Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatSept2016

Texte de Pink lady

Elle avait toujours aimé les voyages en train.

Etudiante, ils étaient devenus cet «entre-deux», ce «nulle part et partout» lorsqu’elle partait en week-end chez ses parents.

Un entre-deux  entre cette femme en devenir qu’elle apprenait à être, seule, dans cette grande ville et cette enfant qu’elle s’autorisait encore à être fugacement un jour ou deux.

Elle avait grandi depuis,  choisi de rester à Lyon, commencé à travailler dans un cabinet d’archi. Elle avait trouvé un appart sympa, ses parents l’avaient aidée, même s’ils regrettaient qu’elle ne soit pas rentrée. Elle avait un boulot fou et adorait ça, sortait avec la petite troupe qui s’était créée durant les études et ceux qui s’y étaient ajoutés.

Ils avaient entre 25 et 30 ans. Malgré leur soif de liberté, de parcourir le monde, ils commençaient à se «caser», à «acheter», à faire des bébés.

Elle avait fait son trou là bas comme on dit.

Ca allait…

Ce matin, assise en première classe, place isolée 52, voiture 7, elle repensait à ces trajets d’alors, comme elle aimait déjà ne plus être là où elle était l’instant d’avant.

Elle avait gardé ses habitudes: de la musique dans les oreilles, quelques magazines à la con, un bouquin, un carnet pour écrire – elle avait toujours envie d’écrire dans le train- , en revanche elle n’avait pas acheté ses habituels m &m’s, elle avait l’estomac trop noué.

Ca allait… Au milieu de tout ça, il y avait Jean. Insaisissable.

Elle était follement amoureuse de lui, acceptant tout et n’importe quoi. Surtout n’importe quoi de l’avis de ses amis.

Un jour il était là, amoureux, le lendemain inatteignable.

Deux mois plus tôt il était parti en stage à Paris pour six mois.

Justine se réjouissait de pouvoir l’y rejoindre, elle rêvait cet ailleurs avec lui, pariant un peu sur la distance et le manque pour susciter un engagement chez Jean.

Un mois avant son départ, Mathilde et Solal avaient décidé de se marier, Julia et Rémy annoncé qu’ils attendaient un bébé.

Elle commençait à se sentir seule parmi tous ses amis dont les vies semblaient si bien tracées, ces «fils de bonne famille» qui avaient tous grandi ensemble.

Elle s’était souvent demandé si sa relation avec Jean serait différente si elle appartenait elle aussi à cette bourgeoisie lyonnaise, si ses parents avaient fait d’elle un «beau parti».

Seulement voilà…la distance et le manque, elle seule semblait les ressentir à en crever. Jean semblait aimer sa parenthèse parisienne. Elle se morfondait de son absence, il profitait et s’enivrait de Paris.

Quinze jours plus tôt, ils s’étaient disputés.

Il avait fui la discussion, n’était pas rentré le week-end comme prévu, n’avait donné et pris aucun appel.

Depuis 15 jours elle se morfondait, malade. Elle avait mal au bide, mal tout court.

On était mercredi, elle avait acheté un billet de TGV. Elle allait y aller.

Elle ne savait pas ce qu’elle trouverait au bout de ce voyage, mais il fallait qu’elle le fasse, qu’elle trouve la raison de partir ou rester.

Elle avait mis quelques affaires dans un sac, passé des heures à se maquiller, essayé douze tenues différentes pour être parfaite.

Elle se sentait fébrile, elle avait peur. Elle avait descendu ses escaliers les jambes tremblantes, fait tomber son pass dans le métro, cherché une place assise elle qui voyageait toujours debout. Elle se sentait trop maquillée, trop sapée, dans le genre «la campagnarde qui monte à la capitale».

Arrivée à Part Dieu, elle avait mal au ventre, le cœur qui cognait fort quand elle s’est assise place isolée numéro 52 de la voiture 7 de la première classe.

Quand le TGV a démarré elle a couru vomir aux toilettes.

Pourquoi ne se contentait-elle pas du peu qu’il donnait, n’était-ce toujours pas mieux que plus rien?

Elle n’a pas sorti de bouquin, ni son carnet, encore moins ses magazines débiles.

