Texte de Chiara

Se lever pour vérifier encore une fois, ou rester allongée, Rose hésitait entre ces deux options.

Elle se repassa alors mentalement le contenu de sa valise, comme on scanne les objets pour ne pas les oublier. Elle s’était dit que ça serait mieux de faire le tri elle-même et que ça serait toujours ça de fait pour la personne qui allait la trouver. Pour la même raison, voilà plusieurs jours que Rose s’était appliquée à un ménage en grand, du fond des tiroirs jusqu’aux cartons à chapeaux sous l’escalier, elle avait remué tout à la fois la poussière, les souvenirs et ses articulations. La vieille dame sortait de ce remue-ménage le cœur léger mais le corps meurtri, elle accusait le changement de lune, tout en sachant que la vraie raison était le poids des ans.

Rose était étendue sur son lit, dans son costume vert, elle avait accroché sa broche à la poitrine et elle attendait. Elle se doutait que cette fois, l’attente serait longue mais elle était sereine, son choix était fait. Depuis petite, elle avait eu l’habitude d’attendre, et désormais il lui semblait parfois que le temps s’arrêtait, que les saisons se mélangeaient. Elle trouvait que c’était le bon moment à l’arrivée du printemps, que les gens seraient tristes moins longtemps, le soleil réchauffant les chagrins.

Ce fut un bruit sourd à la porte qui la tira de ses rêves. Est-ce qu’on entend encore quand on est mort ? Rose sortait peu à peu du brouillard de sa nuit, elle percevait plus nettement l’éclat qui l’appelait « Mme Rose, Mme Rose » mais cette voix lui était inconnue. Rose n’avait pas voulu prendre quelque chose pour accélérer son départ, elle croyait sa volonté suffisante mais c’était sans compter sur les autres…

Hortense n’avait pas eu de chance, aucune fée ne s’était jamais penchée sur son berceau ou perchée au creux de son épaule, malgré cela, elle était d’un naturel optimiste, d’une humeur joviale, à voir le verre à moitié plein. Heureusement d’ailleurs car, tout était à moitié plein chez elle, à commencer par le frigo et les placards. Hortense aimait bien ranger ses provisions, elle agençait les boîtes de conserve par taille et par couleur, ce qui donnait d’étranges colocations d’étagères entre des ananas et du maïs, des oignons et du sucre roux. Chez elle, tout était toujours nickel et pour cause, son chez elle se résumait en une chambre de bonne, avec toilettes sur le palier.

Hortense paraissait tellement loin maintenant, seuls les tuyaux qui lui apportaient oxygène et nourriture la reliaient encore à ce monde. Rose ne savait pas comment faire pour l’aider, elle avait l’impression d’être un funambule qui va s’élancer au-dessous d’un précipice. Elle se remémora alors les histoires anciennes de ces êtres surnaturels dotés de force incroyable et elle alla voir si elle trouvait des récits classiques. Il y avait peu d’ouvrages dans le coin bibliothèque et aucun n’était adéquat. Telle Ariane qui tisse son fil, Rose cherchait à broder une cape de protection autour d’Hortense, elle se dit alors qu’elle ferait rempart en disant les mots de sa vie, en commentant les lumières du printemps, les pépiements des oisillons fraichement sortis de leur coquille.

Rose mesura alors qu’elle venait d’inverser les rôles entre Hortense, son auxiliaire de vie et elle-même, et peut-être s’offrait-elle là, une possibilité d’avoir du rab sur la vie, le luxe de quelques moments de plus. Partie vite de chez elle, elle avait emmené sa valise et l’avait posé à côté du sac à mains en cuir bleu d’Hortense. Quand l’équipe médicale lui demanda si la jeune femme avait de la famille, Rose se résolut d’une main tremblante à faire glisser la fermeture du sac. Elle vit pêle-mêle un paquet de mouchoirs, des bonbons pour la gorge, un trousseau de clés avec un porte-clés en forme du Cameroun, un vieux porte-monnaie, un plan de métro parisien usé, des tickets usagés, une carte postale froissée d’être trimballée là.

