Texte de Groux *

J’étais couché depuis quelques heures mais je n’arrivais pas à dormir. Quelque chose me trottait dans la tête. Cela avait commencé dans la salle d’attente du médecin. Je feuilletais, en attendant l’heure de mon rendez vous, les quelques magazines qui trainaient sur la petite table blanche ikéa. Cela m’amusait toujours de voir que, peu importe le cabinet médical où l’on se trouvait, les salles d’attente étaient toujours meublées de la même façon. Et les magazines se ressemblaient. Datant d’une décennie pour certains, cornés, défraichis, sans grand intérêt. Pourtant, les gens continuaient de les lire.

J’avais fait le tour des journaux people et j’avais trouvé, en dessous de la pile, un magazine de photos de voyage. J’espérais que mon médecin aurait du retard, car j’adorais regarder ce genre de photos.
Cela me donnait de l’inspiration pour mes prochaines vacances.
Je m’attardais dans la contemplation des images. Je retrouvais certains clichés que j’avais pu faire lors de précédents voyages, voyages qui m’avaient été inspirés de magazines, d’émissions de télé ou de photos que mes amis avaient pu faire.

Je ne fonctionnais que comme cela. J’avais de la chance d’avoir un métier qui me laissait quelques libertés et la possibilité de m’organiser comme je le souhaitais.

Je profitais de mon temps libre pour voyager. Je ne savais jamais où j’allais aller. J’attendais de tomber sur le cliché qui me ferait rêver puis j’organisais mon voyage en fonction.

Cette façon de faire avait commencé lors de mon premier grand voyage. Je m’organisais un road trip dans l’ouest américain. Et au gré de mes recherches internet, j’étais tombé sur la photo d’une cascade au milieu d’un canyon de pierres rouges. L’eau était turquoise. Quelques arbres autour venaient adoucir l’aridité du lieu et apporter un peu de verdure. Havasupai Falls dans la réserve indienne Havasupai.
À partir de ce moment là, cette image ne m’était plus sortie de la tête, il fallait que j’y aille. J’avais dû modifier mon voyage pour intercaler cette randonnée. Au moins une nuit sur place, impossible de faire la visite dans la journée. 16 km pour y aller, autant pour revenir. Dans la chaleur de l’Arizona. Mais cela ne me faisait pas peur. J’étais obnubilé par la destination.

Le meilleur cliché de mon voyage avait d’ailleurs été fait là bas.

La deuxième fois où cela m’était arrivé, c’était par un reportage à la télé. J’avais laissé la télé allumée en fond sonore pendant que je faisais un peu de rangement. Je n’écoutais pas ce qu’il se disait mais de temps en temps, je jetais un œil aux images qui défilaient.
Soudain, aux informations, l’image d’une rivière multicolore était apparue. J’étais resté stupéfait de la beauté de l’endroit. Le temps que je monte le son pour savoir où cela se trouvait, le journaliste était passé sur un nouveau sujet.

Cela m’avait de nouveau obsédé. Je voulais voir ce fleuve en vrai.

Quelques recherches m’avaient permis de trouver qu’il s’agissait de la rivière Caristales en Colombie. Le phénomène ne durait pas longtemps, il apparaissait entre la saison sèche et la saison humide, où le manque d’eau laissait le champ libre aux algues et mousses, à une démonstration éclatante de couleurs.

Sur place, les couleurs étaient flamboyantes. Encore plus spectaculaires en vrai que sur photo.

J’en étais revenu transformé.

Ces deux voyages m’avaient tellement enchanté, que je m’étais promis de continuer à fonctionner comme cela. Cela m’avait emmené dans des endroits fabuleux.

Au moment où le médecin était venu me chercher pour ma consultation, mes yeux venaient de se poser sur la photo d’une double rivière. Un mélange de 2 couleurs, 2 rivières venant à la rencontre l’une de l’autre.