Elle a mis la musique dans ses oreilles. Dominique A chantait Eleor, elle a appuyé sa tête contre la vitre et laissé ses yeux faire leur va et vient.

Il faisait beau ce matin de Novembre, elle a sorti ses lunettes de soleil, s’absorbant de tous ces paysages qui disparaissaient aussitôt qu’ils arrivaient.

Du vert, de l’ocre, de la terre, du bleu.

Ces paysages de campagnes, les animaux, la lumière. Elle renouait avec son rêve d’y trouver une vieille maison à retaper, un refuge, une sorte de retour aux sources.

La campagne avait défilé, les paysages étaient devenus plus urbains, on approchait de paris.

Le TGV 8365 arrivait à quai.

En descendant, chancelante, elle était prête au tournant qu’allait prendre sa vie aujourd’hui.

Par Pinklady

Texte de Sandroux

Je ne me rappelle plus depuis combien de temps je fais ce trajet, quotidiennement, cinq jours par semaine, aller et retour. Ce trajet dont j’ai appris à connaitre chacune de ses courbes, chacun de ses tunnels et arbustes qui se dressent devant moi, chacun de ses paysages. D’abord des maisons bourgeoises en meulière. Leurs deux ou trois étages s’élèvent majestueusement au milieu d’un jardin fleuri où l’on aperçoit une balançoire, une cabane pour enfants et des jeux disséminés sur toute sa surface. Puis arrivent des immeubles d’une dizaine d’étages. Des antennes satellite, regardant toutes dans la même direction, habillent ces façades décrépies et noircies par le temps. Ces habitations évoluent avec mon trajet, progressivement, sans que j’en prenne réellement conscience, et font place à des immeubles sociaux où des familles s’entassent dans un 20m2. Des barreaux s’érigent devant les fenêtres me donnant l’impression que chaque logement s’est transformé en une cellule de prison. Des vêtements et des chaussures sont désespérément accrochés entre le vitrage et ces barres métalliques, probablement pour les faire sécher. Au rez-de-chaussée, des morceaux de tissus sont étendus entre la façade et un petit muret : non pas une cabane d’enfant, mais un abri de fortune pour adultes, juste pour essayer de dormir au sec.

La routine de mon trajet m’a fait perdre toute sensibilité pour cette disparité. Les voyageurs, que leurs emplois ou activités a involontairement mis dans le même wagon que moi réussissent à dissiper ma torpeur.

Premier arrêt : Versailles. Une jeune fille monte. Cheveux blonds relevés en chignon, yeux bleus maquillés avec discrétion, teint hâlé de ses dernières vacances, tailleur ajusté et escarpins.

Cinquième arrêt : Bellevue. Sur le quai, un homme hésite. Il n’arrive pas à choisir dans quel wagon il va monter. Après quelques secondes de réflexion, il se décide. Mais avant de rentrer, il a un geste qui retient toute mon attention : il s’essuie les pieds sur la première marche. Un peu comme quelqu’un qui frotte ses semelles avant de rentrer chez lui. Est-ce un TOC ou considère-t-il les transports en commun comme sa propre demeure ? Il est suivi de très près par un homme au costume dépareillé. Une veste en velours côtelé, trop grande pour son gabarit, cache ses poignets et ses mains. On peine à distinguer la largeur de ses épaules tant la veste est grande. Il porte un pantalon trop court laissant ses chevilles découvertes. Les traits de son visage laissent à penser qu’il est Russe – tout du moins il le sera pour moi. Il serre contre sa poitrine une pochette remplie d’un bloc de feuilles imprimées. Tête baissée, il attend patiemment le départ du train avant de pouvoir en distribuer à chaque passager.

Sixième arrêt : Meudon. Un Africain, frisant la cinquantaine d’années, monte avec difficultés dans le wagon. Malgré le grand nombre de places libres, il décide de s’assoir à côté de la jeune femme de Versailles. Ses traits sont tirés, probablement dus à un travail de nuit. Il porte une chemisette à carreaux délavés (trahissant un trop grand nombre de lavages) et un pantalon noir. Il transporte, en guise de pochette, un sac plastique de supermarché (mais après tout, leur fonction première reste la même).

