Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : CatFev2016

Texte de Pink lady

Devant la petite fenêtre du haut, perdue dans ses pensées, Anna buvait son café,

Comme tous les matins, à la même place, devant ce paysage dont elle ne se lassait pas.

En contrebas, sous les rochers, dansait l’océan.

Elle pouvait suivre des yeux le pêcheur qui, chaque matin, descendait le même sentier qui le mènerait aux rochers, à la mer.

Ses pensées, suivant les pas du bonhomme, l’emmenèrent plus loin, au bout du sentier,  vers ce petit morceau de terre dont elle avait fait son «bout du bout du monde».

Elle y était arrivée la première fois, vingt ans auparavant, au hasard de joyeuses vacances en famille. Elle avait toujours gardé un joli et lointain souvenir de cet endroit.

Puis un jour, adulte,  presque par hasard, elle était arrivée ici.

Elle avait suivi la route classique et avait été arrêtée par la mer, trouvant refuge dans ce morceau de terre presque entièrement entouré d’eau. A perte de vue, du jaune, du bleu, du vert, du vent, de l’eau,  du tellement tout et rien à la fois. Juste l’essentiel peut être.

Elle fut saisie par le paysage, l’atmosphère .

Elle était entrée  dans le restaurant à l’air un peu délavé,tout en bois brut et baies vitrées,  s’était assise à une table près de la baie vitrée et pour la première fois elle n’avait rien fait. S’était juste emplie des lieux.

Un vieux piano était posé là, en plein milieu. Un chat se baladait.

Et Anna, était là, scotchée.

Elle y arrivait désormais par ce même sentier qui courait en bas de chez elle. Il lui suffisait d’enjamber les ajoncs pour voir surgir la bâtisse improbable: du bois, de la pierre, des baies vitrées, les voiles de bateau tendues en l’air, les tables, les canapés, la rumeur d’un service ou le calme du petit matin.

Chacun de ces détails semblait contenu dans son corps.

Cet endroit l’avait transformée.

Au fur et à mesure que le pêcheur s’approchait de l’eau, Anna remontait le fil de sa vie.

Elle se revoyait plus jeune, parisienne, usant et abusant jusqu’à l’étourdissement, de ce que la ville avait à lui offrir.

Elle était jolie, elle réussissait socialement, avait des tonnes d’amis, était de toutes les fêtes, s’enivrait de soirées, de rencontres, de bruit et d’ alcool.

On la trouvait belle, brillante, incroyablement vivante; l’image même de la réussite et du bonheur.

Elle-même avait fini par y croire, finissant par ignorer qu’elle ne s’endormait et ne se réveillait plus qu’artificiellement, qu’il lui fallait toujours plus d’alcool et autres substances  pour profiter de la soirée, toujours plus de conquêtes pour se sentir aimée et ressentir.

Très vite elle eut besoin de revenir dans ce bout du monde, de plus en plus souvent, pour réussir à tenir son rythme parisien toujours plus exigeant. Cette pause qu’elle s’offrait devenait chaque année plus nécessaire, vitale.

Elle ne se souvient d’ailleurs plus du jour où elle a compris que ce qu’elle prenait pour l’expression même de la vie n’était en réalité que fuite.

Tout s’était très vite accéléré: les crises d’angoisse, les malaises puis la chute qui lui avait laissé la jambe en vrac et qui l’avait obligée au cœur même de son tourbillon à s’arrêter.

Ce jour là quand elle s’était relevée dans l’escalier du bureau et qu’elle avait vu son genou béant, elle avait su que c’en était foutu de sa carapace, qu’une brêche tout autre s’était ouverte.

Elle n’était plus retournée voir l’océan.

Mais elle avait arrêté de fuir, en même temps sur une seule jambe ça devenait compliqué.

Elle avait fait soigner sa jambe, son corps puis, tant qu’elle y était son cœur et son âme aussi.

