Texte de Groux

La pluie tombe depuis ce matin, sans discontinuité. Le temps est gris, maussade. Comme moi.

Je roule depuis quelques heures, sans but précis. Une sensation d’étouffer chez moi, une envie de sortir. Je traine mon mal-être et mon corps depuis plusieurs mois, sans trop savoir quoi faire, sans avoir trop envie de changer la situation. Des rires d’enfants dans la cour en bas de chez moi m’ont renvoyé toute cette morosité. Il fallait que je sorte.

Je suis montée dans ma voiture comme une automate et je suis partie. Je ne sais plus si j’ai fermé la porte à clef ou non. Je crois que cela m’importe peu.

Je suis sortie de la ville assez vite, et j’ai continué tout droit. Le paysage défile devant moi. Je ne le vois pas. Amas d’arbres, de bitume, de pluie. Des champs et des forêts se succèdent. J’ai envie de fermer les yeux et laisser aller la voiture où elle veut. Ne plus rien voir de ce qui m’entoure. Il n’y a que la musique que j’ai mise dans la voiture, qui arrive à me tenir.

La pluie redouble d’intensité, me forçant à ralentir puis à m’arrêter. J’aperçois au loin un café. Bâtiment improbable dans cet endroit dénué de toute civilisation. Je brave la pluie et le vent et décide d’aller me réchauffer à l’intérieur.

Je pousse la porte et entre d’un pas hésitant. Une douce chaleur m’envahit. Quelques habitués sont attablés. L’endroit est petit, pas très éclairé. Un long bar occupe le côté gauche de la pièce, où le patron me regarde entrer pendant qu’il essuye ses verres. Un mélange de tables en formica et en bois sont posées dans la salle, donnant l’impression d’avoir été rajoutées au fur et à mesure de l’arrivée des clients puis laissées là telles quelles. Les chaises dépareillées sont poussées contre les tables. Les verres sont alignés sur une étagère derrière le bar. Au-dessus, toute une collection de bouteilles, rangées originalement de la plus grande à la plus petite. De vieilles publicités sur des plaques de métal viennent orner les murs peints à la chaux.

Les hommes sont bourrus, un grognement répond à mon bonjour. Quatre des clients sont assis à la même table et disputent une partie de cartes en silence. Un vieil homme est attablé, occupé à lire son journal, son café fumant devant lui. Un homme accoudé au comptoir me dévisage. Je m’assois à une petite table en bois et commande un café.

Je passe ma main sur le vieux bois qui a vu passer tellement de clients, tellement d’histoires. On sent qu’il est chargé de souvenirs.

L’odeur m’assaille d’un coup. Cette odeur de café et de bar, indéfinissable mais pourtant si caractéristique. Des souvenirs d’enfance me remontent en tête. Je revois le vieux bar où nous nous arrêtions avec mon frère, le week-end. Nous faisions du vélo dans la campagne autour de chez nos parents et ce bar était souvent le but de notre balade. Nous allions acheter un paquet de bonbons que nous tentions toujours de faire durer toute la semaine mais nous n’y arrivions jamais. Nous commandions à chaque fois du chocolat chaud. Je n’ai jamais retrouvé ce goût ailleurs que dans les cafés. Je me souviens encore de nos moustaches laissées par le bol, lorsque nous sortions.

Par la suite, inconsciemment, les cafés devenaient notre endroit lorsque nous avions besoin de nous retrouver avec mon frère après un voyage. Lorsqu’une bonne nouvelle arrivait ou lorsque nous avions besoin de nous confier. Ils abritaient également nos états d’âme, si l’un de nous n’allait pas ; il n’avait qu’à proposer d’aller boire un chocolat chaud et l’autre savait que quelque chose clochait.

Nous nous installions alors tous les deux, l’un en face de l’autre, commandant notre chocolat chaud. Il n’y avait qu’avec lui que j’osais passer une telle commande.

Le patron m’apporte mon café. Les larmes me montent aux yeux, j’aurais préféré un chocolat. Je n’osais pas me l’avouer depuis cette journée où nous nous étions brouillés avec mon frère mais il me manquait bien plus que ce que je ne pouvais imaginer. J’avais essayé de me persuader que je pouvais très bien vivre sans lui, que mes amis me suffisaient. En réalité, je n’y arrivais pas. Il était mon premier ami, et je ne pouvais supporter plus longtemps son absence. Je n’arrivais plus à me souvenir ce qui nous avait éloignés mais rien ne valait la peine de le perdre.