A quoi se résume une vie de tous les jours ? A quoi ça tient la vie, chaque jour ? A un souffle, une brise légère ?

Hortense, la musique dans les oreilles, engagée dans les clous et le scooter de livraison de sushis qui surgit.

Lumières intenses, cris, douleur, moiteur, silence, froid, nuit. Nuit lourde sans respiration, sans répit, la vie se tait, se retient, fil ténu qui consolide dans l’ombre avant d’oser se montrer.

Hortense est une lionne, blessée mais combative, elle va récupérer fil après fil, elle va tricoter à nouveau les tissus de sa vie et montrer qu’elle est toujours là.

Quelques semaines après ces signes encourageants, Rose passait les portes du centre de rééducation « Les Epis dorés », ce qui la fit sourire car elle aurait réservé ce nom à une maison de retraite, elle portait une robe bleue et un bouquet d’hortensias assortis pour la jeune femme qui occupait ses pensées et ses après-midis.

Ouvrir les yeux pourrait suffire, Hortense le savait mais ne voulait pas le faire. Pas tout de suite, d’abord écouter, s’habituer aux voix, aux sonneries, aux bips, aux contacts sur sa peau pour les soins, la toilette, l’alimentation…

Hortense avait mis du temps à reconnaître la voix ténue de Rose mais elle savait désormais que la vieille dame des lundis et mercredis matins venait lui rendre visite à elle. Elle lui parlait du printemps, des primevères qui poussaient dans les parcs, de sa jeunesse en Sicile, de la brise légère qui sentait bon le citron.

Par Chiara

Plume à l’encre toute fraîche, la tête dans les étoiles et les pieds sur terre, j’aime jongler avec les mots pour les faire résonner plus haut.

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C’est un joli texte sensible, qui flirte avec des sujets délicats : la vieillesse, la mort, le besoin que nous avons les uns des autres (qui d’ailleurs peut s’inverser). Et qui fait de ces sujets facilement « graves » un récit finalement plutôt léger et optimiste. Même le départ programmé de Rose est traité comme un simple fait, pas comme un drame. Cela évite tout risque de pathos et aide à poser ce personnage de vieille dame, à lui conférer son caractère. J’aime beaucoup également la façon dont est campé le personnage d’Hortense, une femme que la vie n’a pas épargnée mais qui va son chemin. Bref, ce texte nous offre deux beaux personnages, qui se croisent autour de thèmes forts, traités de manière positive (en quelque sorte, avec le même regard qu’Hortense, celui qui voit le verre à moitié plein).

Du coup, j’ai trouvé dommage, à certains moments, de me sentir un peu « sortie » de la narration par une ou l’autre question sans réponse (qui a frappé à la porte de Rose ? Et pourquoi a-t-on frappé à sa porte ? Si Hortense a eu un accident dans la rue, par quel mystère vient-on la prévenir elle, qui n’est qu’une « cliente » ? Rose est-elle assez autonome pour se rendre au chevet d’Hortense alors qu’elle avait besoin d’une auxiliaire de vie auparavant, etc…). Ce sont des petits détails. Mais la cohérence et la logique sont les garants de la fluidité de la narration. On peut choisir d’éluder beaucoup de choses, dans un texte court. Mais il me semble important que les « rouages » soient en place, pour que l’histoire coule de source, et que l’imaginaire du lecteur ne soit pas gêné.

Ici, vraiment, il ne manque pas grand chose, et la narration est par ailleurs très agréable. Raison de plus pour s’atteler à la peaufiner encore plus !