J’avais eu le temps d’apercevoir sur les autres photos qui entouraient celle-ci, une cascade, des photos de jungle luxuriante entourant de l’eau turquoise. Mais l’apothéose venait de ce mélange de rivières. La frontière entre les 2 était visible et apportait un côté irréel à l’endroit. Un côté marron, un côté turquoise. Une bande blanche pour les séparer. Un arbre au tronc penché en premier plan, comme venant se pencher sur ce spectacle.

J’avais dû poser le magazine sans voir où cet endroit se situait. J’avais voulu revenir en salle d’attente après ma consultation pour noter l’endroit mais le magazine avait disparu.

Depuis, je n’avais que ça en tête. Et le sommeil ne viendrait pas tant que je ne saurais pas ce que j’avais vu. Il fallait que j’y aille.

Je me relevais dans la pénombre de mon appartement, seulement éclairé par les lumières artificielles de l’extérieur.

Je m’installais dans mon canapé, mon ordinateur sur les genoux et commençais mes recherches.

Malgré mes mots clés, je n’arrivais pas à retrouver le cliché qui m’obsédait.

Quand soudain, la photo apparut.
Costa Rica, le Rio Celeste.

Je venais de trouver la destination de mes prochaines vacances.


Photo CC de Justin Knabb sur Flickr

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Un texte intéressant (la quête obsessionnelle d’une image parmi des milliards, la naissance d’une idée, un personnage qui s’est donné un mode atypique de décision de voyager ; c’est de la matière romanesque), mais qui hélas manque, je trouve d’enjeu et du coup frustre un peu les attentes du lecteur. 1- Le personnage veut voyager. 2- Il est un peu empêché 3- Il trouve. Bon… On a trois actes, mais pas assez d’intensité. Ce n’est pas assez détaillé dans le processus. Il faudrait plus de tension dans les enjeux (qu’on nous fasse sentir qu’il y a urgence pour une raison ou une autre de partir… en se tenant à son mode de choix. Bref un conflit interne dans le personnage qui se crée son propre déchirement), que l’empêchement dans la salle d’attente soit plus fort du coup (et rende furieux, obsessionnel), que la recherche de l’image soit plus compliquée (pour mener à la victoire, le soulagement). Le lecteur sur ce type de problématique est tout-à-fait disposé à s’identifier, à vibrer ; on a tous connu le pendant de ce type de problème (la quête contrariée parfois par soi-même) : c’est donc une question de dramaturgie. Il ne suffit pas de dire que le personnage est obsédé : il faut que cela se voit davantage, se ressente, soit mis en scène méticuleusement. Cela ne monte pas assez haut jusqu’à la descente de la résolution. Il y a là toutefois une base de qualité. Mais avec un peu plus d’épices, Non ? Qu’en pensez-vous ?
PS : mon image en est bien une du Rio Celeste. Vous avez vu ? Il y a en effet les 2 couleurs :-)…

Groux,

J’aime beaucoup l’idée de l’attirance pour un lieu qui soudain vous interpelle, jusqu’à vous procurer une émotion d’intense plaisir au point de vous y projeter et de le choisir comme destination prochaine. A priori la nature et les paysages pour vous. Une photo ou une image à elle seule ne me permet pas cette prise de décision. Pour être convaincue et enchantée, je miserai plus sur une destination présentée dans sa globalité (mes craintes et mon fonctionnement personnel 😉
Mais je trouve l’approche tout à fait charmante avec une pointe d’inconnu. Comme le dit Francis, le contraste envie, souhait, projection pourrait être confronté à plus de difficultés, d’embûches, de contrariétés pour y arriver. Cela donnerait plus de mouvement, d’intensité, de rebondissements. Merci Groux pour cette fabuleuse idée en lien avec la thématique proposée.

Hello Groux, bon pareil, très chouette idée, ton gars mais un peu trop propre sur lui et gentil pour sa drôle d’obsession… Ceci dit, je me doute de la raison pour laquelle ton texte a été écrit assez vite, sans doute, et j’avoue que je t’admire pour les conditions d’écriture!

Bonjour Groux, j’ai eu envie d’imaginer un baroudeur, il ne tient pas en place, les grands espaces, l’improvisation, sac à dos ; une salle d’attente devient le premier palier pour son prochain envol, j’aime !