Gêné, le Russe arrive à ma hauteur et me tend avec toute la détermination dont il est capable, une feuille que je parcours rapidement des yeux. Il nous explique les difficultés qu’il rencontre pour se loger, se nourrir, se soigner, poursuivre ses études…

La lumière du train s’éteint brusquement ! Je ne prends même plus la peine de regarder par la fenêtre, je sais que l’on traverse le tunnel de Vanves Malakoff.

Je cherche du regard le Russe, mais mes yeux s’arrêtent sur le binôme Versailles/Meudon. Le papier avait fait naitre une discussion. La jeune femme lui lisait le texte et explicitait les attentes d’une telle démarche. L’homme fouille dans son sac et en sort quelques pièces qu’il pose délicatement sur le siège d’en face. La conversation se poursuit, les visages deviennent compatissants et compréhensifs, des sourires apparaissent…

Une voix féminine crache dans le haut parleur : Terminus ! Tous les voyageurs sont amenés à descendre.

Je ne me rappelle plus depuis combien de temps je fais ce trajet, quotidiennement, cinq jours par semaine, aller et retour. Néanmoins mes compagnons de voyage, dont j’imagine parfois la vie et avec qui je partage involontairement une petite heure me permettent de vivre chaque trajet différemment.

Par Sandroux

Texte de Groux

Je regarde tendrement mon vieil ours de mari. Il bricole quelque chose que je ne vois pas et je l’entends bougonner contre ses outils qui ne vont jamais. Je lui demande s’il a besoin d’aide, un grognement étouffé me répond. Je m’approche de lui alors qu’il relève la tête. Ses cheveux ont blanchis, sa peau s’est ridée mais ses yeux sont restés les mêmes. Pétillants et farceurs.

Un sourire se dessine sur ses lèvres et je retrouve le jeune homme dont je suis tombée amoureuse voilà bientôt 50 ans.

Je marchais tranquillement le long de la route principale de mon petit village, pour rentrer chez moi alors que je sortais du travail. Un bruit de moteur m’avait fait me retourner. Roulant à vive allure sur sa moto, les cheveux au vent, la cigarette aux lèvres, je le voyais qui s’avançait dans ma direction. Je me souvenais avoir tourné la tête, afin de ne pas croiser son regard. Je ne le connaissais que de réputation, il faisait partie d’une bande de 4 garçons, tous à moto. Ils venaient tous de la grande ville et les plus folles rumeurs couraient sur eux. Nul ne savait pourquoi ils avaient choisi de rester dans notre petit village. Toutes mes amies se pâmaient devant eux et faisaient des efforts de toilettes afin de les séduire. Je me souvenais trouver cela ridicule et ne voulais rien avoir à faire avec eux.

Lorsqu’il m’avait dépassée, ma robe vichy avait légèrement tournoyé et le vent m’avait fait voler quelques mèches de cheveux. Je l’avais entendu ralentir à ma hauteur mais j’avais gardé désespérément la tête tournée. Puis le bruit s’était éloigné et j’avais pu continuer ma route. La seconde fois où je l’avais croisé, je m’étais assise sur un rocher, sur le bord de la route. J’avais tout d’abord entendu le bruit de sa moto puis je l’avais vu arriver dans un nuage de poussière. Comme la fois précédente, il avait ralenti en passant à ma hauteur. Un sursaut de courage m’avait poussé à le regarder. L’éclat de ses yeux m’avait frappée. Des yeux pétillants et farceurs. Il m’avait souri et une fossette s’était creusée sur sa joue. Jamais mon cœur n’avait battu aussi fort. Le rouge m’était monté aux joues et mes mains s’étaient mises à trembler.

Le même scénario s’était répété plusieurs jours d’affilée. Il ralentissait de plus en plus à ma hauteur. Jusqu’au jour où il avait complètement arrêté sa moto et m’avait dit bonjour. Je crois que d’émotion, je n’avais rien pu répondre. Il m’avait souri de nouveau, avec sa fossette qui lui donnait cet air si attendrissant et m’avait demandé jusqu’où j’allais comme ça tous les jours. Je n’avais pas reconnu ma voix lorsque je lui avais répondu que je rentrais du travail et que j’allais chez moi. Il m’avait alors demandé si je devais beaucoup marcher et toujours de cette même voix mécanique, je lui avais répondu que j’avais un peu plus de 4 km.