Bonsoir Chiara,
Je trouve tes deux personnages très touchants, j’ai facilement réussi à me les imaginer grâce à tes descriptions rondement bien menées. L’idée que la vieille dame s’occupe à son tour de la jeune femme me plait bien.
J’ai cependant eu besoin de relire le texte une seconde fois pour bien le saisir. J’avoue avoir été un peu perdue lors de ma première lecture notamment au niveau du paragraphe « ce fut un bruit sourd… ». Qui vient chercher Rose et pourquoi?
Hâte de relire après « peaufinage »!
bonne soirée

Bonsoir Gaëlle et Justine,

Un grand merci pour ces retours, c’est une première encourageante!
Tant mieux si j’ai su donner corps à Rose et Hortense, elles m’ont accompagnée un moment en pensée.
Je retiens bien l’idée que certains éléments coupent un peu le fil de la narration, c’est dommage si je perds l’attention du lecteur.
Je vais relire tout cela en surface et en profondeur, afin d’éclaircir les points cités.
J’ai repéré aussi « un funambule qui va s’élancer au-dessous d’un précipice », ça paraît peu probable… »au-dessus » sera mieux!
Je note aussi l’idée des sensations corporelles relevées dans d’autres récits, je vais voir si je peux les apporter à Rose ou Hortense.
Vu leurs situations, cela peut être intéressant, peut-être quelques petites touches?

A suivre demain soir…

J’ai fait des retouches d’écriture suivant vos conseils, comment je les donne à lire à tous, en remettant le texte entier ou simplement les passages peaufinés?
Merci d’avance,
Chiara.

Chassé croisé très réussi entre Rose et Hortense, beaucoup de sensibilité, dénouement interessant (merci d’avoir évité le drame!).

Nb: j’ai aussi eu un peu de mal à comprendre pourquoi on est venu trouver Rose…

JP

Tu peux à ta guise reposter ton texte intégral en commentaire, ou seulement des passages, Chiara. Si tu as fait des retouches un peu tout au long du texte, je te conseille de le poster plutôt en entier pour qu’on puisse le lire dans la continuité sans devoir faire des allers-retours permanents avec le texte initial. Si tu as concentré les modifications sur un ou 2 paragraphes, tu peux ne poster que ces parties-là. A toi de voir. Au plaisir de lire ta version 2 🙂

Je vous laisse découvrir la version retouchée, en espérant que j’ai su gagner en fluidité, bonne lecture!

Se lever pour vérifier encore une fois, ou rester allongée, Rose hésitait entre ces deux options.
Elle se repassa alors mentalement le contenu de sa valise, comme on scanne les objets pour ne pas les oublier. Elle s’était dit que ça serait mieux de faire le tri elle-même et que ça serait toujours ça de fait pour la personne qui allait la trouver. Pour la même raison, voilà plusieurs jours que Rose s’était appliquée à un ménage en grand, du fond des tiroirs jusqu’aux cartons à chapeaux sous l’escalier, elle avait remué tout à la fois la poussière, les souvenirs et ses articulations. La vieille dame sortait de ce remue-ménage le cœur léger mais le corps meurtri, elle accusait le changement de lune, tout en sachant que la vraie raison était le poids des ans.

Rose était étendue sur son lit, dans son costume vert, elle avait accroché sa broche à la poitrine et elle attendait. Elle se doutait que cette fois, l’attente serait longue mais elle était sereine, son choix était fait. Depuis petite, elle avait eu l’habitude d’attendre, et désormais il lui semblait parfois que le temps s’arrêtait, que les saisons se mélangeaient. Elle trouvait que c’était le bon moment à l’arrivée du printemps, que les gens seraient tristes moins longtemps, le soleil réchauffant les chagrins.

Une sensation de manquer d’air réveilla Rose en plein sommeil, avait-elle raison de vouloir débarrasser le plancher ? Rose n’avait pas voulu prendre quelque chose pour accélérer son départ, elle croyait sa volonté suffisante mais c’était sans compter sur les forces de la pensée. Elle passa le reste de la nuit en apnée jusqu’à cet appel de la société Osmose-Services à la personne pour lui annoncer l’absence d’Hortense. Rose se sentit alors bien égoïste et ridicule face à sa crainte d’affronter ses 90 printemps à venir.

