4h01. Mes yeux écarquillés fixent le plafond. C’est ça de vieillir. Après m’avoir privée de sport et de tâches multiples, les années me privent maintenant de grasses mat’. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. La bonne blague !

Il fut un temps où 4h01 était l’heure à laquelle je rentrais de soirée. L’heure où je réveillais mon compagnon ou ma compagne de la nuit pour m’éclater sous la couette. L’heure où je consolais le petit dernier qui avait fait un cauchemar. L’heure où je terminais ma partie de cartes en m’époumonant car on avait encore triché.

A 4h, il n’y a aucune émission à la radio. Et aucune chance de recevoir un appel de mes petits-enfants. Alors, j’attends… Les journées paraissent d’autant plus longues quand elles commencent à 4h01. L’avenir appartient à ceux qui rêvent tôt. Tic-tac.

4h32. Mon corps tremble. Pas assez pour être de l’épilepsie, trop pour être le froid. Parkinson, je ne vois que ça. Une brusque attaque. Et merde. Je regarde mes doigts faire des soubresauts. Je me vois déjà emmenée de force dans une maison de retraite. Impossible de me rendormir. Comment je vais finir le tricot du petit Paul? L’image d’une vieille tremblotante essayant de manipuler ses aiguilles me fit rire. Tic-tac.

J’essaye d’enfiler un pull. Une crampe me crispe le bras. Tant pis, je me rabats sur un poncho. La maisonnée est endormie. Mon chat lève la tête et la repose aussitôt. Ma chienne ronfle. Rrron pchi. Un thé me fera du bien, un thé noir pour m’éclaircir les idées. Mon corps continue à s’agiter. Splatch. Mon thé m’éclabousse. Dans la maison de retraite de Rosine, il n’y a que du café au lait. Quelle horreur !

C’est à ce moment-là que j’ai aperçu la lueur. J’ai écarquillé les yeux. Je les ai frottés. Scouitch scouitch. J’ai mis mes lunettes. J’ai vérifié l’heure : 4h50. Je les ai écarquillés de nouveau. Je me suis levée. J’ai ouvert le volet. Couic couic. 4h50, 9 décembre et il fait jour. Je me laisse tomber sur le fauteuil. Cette fois, c’est sûr, je perds la boule. Après Parkinson : Alzheimer !

Je vérifie dans l’évier. Aucun verre à bière ni à whisky, que des verres à moutarde. Je n’ai pas bu hier soir, c’est sûr. Mais que m’arrive-t-il ?

J’allume mon ordinateur. Clic. Aucune info concernant une lueur subite. Pas d’éclipse, pas de lune spéciale. Rien de rien. C’est sûr, j’ai perdu la boule.

J’ai envie d’une grosse tartine. Pain, couteau, grille-pain, cuillère, miel. Croc. Faut que je fasse un régime. Pas envie de me faire braire, m’étonnerait pas que je meure bientôt, au rythme où je tremble. Je rajoute une couche de miel. Croc. Sauf que si je vis encore 10 ans, à raison de 2 kg par an… Ca fait… Ca fait que je vais pas réussir à me déplacer encore bien longtemps ! Déjà que j’ai glissé deux fois l’hiver dernier en promenant ma chienne. Si mes enfants apprennent ça, c’est foutu. Go en maison de retraite, cocotte !

« Résidence d’automne ». « A la lueur des années ». « Les jardins en jachère ». « Quelques dizaines de secondes au compteur ». « Les amis du XVIIIème siècle ». Comment elle s’appellera, la mienne ?

Dring ! Dring ! Le téléphone. Le téléphone ? Quelle heure est-il ? 13h37! Mais qu’est-ce que j’ai foutu ?! « Allo ! Si si, ça va, je suis juste un peu endormie. Ne t‘inquiète pas ma Chérie, ta vieille mère pète le feu ! ».

Personne ne saura. Personne ne m’y traînera. Tant pis si je confonds la salière et le téléphone. Je mourrais dans mes montagnes et je continuerai à boire du thé.

Wouaf, wouaf ! Wouaf, wouaf !

Oh, ta promenade !! Bichette, je suis désolée ! Attends, je prends mon manteau. Zip. Allez, viens vite ! Clac.

Clac.

Zip.

Miaou ! Viens par là, j’ai envie d’un câlin. Ron ron.

Croc, croc, croc.

Clic. Clic.

Wouaf ! Wouaf ! Chut, tais-toi! C’est le facteur, idiote ! Wouaf !

Scouitch scouitch.

Couic couic.

Rrron pchi.

ParAriane