Puis il était reparti et j’étais restée de longues minutes, immobile, souriant les yeux dans le vide.

Le lendemain, avant de partir du travail, j’avais brossé mes cheveux et avait tapoté mes joues afin de leur donner un peu de couleurs.

Comme la veille, il s’était arrêté à ma hauteur et m’avait souri. Après quelques banalités, il m’avait proposé de monter derrière lui sur sa moto, afin qu’il me raccompagne et que je m’évite cette longue marche. En moi s’était bousculé une multitude d’émotions, allant du qu’en dira-t-on des gens à une petite voix me soufflant qu’enfin ma vie allait commencer. Comme dans un rêve, je m’étais entendue lui répondre oui.

Il m’avait souri et m’avait invité à monter. C’était la première fois que je montais sur ce genre d’engin. Il m’avait dit de serrer mes bras autour de lui. Lorsqu’il avait démarré, j’avais senti mon cœur battre très fort. Je ne savais pas si c’était de peur ou d’émotion de me sentir collée à lui. Je sentais l’odeur de son cuir. Au fur et à mesure du trajet, je me risquais à appuyer ma tête contre lui. Je fermais les yeux et rêvais qu’il m’emmenait au bout du monde. Je voulais que cette balade ne s’arrête jamais.

J’avais rouvert les yeux, et regardais les arbres défiler, rendus flous par la vitesse. Le bruit du moteur m’emplissait les oreilles mais je n’aurais échangé ma place pour rien au monde.

Puis il avait ralenti à proximité de chez moi. Il avait éteint le moteur pour que je puisse descendre. Il m’avait demandé si j’avais aimé. Je crois que je n’avais pu qu’hocher la tête, la voix coupée par l’émotion.

Il avait alors souri, avait penché la tête sur le côté et d’une voix douce m’avait dit à demain…

Par Groux

Texte de Mini697

Matthieu regardait Sarah dans le rétroviseur. Il avait, encore une fois, du mal à contenir son impatience mais il devait tout de même noter les progrès qu’elle avait faits. Elle arrivait désormais à fixer le siège bébé toute seule et en relativement peu de temps. Mais, elle oubliait constamment quelque chose dans la maison, le doudou, le petit ballon bleu, le biberon. Elle multipliait les allers retours et finissait enfin par s’installer à ses côtés, en nage, les joues rouges et particulièrement stressée.

– J’espère que ça va mieux se passer cette fois, commença-t-elle

Il ne répondit pas.

– Non ? T’es pas inquiet ?

– Sarah, on en parle à chaque fois, je ne sais plus quoi te dire

– De quoi ? Bon, peu importe, tu démarres ? On est en retard.

– Oui enfin, y a pas le feu hein..

Matthieu était bon conducteur, plutôt calme et détendu. Il avait obtenu son permis du premier coup, malgré un nombre incalculable d’heures de conduite perdues dans les bouchons et ces piétons insouciants qui semblaient constamment vouloir se jeter sous ses roues.

Mais, il n’en pouvait plus de ce trajet infernal, qu’il connaissait pourtant par cœur désormais.

Il n’en pouvait plus de Sarah, Sarah qu’il avait pourtant tant aimée, auparavant si joviale et légère. Sa Sarah et non cette femme qu’il reconnaissait à peine, dans un état de tension indescriptible et permanent, qui se retournait toutes les trente secondes vers le siège arrière de leur Clio et qui se contorsionnait de manière ridicule pour tirer sur un coin de couverture. Sarah qui n’avait pas dormi depuis plus d’un an et qui s’était complètement perdue dans ce qu’elle imaginait être la vie de mère parfaite.

Le feu passa au rouge et Matthieu sut que ce n’était pas un bon jour. Encore un feu rouge et ce serait la crise à sa droite. Pourtant, les nounous de la crèche étaient très compréhensives et il ne comprenait pas pourquoi Sarah ne se calmait pas avec le temps. Comme si cela avait la moindre importance finalement.

Deuxième feu rouge. Cela ne manqua pas.

– …

– Écoute Sarah, j’en peux plus

– De quoi ?, répéta t-elle, à son grand désarroi

– De tout, c’est la dernière fois que je te conduis dans cette foutue crèche

– Matt, tu sais bien que je ne peux pas conduire et il faut être deux pour surveiller le petit, tu sais ce que le médecin a dit, tu sais..