Hortense n’avait pas eu de chance, aucune fée ne s’était jamais penchée sur son berceau ou perchée au creux de son épaule, malgré cela, elle était d’un naturel optimiste, d’une humeur joviale, à voir le verre à moitié plein. Heureusement d’ailleurs car, tout était à moitié plein chez elle, à commencer par le frigo et les placards. Hortense aimait bien ranger ses provisions, elle agençait les boîtes de conserve par taille et par couleur, ce qui donnait d’étranges colocations d’étagères entre des ananas et du maïs, des oignons et du sucre roux. Chez elle, tout était toujours nickel et pour cause, son chez elle se résumait en une chambre de bonne, avec toilettes sur le palier.

Hortense paraissait tellement loin maintenant, seuls les tuyaux qui lui apportaient oxygène et nourriture la reliaient encore à ce monde. Rose ne savait pas comment faire pour l’aider, elle avait l’impression d’être un funambule qui va s’élancer au-dessus d’un précipice. Elle se remémora alors les histoires anciennes de ces êtres surnaturels dotés de force incroyable et elle alla voir si elle trouvait des récits classiques.

Il y avait peu d’ouvrages dans le coin bibliothèque et aucun n’était adéquat. Telle Ariane qui tisse son fil, Rose cherchait à broder une cape de protection autour d’Hortense, elle se dit alors qu’elle ferait rempart en disant les mots de sa vie. Rose choisit ses mots pour commenter les lumières du printemps, les pépiements des oisillons fraichement sortis de leur coquille.

Rose mesura alors qu’elle venait d’inverser les rôles entre Hortense, son aide-ménagère et elle-même, et peut-être s’offrait-elle là, une possibilité d’avoir du rab sur la vie, le luxe de quelques moments de plus. Partie vite de chez elle, elle avait emmené sa valise et l’avait posé à côté du sac à mains en cuir bleu d’Hortense. Quand l’équipe médicale lui demanda si la jeune femme avait de la famille, Rose se résolut d’une main tremblante à faire glisser la fermeture du sac. Elle vit pêle-mêle un paquet de mouchoirs, des bonbons pour la gorge, un trousseau de clés avec un porte-clés en forme du Cameroun, un vieux porte-monnaie, un plan de métro parisien usé, des tickets usagés, une carte postale froissée d’être trimballée là.

A quoi se résume une vie de tous les jours ? A quoi ça tient la vie, chaque jour ? A un souffle, une brise légère ?

Hortense, la musique dans les oreilles, engagée dans les clous et le scooter de
livraison de sushis qui surgit.

Lumières intenses, cris, douleur, moiteur, silence, froid, nuit. Nuit lourde sans respiration, sans répit, la vie se tait, se retient, fil ténu qui consolide dans l’ombre avant d’oser se montrer.

Hortense est une lionne, blessée mais combative, elle va récupérer fil après fil, elle va tricoter à nouveau les tissus de sa vie et montrer qu’elle est toujours là.
Quelques semaines après ces signes encourageants, Rose passait les portes du centre de rééducation « Les Epis dorés », ce qui la fit sourire car elle aurait réservé ce nom à une maison de retraite. Elle portait une robe bleue et un bouquet d’hortensias assortis pour la jeune femme qui occupait ses pensées et ses après-midis.

Ouvrir les yeux pourrait suffire, Hortense le savait mais ne voulait pas le faire. Pas tout de suite, d’abord écouter, s’habituer aux voix, aux sonneries, aux bips, aux contacts sur sa peau pour les soins, la toilette, l’alimentation. Elle qui avait si souvent nettoyé les tapis, récuré les lavabos, agencé les provisions se retrouvait à son tour dans des mains parfois douces, parfois pressées, agiles ou rugueuses, obligée de s’abandonner aux autres.