On l’avait aidée à aller chercher au fond d’elle-même, hypnose, semi hypnose, émotions, etc..

Quand la thérapeute lui avait demandé si elle pouvait visualiser un endroit refuge, immédiatement sa tête s’était emplie du jaune-bleu, de la mer et du vent, immédiatement elle s’était assise à cette terrasse d’où elle pouvait contempler ce presque rien qui était tellement tout.

Puis elle y était retournée, comme on part en pèlerinage.

Elle retrouva les mêmes sensations d’apaisement, l’impression d’être à sa place.

Cette fois elle n’avait pas pu repartir.

C’était il y a 3 ans.

Le pêcheur avait jeté son hameçon à la mer

Un bruit arriva de la chambre au loin, son bruit préféré au monde, celui de son bébé qui se réveillait.

Elle se leva en souriant.

Ce midi Rémi arriverait. Il avait profité de la brèche pour entrer dans sa vie.

Ensemble ils avaient réussi à apprivoiser la vie.

Un peu plus tard, les gens qu’ils aimaient empliraient peu à peu leur maison.

Demain Anna et Rémi  se mariaient.

Par Pinklady

Texte de Groux

La pluie tombe depuis ce matin, sans discontinuité. Le temps est gris, maussade. Comme moi.

Je roule depuis quelques heures, sans but précis. Une sensation d’étouffer chez moi, une envie de sortir. Je traine mon mal-être et mon corps depuis plusieurs mois, sans trop savoir quoi faire, sans avoir trop envie de changer la situation. Des rires d’enfants dans la cour en bas de chez moi m’ont renvoyé toute cette morosité. Il fallait que je sorte.

Je suis montée dans ma voiture comme une automate et je suis partie. Je ne sais plus si j’ai fermé la porte à clef ou non. Je crois que cela m’importe peu.

Je suis sortie de la ville assez vite, et j’ai continué tout droit. Le paysage défile devant moi. Je ne le vois pas. Amas d’arbres, de bitume, de pluie. Des champs et des forêts se succèdent. J’ai envie de fermer les yeux et laisser aller la voiture où elle veut. Ne plus rien voir de ce qui m’entoure. Il n’y a que la musique que j’ai mise dans la voiture, qui arrive à me tenir.

La pluie redouble d’intensité, me forçant à ralentir puis à m’arrêter. J’aperçois au loin un café. Bâtiment improbable dans cet endroit dénué de toute civilisation. Je brave la pluie et le vent et décide d’aller me réchauffer à l’intérieur.

Je pousse la porte et entre d’un pas hésitant. Une douce chaleur m’envahit. Quelques habitués sont attablés. L’endroit est petit, pas très éclairé. Un long bar occupe le côté gauche de la pièce, où le patron me regarde entrer pendant qu’il essuye ses verres. Un mélange de tables en formica et en bois sont posées dans la salle, donnant l’impression d’avoir été rajoutées au fur et à mesure de l’arrivée des clients puis laissées là telles quelles. Les chaises dépareillées sont poussées contre les tables. Les verres sont alignés sur une étagère derrière le bar. Au-dessus, toute une collection de bouteilles, rangées originalement de la plus grande à la plus petite. De vieilles publicités sur des plaques de métal viennent orner les murs peints à la chaux.

Les hommes sont bourrus, un grognement répond à mon bonjour. Quatre des clients sont assis à la même table et disputent une partie de cartes en silence. Un vieil homme est attablé, occupé à lire son journal, son café fumant devant lui. Un homme accoudé au comptoir me dévisage. Je m’assois à une petite table en bois et commande un café.

Je passe ma main sur le vieux bois qui a vu passer tellement de clients, tellement d’histoires. On sent qu’il est chargé de souvenirs.

