.

Par Sandroux

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