Hortense avait mis du temps à reconnaître la voix ténue de Rose mais elle savait désormais que la vieille dame des lundis et mercredis matins venait lui rendre visite à elle. Elle lui parlait du printemps, des primevères qui poussaient dans les parcs, de sa jeunesse en Sicile, de la brise légère qui sentait bon le citron.

Voilà un texte chouettement remanié!

Parce que je suis tatillon, quelques petites remarques encore:

– ça serait toujours ça de fait: alors là, on est vraiment dans le détail, mais les deux ça à suivre m’ont accroché l’oeil à la lecture.

– J’aurais tendance à déplacer cette phrase: « Rose se sentit alors bien égoïste et ridicule face à sa crainte d’affronter ses 90 printemps à venir. » J’ai l’impression qu’enchaîner
« … lui annoncer l’absence d’Hortense.

Hortense n’avait pas eu de chance… »

Serait plus fluide. Du coup, cette phrase pourrait être remise plus tard, par exemple quand Rose visualise les tuyaux et l’état réel d’Hortense.

– Je ne sais pas s’il est vraiment utile que Rose emmène sa valise (on imagine qu’elle va juste en visite à l’hôpital, non?). Ou alors il faudrait qu’il y ait une raison affective, ou que dans la précipitation/l’émotion, elle l’ai embarquée sans bien savoir pourquoi, ou que sais-je. A voir.

Quoi qu’il en soit, la texte a déjà bien évolué, tout en gardant son charme, bravo Chiara!

J’avais rencontré les mêmes difficultés avec ton premier texte Chiara, qu’il m’avait fallu aussi lire une deuxième fois mais ta deuxième version est claire et très agréable à lire!

J’aime bien l’inversion des rôles évidemment mais aussi la bienveillance et la tendresse qui se dégagent des personnages. J’ai bien aimé le changement de lunes et le poids des ans, les épis dorés, le contenu du sac et le fil qui se déroule au fil du texte (je ne m’appelle pas Ariane pour rien! 😉 ).

J’ai par contre aussi été interrogée sur la valise et un peu gênée aux deux lectures par la répétition « chez elle » dans : « Chez elle, tout était toujours nickel et pour cause, son chez elle » mais c’était peut-être volontaire (et un détail).

En tout cas, beau texte et bravo pour le remaniement!

Bonjour Chiara,

merci pour cette nouvelle proposition! c’est effectivement bien plus clair et bien plus fluide! bravo!

Bonsoir,

Merci à toutes pour ces nouveaux retours, c’est toujours émouvant et riche de lire vos impressions sur mon texte…
Je prends bonne note de vos précisions, c’est bien d’avoir vos regards extérieurs, notamment pour les redites de mots outils comme « ça » ou « chez ».
Comme vous, la présence de la valise à l’hôpital m’a questionnée lors de la seconde écriture. Au premier jet, j’avais en tête que Rose était partie très vite, mais là, avec les modifications, ça perd son sens.

J’apprécie aussi de faire décanter tout cela, comme le dit justement Colette, mais je vous proposerai une version retouchée avant dimanche.
A très vite!

Cet atelier est d’un dynamisme épatant! Au plaisir de te relire, alors, Chiara!

Oui Gaëlle, c’est vivant!
J’avoue que pour un premier essai, je suis convaincue!
Hâte de lire après retouches!!

Bonjour!
Voilà comme dit le proverbe « Jamais deux sans trois », suite à vos retours précis et judicieux, j’ai tenté une nouvelle mouture, je vous la propose en entier, car sinon cela coupe l’histoire, merci encore pour vos encouragements 😉
J’ai rajouté d’autres détails, j’espère que les mots choisis gardent leur justesse, je crois qu’il faut aussi savoir s’arrêter…

Au plaisir de lire vos textes retouchés, bonne journée!