L’odeur m’assaille d’un coup. Cette odeur de café et de bar, indéfinissable mais pourtant si caractéristique. Des souvenirs d’enfance me remontent en tête. Je revois le vieux bar où nous nous arrêtions avec mon frère, le week-end. Nous faisions du vélo dans la campagne autour de chez nos parents et ce bar était souvent le but de notre balade. Nous allions acheter un paquet de bonbons que nous tentions toujours de faire durer toute la semaine mais nous n’y arrivions jamais. Nous commandions à chaque fois du chocolat chaud. Je n’ai jamais retrouvé ce goût ailleurs que dans les cafés. Je me souviens encore de nos moustaches laissées par le bol, lorsque nous sortions.

Par la suite, inconsciemment, les cafés devenaient notre endroit lorsque nous avions besoin de nous retrouver avec mon frère après un voyage. Lorsqu’une bonne nouvelle arrivait ou lorsque nous avions besoin de nous confier. Ils abritaient également nos états d’âme, si l’un de nous n’allait pas ; il n’avait qu’à proposer d’aller boire un chocolat chaud et l’autre savait que quelque chose clochait.

Nous nous installions alors tous les deux, l’un en face de l’autre, commandant notre chocolat chaud. Il n’y avait qu’avec lui que j’osais passer une telle commande.

Le patron m’apporte mon café. Les larmes me montent aux yeux, j’aurais préféré un chocolat. Je n’osais pas me l’avouer depuis cette journée où nous nous étions brouillés avec mon frère mais il me manquait bien plus que ce que je ne pouvais imaginer. J’avais essayé de me persuader que je pouvais très bien vivre sans lui, que mes amis me suffisaient. En réalité, je n’y arrivais pas. Il était mon premier ami, et je ne pouvais supporter plus longtemps son absence. Je n’arrivais plus à me souvenir ce qui nous avait éloignés mais rien ne valait la peine de le perdre.

Je sortis alors mon téléphone et, ma vue brouillée par mes larmes, j’écrivis un message à mon frère… « Tu viendrais boire un chocolat ? »

Par Groux

Texte d’Ariane

Panne de cœur

Elle

Elle n’avait rien demandé à personne. Il avait fallu que ça change. On ne l’avait même pas consultée, comme d’habitude. Et maintenant, elle était obligée de le supporter. La journée, passe encore : elle travaille beaucoup et fait de la musique, son passe-temps préféré. Elle n’a pas le temps de pleurer sur son sort ! Elle a toujours été hyperactive mais avec le boulot en plus depuis l’arrivée du petit dernier de la famille, c’est encore pire. Certains disent qu’elle brasse de l’air mais c’est injuste : elle est complètement débordée, sous l’eau ! Le soir, elle est à bout, lessivée par sa journée et elle n’aspire qu’à se reposer. Mais c’est là que les ennuis commencent, avec cet idiot d’Américain. Non seulement il prend toute la place du haut de son 1m90 mais il n’est même pas foutu de respirer en silence ! Toute la nuit, il faut qu’il ronfle, allant même parfois jusqu’à allumer la lumière ! Impossible de trouver le sommeil dans ces conditions. Et puis, il est tellement glacial, une vraie armoire à glace écervelée…

Lui

– « Tu crois que je ne t’entends pas parler de ta vie d’avant, si merveilleuse ? C’est d’un mielleux ! Tu te plains que je ronfle mais tu joues du tambour toute la journée, t’as pas l’impression d’exagérer un peu, là ?! Bon, faut reconnaître qu’en ce moment, je suis constamment enrhumé. Mais, tu sais quoi ? Je crois que c’est parce que ça me refroidit d’être là, avec toi ! Tu me fatigues, à t’agiter comme ça. Tu ne pourrais pas te poser un peu ? Et puis, arrête d’être obsédée par ton apparence, ton côté toujours propre sur toi est insupportable ! »