– Non Sarah, il ne faut pas être deux. Et non je ne sais pas.

Il se gara et se tourna vers sa femme qui le regardait d’un air qu’il ne savait pas déchiffrer.

Sarah dévisageait son mari. Il l’agaçait. Il ne l’aimait plus, c’était évident, mais cela lui était bien égal. Sa vie avait changé, elle avait juré un amour inconditionnel à un autre. Régulièrement, ces derniers temps, il tenait à la contrarier par des discours insensés. Il choisissait toujours les pires moments, alors qu’ils étaient en retard pour la crèche ou que l’une de ses amies venait admirer son nouveau bébé.

Elle fixa la petite boutique devant laquelle il s’était garé et aperçut au loin la jeune caissière avec qui elle s’était déjà disputée. Mais elle devait avouer qu’elle ne savait plus trop pourquoi. La jeune fille s’était moquée d’elle. De sa poussette. Ou de l’apparence de son fils. Ou l’avait accusée de se servir de la poussette à des fins malhonnêtes, oui c’était peut-être cela. Cela n’avait aucun sens. Sarah n’était pas sûre de vouloir rester dans ce voisinage. D’ailleurs, elle n’était pas convaincue non plus que c’était une bonne crèche et c’est pour cela qu’elle ne comptait pas y laisser son fils sans elle. Peut-être devaient-ils déménager ? Oui, ce serait sûrement mieux pour le petit. Elle entendait la voix de Matthieu, lointaine, mais elle ne savait pas de quoi il lui parlait. Elle se tourna vers son fils et lui sourit.

Matthieu avait redémarré à contrecœur. Une fois par semaine, il avait la force de confronter sa femme. Il se garait parfois devant la petite boutique où elle avait un jour été confrontée à l’absurdité de la réalité, à l’incompréhension des autres voire leur suspicion. Il espérait qu’elle aurait enfin un déclic et qu’elle lui épargnerait ce trajet sans queue ni tête qui lui coûtait son temps et son argent, son énergie et sa santé mentale. A lui. La sienne à elle, c’était une autre histoire désormais. Et à chaque fois, il perdait la bataille et reprenait le chemin de la crèche, abattu, voire effrayé, sans jeter le moindre coup d’œil au siège bébé, éternellement vide, que Sarah attachait avec soin chaque matin depuis qu’elle avait appris la triste nouvelle.

 

Par Mini697

Texte de Thibault

Trajet de rentrée.

Aïe, c’est blindé, j’aurais mieux fait d’y aller en Uber… Mais qu’est ce qu’il m’a pris de prendre un train ? Si, il y avait des manifestations partout, j’aurai été bloqué pendant des heures. Ils veulent une 6ème république, j’entends bien, mais c’est pas une raison pour prendre tout le monde en otage… Donc me voici, à Paris, sur le quai d’une gare, les écouteurs vissés aux oreilles, un sac à dos posé au sol entre mes pieds et un billet dans la poche. Nous sommes un Samedi de Septembre, en fin de journée et le train arrive enfin, de façon super prévisible, il est plein à craquer.

Je me fraye tant bien que mal une place à l’intérieur, je m’accroche à une barre de la rame en me remémorant pourquoi je suis là. Pourquoi déjà ? Ah oui, parce qu’une fois j’ai entendu ce philosophe assez connu dont j’ai oublié le nom dire quelque chose qui m’a plu. Ce dont je me rappelle c’est qu’il ne faut pas prendre la vie comme un voyage, en croyant qu’il y a une arrivée, un but, et qu’un jour, après des années de travail acharné, de sacrifices et de nuits trop courtes, on va avoir une révélation et se dire “Ca y est, j’y suis, je suis arrivé”. Le problème, c’est que ca ne va faire ni chaud ni froid, enfin bon j’imagine qu’on va surement être heureux 5 minutes, se faire un petit “high five” imaginaire pour avoir atteint ses grands objectifs. Mais dès le lendemain, retour à la réalité, rien n’a changé, on se sentira pareil que depuis toujours, et on ne vivra certainement pas dans le bonheur et la plénitude absolue.