Se lever pour vérifier encore une fois, ou rester allongée, Rose hésitait entre ces deux options.
Elle se repassa alors mentalement le contenu de sa valise, comme on scanne les objets pour ne pas les oublier. Elle s’était dit que ce serait mieux de faire le tri elle-même, elle voulait aussi que la maison reste légère. Le choix avait été naturel et simple et Rose s’allégeait au fur et à mesure de sa sélection.

Voilà plusieurs jours que Rose s’était appliquée à un ménage en grand, du fond des tiroirs jusqu’aux cartons à chapeaux sous l’escalier, elle avait remué tout à la fois la poussière, les souvenirs et ses articulations. La vieille dame sortait de ce remue-ménage le cœur léger mais le corps meurtri, elle accusait le changement de lune, tout en sachant que la vraie raison était le poids des ans.

Rose était étendue sur son lit, dans son costume vert, elle avait accroché sa broche à la poitrine et elle attendait. Elle se doutait que cette fois, l’attente serait longue mais elle était sereine, son choix était fait. Depuis toute petite, elle avait eu l’habitude d’attendre et désormais il lui semblait parfois que le temps s’arrêtait, que les saisons se mélangeaient. Elle trouvait que c’était le bon moment à l’arrivée du printemps, que les gens seraient tristes moins longtemps, le soleil réchauffant les chagrins.

Une sensation de manquer d’air réveilla Rose en plein sommeil, avait-elle raison de vouloir débarrasser le plancher ? Rose n’avait pas voulu prendre quelque chose pour accélérer son départ, elle croyait sa volonté suffisante mais c’était sans compter sur les forces de la pensée. Elle passa le reste de sa nuit en apnée jusqu’à cet appel de la société Osmose de Services à la personne, avec une voix d’homme anonyme, qui lui annonça l’absence d’Hortense.

Hortense n’avait pas eu de chance, aucune fée ne s’était jamais penchée sur son berceau ou perchée au creux de son épaule, malgré cela, elle était d’un naturel optimiste, d’une humeur joviale, toujours à voir le verre à moitié plein.

Heureusement d’ailleurs car tout était à moitié plein chez elle, à commencer par le frigo et les placards. Hortense aimait bien ranger ses provisions, elle agençait les boîtes de conserve par taille et par couleur, ce qui donnait d’étranges colocations sur ses étagères avec des ananas collés à du maïs, des oignons flirtant avec le sucre roux. Chez Hortense, tout était toujours nickel et pour cause, elle abritait ses nuits dans une chambre de bonne munie d’une petite fenêtre, avec toilettes sur le palier, ce qui ne l’empêchait pas de rêver.

Hortense paraissait tellement loin maintenant, seuls les tuyaux qui lui apportaient oxygène et nourriture la reliaient encore à ce monde. Rose ne savait pas comment faire pour l’aider, elle avait l’impression d’être un funambule qui va s’élancer au-dessus d’un précipice. Elle se remémora alors les histoires anciennes de ces êtres surnaturels dotés de force incroyable et elle alla voir si elle trouvait des récits classiques parmi les ouvrages laissés à l’abandon dans un coin de la salle d’attente. Il y avait peu d’ouvrages et aucun n’était adéquat.

Telle Ariane qui tisse son fil, Rose cherchait à broder une cape de protection autour d’Hortense, elle se dit alors qu’elle ferait rempart en disant les mots de sa vie. Rose choisit ses mots pour commenter les lumières du printemps, les pépiements des oisillons fraichement sortis de leur coquille. Elle se sentait comme un moineau qui donne la becquée, elle distillait à Hortense des murmures, un souffle qui l’ancrait dans ce printemps. Rose avait de l’appétit pour deux, elle se sentait une force nouvelle comme si la sève des arbres coulait à nouveau avec force dans ses veines d’octogénaire.