Je me plains d’elle mais au fond, elle ne me laisse pas de glace. Je ne sais plus où donner de la tête, elle est si active ! Bon, elle a un sacré caractère, avec elle, c’est pas toujours coton mais elle est belle, sensible, j’aime son élégance, sa grande ouvertureL’air de rien, je me suis habituée à sa musique et elle m’enchante. Et elle sent si bon… Purée, je crois que je suis amoureux ! Amoureux d’une jeunette alors ça, j’aurais jamais cru! Et girouette qui plus est ; un jour, elle est pressée et synthétique, le lendemain, elle se la joue délicate ! A croire que c’est vrai, l’amour, ça ne se commande pas. Elle me fait vibrer, c’est dingue ! J’ai envie de la séduire, de lui avouer que je voudrais passer ma vie à ses côtés… Mais je ne le sens pas, j’ai peur que ce soit cuit !

 

Allez, je me lance :

– « Il faut que je t’avoue quelque chose : je bougonne parfois mais je crois que tu me fais vibrer, si naturellement, machinalement. Avec toi, je me sens vivant ! Je me disais qu’on pourrait aller manger un bout ensemble, j’ai mis du champagne au frais ! »

Elle

– « T’es vraiment givré, mon pauvre ! Je suis peut-être lunatique mais y’a un truc qui ne changera jamais : tu me gonfles ! Alors, fous-moi la paix et laisse-moi me reposer en paix ! »

Ah, ça y est, il a enfin arrêté de ronfler ! Comme quoi, c’était une question de volonté, elle a bien fait de lui passer un savon. Amoureux d’elle, manquait plus que ça ! La voilà dans de beaux draps ! N’empêche, elle a peut-être été dure avec lui… Sa compagnie est plutôt agréable : il est généreux, naturel… Et sa carrure : ouha, ouha, ouahouh ! Elle sent bien que son cœur tambourine plus fort en sa présence. Finalement, elle doit le reconnaître : elle le trouve à son goût ! Demain, elle lui dira qu’elle regrette et qu’elle a bien envie de prendre ce verre. Et puis, ça parait fou mais ça la gêne de ne plus l’entendre ronfler, ça lui manque. Sa manière de respirer bruyamment était apaisante. Ce brusque silence est angoissant. Elle espère ne pas l’avoir trop blessé… Ce colosse pourrait bien avoir le cœur fragile.

***

– « Chéri !!! Je crois que le frigo est mort !! »
Et merde ! M. Bosch soupire et parvient à s’extirper du canapé. Il avait d’autres projets pour son dimanche que la déchetterie et quechoisir.org. Ça valait bien la peine de le déménager !

***

– « Et voilà le travail ! » M. Bosch regarde fièrement son nouveau frigo en se frottant les mains. Un nouveau frigo américain, flambant neuf ! Mais, mais… c’est quoi toute cette eau ?! La machine à laver fuit ! Argh, elle n’aurait pas pu fuir il y a deux semaines, quand elle était dans leur ancienne salle de bains, non, c’est trop demander ?! « Chérie, viens vite, toutes les machines rendent l’âme ! »

Par Ariane

Texte de Colette

Welcome.

Où suis-je ? Avez-vous déjà connu cette sensation étrange d’arriver à un endroit sans savoir pourquoi ? Moi, quand je suis arrivé ici, je ne savais ni où je me trouvais, ni pourquoi… A vrai dire, je ne savais pas grand-chose. Ce n’est qu’après quelques jours passés dans un sommeil profond, que je me suis réveillé et que j’ai enfin compris.

Cela faisait des mois et des mois qu’ils l’attendaient…

Cela faisait des mois et des mois que j’avais déposé mon dossier à l’agence. Je n’en finissais pas de toute cette paperasse ! Information personnelles, situation familiale, professionnelle, loisirs… Sans parler des enquêtes sociale, judiciaire… Tout avait été contrôlé, disséqué minutieusement et dans les moindres détails avant qu’on me confirme que j’étais sur liste d’attente. Cela pouvait aller très vite … ou pas ! Tout était fonction de l’avancement du projet. Personnellement, j’avais opté pour une demande dans du neuf, n’ayant jamais été occupé pour éviter les travaux de rénovation. Un matin de janvier, on m’a appelé pour m’annoncer que mon tour était enfin arrivé ! J’allais être conduit directement dans mon nouvel appartement par un chauffeur un peu « spécial » …