Je sortis alors mon téléphone et, ma vue brouillée par mes larmes, j’écrivis un message à mon frère… « Tu viendrais boire un chocolat ? »

Par Groux

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C’est à la fois l’histoire d’une errance, et de la fin d’une errance. Groux nous conte ici le moment où le malaise et la souffrance deviennent tellement prégnants qu’on arrive enfin à passer à l’acte pour tenter d’en sortir. Assez habilement, elle ne donne pas la réponse du frère : ce n’est pas son sujet. Ce qu’elle raconte, c’est l’histoire de cette femme, ce moment où elle bascule, où elle décide de sortir du malaise de sa vie, où elle prend les choses en mains. Ce n’est sans doute pas un hasard que Groux nous conte cet épisode à l’issue d’une « fuite » qui doit s’arrêter pour cause de mauvais temps. Elle met ainsi en scène le sentiment de son personnage d’être « acculé » et de n’avoir plus d’autre option.

Puisque justement, ce que tu nous racontes, Groux, c’est l’histoire du lien entre cette femme et son frère, il me semblerait important de clarifier le début du texte. On ne sait pas vraiment si cette femme est maussade pour une toute autre raison, et que ça devient l’élément déclencheur pour tenter ce rapprochement avec son frère, ou bien si c’est justement le manque de ce frère qui la rend maussade dès le début de l’histoire. Et je pense à titre perso qu’il serait chouette de parler dès le départ de ce frère absent, ou au moins d’un absent qui manque (on peut découvrir plus tard que c’est le frère) ainsi il serait possible d’y faire référence, sans lourdeur mais par petites touches, au fil de la description du café. Ainsi, on entendrait parler du frère plus tôt, puisqu’il n’apparait dans le texte qu’à peu près à la moitié, ici. Et je pense qu’ainsi, la description du café serait plus « incarnée », plus vivante. Je pense qu’il faut également conserver, voire développer, le jeu d’opposition café/chocolat, ça me semble un truc intéressant (saveur âcre/saveur sucrée… Comme une métaphore du sans lui/avec lui).

J’ai bien aimé ton texte Gaëlle et la fin m’a bien plu. L’ambiance et le décor sont bien installés. Je pense qu’avoir un peu d’éléments sur la femme (ou son frère, ce qui rejoint la proposition de Gaëlle) m’aurait permis d’encore mieux m’imprégner de ton texte et de m’attacher davantage à la narratrice.

J’ai aimé l’ambiance du café, on s’y croyait vraiment, et cette chute , efficace, tranchante, et belle

Je suis entrée dans ce café avec toi, pour moi c’était un café au fin fond de la Bourgogne… Et la fin m’a un peu mis les larmes aux yeux.
Je rejoins les autres, on a envie d’en savoir plus sur leur lien, sur ce qui l’amène à sortir se réfugier ainsi.

Très jolie chute, une sorte de douce tristesse… J’aurais bien aimé aussi plus d’éléments du café qui rappellerait le frère à cette femme. Un truc comme: un vieux jeu de fléchettes au mur tout défraîchi qui lui évoquerait des parties sans fin avec son frère, des échanges de confidence, un client qu’on trouve dans tous les cafés et dont le frère et la soeur se seraient moqués,…
En tout cas, c’est une belle image de voir que l’errance de ton héroïne se termine dans un lieu de passage comme un café 🙂

Je rejoins Pilly80, c’était un peu de cette façon que j’imaginais inclure le frère dans la description du café, sous forme anecdotique… La chanson qui passe à ce moment-là dont ils se moquaient souvent, la coiffure du barman qui lui rappelle celle de son frère, effectivement le jeu de fléchettes, etc… ça donnerait une description « affective » qui nourrirait l’histoire.

Vos pistes, Pilly et Gaëlle sont parlantes et donnent envie de lire la 2ème mouture.
Groux, t’es dans le coin ;-)?

Alors alors, une nouvelle mouture, hum? 😉

merci merci pour tous ces commentaires ! Ca me touche d’autant plus que j’avais eu du mal à être inspirée par le thème.
J’arrive un peu tard du coup, je suis déçue car en vous lisant, je voulais poursuivre ce texte, et également venir commenter les autres textes etc mais la semaine a été trop chargée . Tant pis, mais je voulais quand même vous remercier pour ces retours !!!
Ca ne m’empêchera pas de rédiger la suite pour m’entrainer mais je n’aurai pas le plaisir de vous la poster 🙁