Rose mesura soudain qu’elle venait d’inverser les rôles entre Hortense, son aide-ménagère et elle-même. Rose se sentit alors bien égoïste et ridicule face à sa crainte d’affronter ses 90 printemps à venir. Peut-être s’offrait-elle là une possibilité d’avoir du rab sur la vie, le luxe de quelques moments de plus. Quand l’équipe médicale lui demanda si la jeune femme avait de la famille, Rose se résolut d’une main tremblante à faire glisser la fermeture du sac à main en simili bleu d’Hortense. Elle vit pêle-mêle un paquet de mouchoirs, des bonbons pour la gorge, un trousseau de clés avec un porte-clés en forme du Cameroun, un vieux porte-monnaie, un plan de métro parisien usé, des tickets usagés, une carte postale froissée d’être trimballée là, un parfum à la vanille.

Une valise ou un sac ne servent à rien d’autre qu’à porter un peu de nous, on les vide et on les remplit au gré de nos envies mais comment se tient-on debout, se nourrit-on ? A quoi se résume une vie de tous les jours ? A quoi ça tient la vie, chaque jour ? A un souffle, une brise légère ?

Hortense, la musique dans les oreilles, engagée dans les clous et le scooter de livraison de sushis qui surgit.

Lumières intenses, cris, douleur, moiteur, silence, froid, nuit. Nuit lourde sans
respiration, sans répit, la vie se tait, se retient, un moment suspendu, un fil ténu qui consolide dans l’ombre avant d’oser se montrer. Hortense avait l’habitude de se tuer à la tâche, elle n’avait pas imaginé cela. Une odeur de poisson emplit ses narines, ce qui la ramena au marché de Douala, avec sa lumière blanche, ses clameurs, son tumulte.

Hortense est une lionne, blessée mais combative, elle va récupérer fil après fil, elle va tricoter à nouveau les tissus de sa vie et montrer qu’elle est toujours là.

Quelques semaines après ces signes encourageants, Rose passait les portes du centre de rééducation « Les Epis dorés », ce qui la fit sourire car elle aurait réservé ce nom à une maison de retraite. Elle portait une robe bleue et un bouquet d’hortensias assortis pour la jeune femme qui occupait ses pensées et ses après-midis.

Ouvrir les yeux pourrait suffire, Hortense le savait mais ne voulait pas le faire. Pas tout de suite, d’abord écouter, s’habituer aux voix, aux sonneries, aux bips, aux contacts sur sa peau pour les soins, la toilette, l’alimentation. Elle qui avait si souvent nettoyé les tapis, récuré les lavabos, agencé les provisions se retrouvait à son tour dans des mains parfois douces, parfois pressées, agiles ou rugueuses, obligée de s’abandonner aux autres.

Hortense avait mis du temps à reconnaître la voix ténue de Rose mais elle savait désormais que la vieille dame des lundis et mercredis matins venait lui rendre visite à elle. Elle lui parlait du printemps, des primevères qui poussaient dans les parcs, de sa jeunesse en Sicile, de la brise légère qui sentait bon le citron.

C’est une belle 3ème version, qui effectivement a « évacué » les questions qui se posaient à la lecture, tout en gardant les personnages et la tendresse du regard posé dessus.

Je crois que tu as raison, Chiara, il faut aussi savoir s’arrêter, et il me semble que tu as atteint un genre de « palier » avec cette troisième version. C’est sans doute celle, maintenant, que tu peux laisser reposer un peu (pour rejoindre une autre conversation). Et puis quand tu la reliras dans 15 jours ou un mois, tu verras si elle te convient toujours ou si tu veux encore la retoucher.

En tout cas bravo!

salut Chiara,

chouette dernière version qui a gagné en clarté! j’aime beaucoup!
au plaisir de te relire plus tard!

Encore un grand merci pour tous vos retours et les propositions lumineuses de Gaëlle et des autres participants, pour un premier atelier d’écriture, j’ai été enchantée!
Avoir plusieurs lecteurs permet de prendre du recul sur son texte, de repérer « ce qui coince » en première écriture, d’accentuer les points forts, c’est une vraie richesse.
Bonne continuation à toutes et tous, au plaisir d’un prochain échange!