Ils vivaient dans une petite maison à l’abri de la ville. Ensemble, ils avaient fait le choix de devenir des insulaires. Ici c’était leur paradis. Chaque jour qui passait, ils ne cessaient de contempler ce qui s’offrait à eux. De la fenêtre de la chambre, l’horizon était peint telle une toile de maître. Leurs regards s’y perdaient. Elle aimer se nicher sur la rambarde. Elle sentait l’iode fouetter ses joues. Lorsque le vent se réveillait, les embruns venaient chatouiller son visage. Elle fermait les yeux. A l’écoute de ce qu’elle avait toujours espéré. Le jardin s’étendait jusqu’aux premiers grains de sable de la dune. Derrière elle, majestueuse et solennelle, la Mer. Elle leur avait promis de veiller sur eux.

Oulala, c’est tout noir ici ! J’avais demandé du neuf… Je pensais quand même que l’électricité fonctionnerait. Pff… manquait plus que ça ! Bon sinon ça va. Il règne une atmosphère paisible. La décoration est sobre et épurée. A moi d’ajouter ma touche personnelle. L’air chaud me rassure. L’espace n’est pas très vaste, mais en fonction de ma position dans la pièce, j’ai l’impression qu’il s’étire. Pour l’instant, je ne connais pas mes voisins. Je crois qu’en fait je suis seul dans la résidence. Je profite de cette tranquillité. J’ai choisi l’option « all in utero » (c’était compris dans le pack de bienvenue !) qui me permet de savourer de délicieux repas livrés à domicile. Le personnel est disponible et ponctuel, c’est appréciable. Je jouis également d’un mini bar à ma disposition 24 heures sur 24. Lorsque j’ai besoin de quelque chose, je sollicite le concierge. Il est très serviable. Nous avons établi un code ensemble : je donne quelques coups de pieds et il vient à ma rescousse.

J’avais tout de suite compris. Aux pépites dorées qui luisaient dans ses yeux, j’avais su. C’était un soir de grande tempête. Pour une fois, elle était rentrée tôt. Ensemble nous avions rassemblé du bois dehors pour faire une flambée. Elle était venue se lover contre moi. Je l’avais serrée comme jamais. Je voulais l’inonder d’amour. Nous n’avions pas parlé. Nos regards s’enlaçaient. Seul le crépitement des branches complices occupait de cet instant.

Non mais ça ne va pas la tête ! On n’a pas idée de réveiller les gens ainsi ?! Alors que je profitais de ma troisième sieste quotidienne, un rayon lumineux du style sabre de Dark Vador est venu m’éblouir. Au départ, j’ai cru à un cauchemar, mais une fois bien réveillé, impossible de lui échapper. A croire qu’il me traquait. Ca a bien duré vingt minutes l’histoire. Il faudra que j’en parle au concierge. Autant au début, j’ai vraiment apprécié cet endroit, autant maintenant que je me suis bien reposé, je n’ai qu’une envie c’est d’en sortir. J’ai envie de découvrir ce qu’il y a dehors. Il me faut encore patienter. J’ai signé un bail de neuf mois.

Le printemps pointe le bout de son nez. Enfin. Nous sommes au mois d’avril. Le soleil baigne la maison. La nature a repris le contrôle. La rudesse du climat de cet hiver n’a pas eu raison des derniers semis. Le potager reprend des couleurs.

Ding Dong ! Tiens ? Qui sonne donc à cette heure-ci ? Et puis c’est bizarre, je ne souviens pas d’avoir déjà entendu la sonnette depuis que je suis arrivé. Je croyais que j’étais seul à cet étage.