Je redescends sur terre lorsque quelqu’un me bouscule légèrement pour sortir du train. Cela devait faire un moment que j’étais perdu dans mes réflexions existentielles, je ne m’étais même pas rendu compte qu’il y avait maintenant quelques places de libres. J’en prend une à côté de moi et tourne la tête vers l’extérieur pour laisser planer mon regard sur la ligne d’horizon en forme de barres d’immeubles qui a quelque chose d’assez hypnotisant, enfin si on aime les barres d’immeubles. J’en étais où ? Ah, oui, ne pas voir la vie comme un voyage, avec une arrivée, un but sacré à la fin. En effet c’est pas terrible, ca veut dire que quand t’es arrivé, t’es mort… Et si t’es pas mort, t’es tout vieux et tout fatigué, ce qui est à peine mieux… Je chasse cette idée de vivre une vie bien rangée tout en économisant pour mon hypothétique retraite en me disant que je préfère imaginer la vie comme de la musique par exemple. L’intérêt n’est justement pas la fin, la chute, mais au contraire sa continuité, son ambiance et ses variations. Si la vie est une musique alors son sens est de danser avec les autres tant qu’elle est jouée. Mais oui c’est pas mal comme idée, ca va tout à fait dans mon sens. Je me disais justement que je ne dansais pas assez ces temps-ci et que j’aurai bien besoin de changer de rythme.

Soudain, au moment où la musique justement se calme dans mes écouteurs, une voix passe au dessus et me ramène en une fraction de seconde à la réalité. ”Mesdames et Messieurs nous sommes arrivés à l’aéroport Charles de Gaulle, terminal 2, terminus du train, tous les voyageurs sont invités à descendre”. Dernière hésitation, rapidement balayée, je ne peux pas changer d’avis maintenant. Je me relève d’un bond, vérifie que j’ai toujours mon billet dans ma poche. En soulevant mon sac à dos je suis surpris, il est plus lourd que ce que j’imaginais. J’ai qu’un aller simple, j’aurai du partir moins chargé pour faire ce tour du monde, me dis-je en sortant du train.

Par Thibault

Texte de Marianne BT

Un instant suspendu…

« … Elle descend de la montagne à cheval…. »

Nous sommes juste mon frère et moi. Je dois avoir 8 ans, lui 12.

Nous sommes partis en exploration depuis ce qui me semble être des heures. A Plouescat, dans les dunes immenses de la pointe nord-ouest de la Bretagne. Là où, lors des grandes marées, la mer découvre des étendues infinies de sable gris et fin, des rochers remplis de crevettes et de bigorneaux.

« … Elle descend de la montagne à cheval… »

Nous sommes seuls au monde. Peut-être qu’un voisin, Bertrand, est venu avec nous ? Impossible de me rappeler. Je n’ai que ce souvenir d’accord parfait entre mon frère et moi. Où sont les parents, les adultes ? Rien ni personne ne semble nous entourer. Nous sommes au bout du monde, partis pour un trajet sans début ni fin. Nous avons embarqué sur notre frêle embarcation, un bateau en plastique vert pomme et rose. C’est le mien, mon trésor, arraché à ma mère par des supplications sans fin, fier vaisseau de nos délires fraternels, bulle de connivence et de complicité.

« … Elle descend de la montagne, elle descend de la montagne, elle descend de la montagne à cheval… »

Pourquoi cette chanson ? Aucune idée. Elle nous vient tout naturellement et nous nous époumonons sur elle, le paroxysme du délire étant atteint lorsque nous la triturons dans tous les sens, pour en arriver à

« … Elle descend de la cheval à montagne… »

Ce qui nous fait littéralement hurler de rire. Sans compter les « youpiyayha, youpi youpiyeah ! » qui nous propulsent dans une dimension parallèle de bonheur, un paradis éphémère et éternel.

Nous serpentons dans les méandres de rivières d’eau salée, créées par la mer quand elle s’est retirée. Elle est là, cette mer, mêlant la douceur réconfortante de la Manche à l’appel d’Aventures de l’Atlantique. Elle est là, tout autour de nous, elle nous embrasse et semble même encourager nos cris et nos chants. Le vent qui souffle dans nos oreilles chante plus fort encore, nous finissons par hurler pour passer sur lui. Le sel mouille nos lèvres, y laisse une petite crevasse, que nous attisons en l’humidifiant encore.

« youpiyaya, youpi youpiyah ! »

La plupart du temps, les petites rivières marines nous portent vaillamment. A peine avons-nous besoin d’un coup de rame pour nous détacher du sable. Parfois, pour avancer, il faut sortir de notre embarcation, tirer sur le bout à l’avant du bateau, lancer le frêle esquif dans les courants et sauter vite pour profiter de son élan. Ou pour éviter les créatures marines, crabes et autres serpents de mer qui nous attraperaient les chevilles si on restait trop longtemps immobiles.

« youpiyaya, youpi youpiyah ! »

Je ne me souviens pas du retour, juste du départ. Et d’ailleurs, quand décidons-nous rentrer ? Quand la faim de pain-beurre-chocolat* s’est faite trop forte ? Ou quand la mer s’en est allée trop loin, si loin qu’on croirait ne plus jamais pouvoir l’atteindre, comme une oasis dans le désert qui se dérobe à chacun de nos pas ? Toujours est-il qu’à un moment, saisis par l’immensité d’un instant parfait, du bonheur incommensurable d’être juste là, ici, présents, nous sommes revenus à la réalité vraie des choses et avons décidé de revenir à la serviette. Sérieux comme des adultes pris en flagrant délit de retour en enfance, soucieux de ne pas abuser de la formidable liberté accordée pendant quelques heures par les adultes, nous rebroussons chemin. Il nous faut maintenant remonter tout l’espace parcouru, bateau en plastique sous le bras, hurlant une dernière fois pour l’infini :

« youpiyaya, youpi youpiyaya

youpiyayha, youpi youpiyeah ! »

* Le « pain-beurre-chocolat » est un sandwich au pain baguette, beurre (salé) et chocolat au lait. La perfection de ce sandwich étant atteinte lorsqu’il a délicatement fondu (mais pas trop) dans le sac de plage, sagement rangé dans son pochon. Il faut alors le sortir en ayant pris soin d’enlever le sable collé aux doigts, sous peine de lui rajouter un léger côté croustillant.

Par Marianne BT

Texte de Schiele

Une fois sortie passée, à la clarté douce du ciel et la quasi absence de traffic sur le Boulevard Poissonière, Mèl en déduit qu’il doit être autour des 6 heures du mat.

En pilote automatique, elle ne pense même pas à chercher ses alcoolytes au milieu des hipsters qui quittent le club en même temps qu’elle.

On n’est pas encore au temps du über. Quand bien même, elle n’aurait pas assez de cortex disponible pour chercher sur l’appli de son smartphone.

Mèl espère juste qu’elle va pouvoir attraper un taxi sans attendre des plombes. Absolument pas la force d’affronter la violence des néons du métro. Ou de risquer de s’endormir en loupant sa correspondance et repousser l’heure à laquelle se coller sous les draps. Il lui reste assez de cynisme pour réaliser qu’entre l’heure du coucher et celle de l’endormissement, il va certainement se passer un long moment , vu toute l’énergie factice qu’elle s’est collée dans le pif.

Entre les plus vaillants qui s’engouffrent station Bonne Nouvelle et ceux dans un mood à tchatcher, elle réussit à se faufiler et hèler la laguna disponible qui passe au ralenti pile au bon moment.

Pourvu qu’elle ne tombe pas sur un lourd, du genre fan de dessins animés des années 90, qui lui chante tous les glorieux génériques. Par pitié, pas non plus un bavard aigri, qui lui fasse subir son analyse socio géo politico merdique de notre monde en perdition. Dans les 2 cas, Mèl n’arrive pas à contrôler la petite fille bien élevée, et se sent obligée de tenir le dialogue. Dans l’état où elle est là, ça lui demanderait une putain de dose d’ardeur mentale.

Deuxième coup de bol, le conducteur a la voix douce, le regard bienveillant. Enfin c’est tout ce dont elle se souviendra.

Alors Mél ose un « je suis pas en forme, ça vous dérange pas si je ferme les yeux? », lui glisse son adresse de banlieusarde, se cale au fond du siège et bascule la tête en arrière. La berline redémarre aussi doucement que son chauffeur a acquiescé.