« Salut ! Je suis « Ta Ju » ! On m’a dit qu’on était voisins. A ce qu’il paraît, nous sommes arrivés en même temps ici. Toi aussi tu restes là jusqu’en octobre ?! »

Jamais je n’oublierai ton visage. La pièce était petite, plongée dans une obscurité intimiste. L’air était chaud. L’écran s’alluma. Nous attendions cet instant avec impatience et envie. Sur ton ventre arrondi glissait ce télescope aux supers pouvoirs. Nous apercevions des formes curieuses. Nous étions attentifs et perdus. Ce n’est qu’une fois que l’image s’est stabilisée que le médecin s’est tourné vers nous. Ta main est venue chercher la mienne… Bientôt, nous serions quatre !

 Par Colette

Texte de Schiele

Quand Penny reprend ses esprits, sa première pensée lui sussure qu’elle est folle ou du moins inconsciente. Elle ne connaît Antoine que depuis une poignée de semaines, et elle lui a fait confiance, elle s’est laissée embarquer dans un de ses nombreux délires, qui jusque ici l’ont enchantée. Mais de là à accepter d’ingurgiter un somnifère pour l’assurance d’ une « surprise totale »!!!

Il lui a vendu l’aventure en peu de mots. La force de son entrain, son regard qui l’enveloppe d’une tendresse qu’elle ne peut pas inventer, et son sourire solaire l’ont convaincue en quelques minutes. Et voilà qu’elle se réveille dans un endroit inconnu..

Plongée dans l’obscucrité, la tête lourde, quelle drôle de façon de commencer sa 32ème année d’enfin- plus- galérienne-de-l’amour ! Le corps et les idées engourdis, Penny se réveille totalement.

Elle laisse quelques secondes passer, mais le noir est total, pas moyen de savoir où elle est. Seule la douce mélodie du Frozen World d’Emilie Simon rend l’ambiance rassurante. Un psychopathe projetant de la dépecer ou de revendre ses organes au marché noir n’aurait pas pris la peine de jouer son morceau préféré.

Penny se redresse en prenant appui sur ses paumes, qui rentrent en contact avec un doux velours. Elle était donc allongée sur un canapé, pareil à celui de son enfance, celui où elle aimait tant se vautrer les pieds en l’air, la tête en bas, un club des 5 entre les mains. Cette sensation familère continue de la mettre en confiance.

Ses sens reprennent leur droit , et c’est le subtil parfum du lilas qui vient lui chatouiller les narines.

Une douce chaleur envahit alors spontanément son ventre, rappel buccolique du jardin familal et sa délicate mais trop éphèmère floraison, souvenirs de printemps toujours trop fugaces.

En fond olfactif toujours, le bois. Confirmé par le bruit de planches qui craquent sous ses pieds explorant l’environnement inconnu. Un baillement sonore détend sa mâchoire. Penny étire ses bras en l’air qui , surpris, heurtent un plafond.

Puis elle les tends en avant comme une somnambule, Elle avance prudemment et recontre après 3 pas un mur, rêche, y colle son nez, encore du bois, l’ausculte, épais.

Elle longe le mur, sur la gauche , des étagères y courrent, du sol à ce plafond curieusement si bas. Pleines de livres, de tous les volumes. L’excitation la gagne.

Si la lumière s’allumait on pourrait voir un immense sourire faire rayonner son visage qu’elle croyait si brouillon avant Antoine. Elle en sort un, le colle à ses narines, et y reconnaît l’effluve du vieux papier. De tous ceux qu’elle sort émane cette même odeur familière et surranée.

Elle continue, après 2 pans de livres, bute contre un épais tapis . Se penchant pour s’en dépêtrer, son index l’effleure et ressent les longs poils infiniment doux. Penny s’accroupit pour évaluer la « bête », il a l’air si grand et moelleux qu’on pourrait s’y lover.