Maintenant qu’elle s’est relâchée, la nausée revient direct, violente. Elle connait le délire, va falloir se mobiliser pour gérer. Dompter son corps. Eloigner ses pensées de sa dark side. Ca va lui bouffer un paquet d’énergie, mais son orgueil lui empêche de perdre tout contrôle et de s’exhiber à vomir devant témoin.

Mèl sait déjà qu’au lieu d’admirer les rues de Paris au petit matin elle va juste passer son trajet focus sur sa respiration, ses sensations, le regard tourné vers l’intérieur. Et elle se sent minable. Minable de reproduire pour la énième fois le cycle : soirée-apéro-coke-fun-club-badtrip-gueule de bois interminable.

Minable de ne pas être capable de se lâcher naturellement, de ne pas pouvoir laisser aller son corps à la danse sans expédient, d’avoir tellement peur d’être inintéressante sans chimie.

Son coeur bat trop vite, trop fort. Expirations profondes pour calmer le jeu.

Et merde voilà que le type lui casse sa concentration.

«  je peux mettre un p’tit CD mademoiselle? »

Mèl pioche dans sa réserve de présence et souffle un « oui oui poussif », en espérant qu’il ne lui colle pas un Claude François hystéro qui lui ferait repartir le palpitant direct.

Bonheur instantané quand elle reconnait les premières notes de « quand la ville dort » de Niagara. Elle n’a pas la force de lui dire, juste de lui envoyer un énorme merci mental. S’il regarde dans le rétro, il verra un sourire passer sur son visage.

Pile ce qu’il lui faut pour bercer son trip jusque la maison.

La conduite est souple, les feux doivent être souvent verts. Mél a la sensation d’une fluidité qui colle parfaitement à l’ambiance sonore et au rythme qu’elle veut donner à son souffle et ses pulsations. La fluidité dure, c’est l’album entier qui se déroule dans ses oreilles. Elle entame le chemin connu pour tranquiliser son corps. Partir de ses pieds endoloris par les heures passées sur le dance floor. Remonte sur ses mollets contractés. Ne pas chasser la douleur, plutôt la visualiser. pour l’apprivoiser. Aller vers son nombril, amplifier le mouvement cyclique de la respiration. Laisser les spasmes nauséeux venir, les contenir. Tenir en gardant en tête que ca va passer, ça passe toujours.

La transe se pacifie, Mél gagne le combat contre son corps et les prods. Elle peut entrouvrir les yeux et voir l’assemblée nationale. Percuter et tourner la tête vers la coupole magique du grand palais. Refermer les paupières, se reconnecter avec son ventre et son coeur.. Maintenant que le corps est en paix, elle peut se diriger vers ses pensées. Et se mentir que c’est la dernière fois.

Par Schiele

Proposition 09/2016

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Le prochain atelier aura lieu en octobre (lancement le vendredi 7 octobre au soir). Les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes pour ceux qui le souhaitent.

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

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Bonjour à tous,

Je suis heureuse de vous retrouver en cette rentrée. Et en ce mois de septembre qui (chez moi du moins) reste encore bien beau, je vous invite à nous emmener… Nous promener !

(Oui, je crois que j’ai encore envie de rester en mode été-liberté, ça se voit ?!)

Je vous propose donc de nous raconter un trajet, quel qu’il soit. Profitez de l’unité de lieu, et de temps, de ce trajet, et installez-y un ou plusieurs personnages, une histoire particulière.

En voiture, en train, en avion, à pieds, en canoë ou à dos de chameau : à vous de voir. Un trajet initiatique exceptionnel, ou parfaitement plan plan et quotidien ; rêveur ou concentré ; bercé de musique ou silencieux ; partagé à plusieurs ou solitaire… Comme bon vous semble ! Vous nous parlerez du paysage ou des sensations internes des personnages, voire des deux. Vous introduirez à votre guise des dialogues ou resterez purement contemplatif…

Bref, conviez-nous sur la route, dans les airs, sur l’eau… Et embarquez-nous à vos côtés !

Bonne écriture à tous !

PS: Petite innovation en cette rentrée: comme lors de l’atelier d’été, les commentaires sont ouverts sur ce post, ce qui vous permet d’échanger, pendant la semaine d’écriture, sur vos éventuels enthousiasmes et/ou difficultés à élaborer votre texte !

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