3ème pan de mur, 2 chaises, une étroite table sur laquelle est posée une bouteille. Elle manque de la faire tomber, ses gestes ont toujours été aussi maladroits que son visage flou. Antoine la reprendrait s’il l’entendait penser ça!!! Juste à côté, 1 énorme verre ballon. Pas la peine de vérifier, elle sait déjà qu’il y a dedans du vin rouge, tanique,costaud. C’est donc bien vrai, il l’écoute quand elle ose parler d’elle.

Mais où est elle??

Le quatrième mur , juste à côté, est celui de la porte, qu’elle ouvre timidement, de peur de rompre ce moment si unique et irréel.

Ses yeux se plissent pour supporter un insolent soleil et distinguent une forme floue devant elle. Penny accomode, et se détache l’air hilare d’Antoine , les mains sous la tête, allongé dans un hamac de corde qui oscille au rythme de son rire.

La tête lui tourne, l’émotion la submerge. Entre gorge serrée et larmes qui hésitent à exploser. De joie ou de surprise? de stupéfaction ou de plénitude?

« Attention biche » lui lâche t’il quand elle esquise un pas vers lui, regarde où tu mets les pieds!

Penny bascule alors ses yeux éblouis vers le bas, et refreine un vertige. Entre les planches mal jointes d’une minuscule terrasse suspendue, elle découvre le vide sous ses pieds . Puis, rendues petites par la distance, en contrebas, les racines qui soutiennent le majestueux sycomore, au sommet duquel elle surplombe un horizon infini .

Une cabane, dans un arbre, avec une terrasse pour jouer à robinson. Tout simplement son rêve. Mais de ceux qu’elle pensait à jamais irréalisables.

Par Schiele

Texte de Pilly80

Ismael était un peintre déprimé. Il avait eu son heure de gloire dix ans auparavant. Il avait exposé dans plusieurs galeries et gagné un peu d’argent qu’il avait rapidement dilapidé. Depuis deux ans, il ne peignait presque plus. Il vivotait dans un petit village en travaillant comme saisonnier.

Alors, quand le maire avait découvert un vieux théâtre délabré derrière l’ancienne école, il avait aussitôt fait appel à lui, l’artiste local, pour repeindre le décor abîmé. Le peintre avait bien envie de refuser mais il avait besoin d’argent. Alors il accepta et se rendit dès le lendemain au rendez-vous fixé devant la vieille bâtisse. Le maire l’y attendait tout fringant. Le théâtre était pathétique et Ismael regretta immédiatement. Puis le maire écarta les vieux rideaux troués et Ismael fut subjugué. Le décor était vraiment en très mauvais état mais il était magnifique. C’était le sous-bois de ses rêves d’enfant. Il avait l’impression d’entendre le vent dans les feuilles, de sentir l’odeur moussue de la forêt. Il approcha sa main pour toucher un tronc peint. Il était persuadé qu’il sentirait l’écorce sous ses doigts. Mais son geste fut suspendu par le maire : « C’est effrayant hein ! J’en ai froid dans le dos quand je vois cette forêt sinistre ! Un vrai décor de film d’horreur ! »

Ismael ne sourcilla même pas. Les propos du maire glissèrent sur lui car pour la première fois depuis très longtemps, il se sentait heureux. Il appela aussitôt sa sœur Céleste qui devait passer quelques semaines chez lui pour lui annoncer.  Il avait hâte de commencer.

Le jour tant attendu arriva enfin. Il se précipita au théâtre après avoir récupéré les clés. Le maire voulait qu’on s’occupe du décor avant tout le reste. C’était stupide, se disait Ismael. Il serait abîmé par les travaux. Mais lui-même était très impatient. Il écarta les rideaux moisis en tremblant : la forêt était toujours là. Encore plus attirante, presque vivante. Elle le subjugait. Il enfila son vieux pull bleu, celui qu’il ne portait que pour peindre et il commença.

Il dut s’arrêter à regret en fin d’après-midi. Sa sœur n’allait pas tarder. Il nettoya ses affaires, les rangea, posa son pull et regarda une dernière fois son décor. Il était si heureux.

Lors du repas du soir avec Céleste, il lui parla avec enthousiasme de son nouveau travail. Elle s’était beaucoup inquiétée pour lui ces derniers temps. Elle n’avait qu’une envie, l’accompagner demain pour voir la merveille.

Ismael était resplendissant quand il écarta les rideaux. Elle étouffa un cri : « Mais que c’est glauque ! Elle est horrible cette forêt ! Tu vas repeindre par-dessus j’espère ! » Ismael la fixa les yeux flamboyants de colère : « Bien sûr que non, idiote ! C’est la plus belle chose que j’ai vue depuis longtemps ! Va-t-en ! »

Céleste rebroussa chemin sans rien dire. Elle avait l’habitude des colères de son artiste de frère. Quand Ismael rentra le soir, son visage était fermé et il lui adressa à peine la parole. Il repartit le lendemain avant qu’elle ne se lève. Elle n’aimait pas qu’ils restent fâchés alors elle décida d’aller le rejoindre.

Elle le surprit dans un état inquiétant. Il avait les yeux exhorbités, était complètement hypnotisé par le décor peint. Elle frissonna. Ismael portait son pull bleu et tenait son pinceau à la main mais il ne bougeait pas. Elle réalisa soudain qu’il n’avait en fait pas encore posé la moindre trace de peinture ! Elle repartit, bouleversée.

Le soir même, ils se disputèrent violemment. Céleste l’accusait de perdre la tête et lui de ne pas la comprendre. Il décida de s’installer dans le théâtre, en attendant qu’elle parte de chez lui.

Après plusieurs jours, sans nouvelle d’Ismael, Céleste alla au théâtre. Elle le retrouva dans le même état et reparti silencieusement. Elle voulut y retourner la veille de son départ. Il n’était pas là mais le décor était bien visible. Elle entendit avec un frisson glacé le bruissement du vent dans les feuilles. Elle eut l’horrible impression de sentir l’odeur moussue du sous-bois. Alors, prise d’une impulsion étrange, elle voulut détruire ce cauchemar. Elle jeta un pot d’essence de térébenthine sur le décor, alluma son briquet et regarda avec ravissement les flammes se propager à toute vitesse. Elle recula de quelques pas et son cœur s’arrêta. Où était le pull d’Ismael ? Il le laissait toujours près de ses œuvres quand il s’absentait ! Et elle comprit, bien trop tard. Elle hurla quand elle vit les flammes faire disparaître la tache bleue entre les arbres.

Par Pilly80

Proposition 02/2016

Bonsoir, 

Voilà, comme prévu, nous sommes dimanche soir et l’atelier prend fin. Les commentaires ont été clos sur l’ensemble des textes, mais vous gardez bien entendu la possibilité de les consulter. 

Merci pour votre participation à cet atelier !

Le prochain atelier aura lieu en Mars (lancement le vendredi 4 mars au soir). Les inscriptions sont d’ores et déjà ouvertes pour ceux qui le souhaitent.

Bonne fin de soirée et bonne continuation à vous tous!

Gaëlle

*******

Nous revoici donc, après cette trêve des fêtes hivernales, et je suis heureuse de vous retrouver pour cet atelier de février.

Allons-y donc : ce mois-ci, j’aimerais que l’on s’attache au décor. Non pas pour faire tapisserie (il ne faut quand même pas pousser), mais pour lui donner toute sa place. En ce moment, il fait souvent gris et terne, c’est donc le moment idéal pour imaginer des décors flamboyants (ou pas)… !

Je vous propose donc de choisir votre contexte, votre ambiance, en donnant une réelle importance au décor. Non pas pour simplement le décrire, mais bien pour construire une histoire, une intrigue, à partir de lui. Narrez-nous une situation où le décor est le prétexte de l’histoire. Où il crée des liens, où il génère du conflit, où il suscite des souvenirs… Où tel détail du paysage est le révélateur d’un secret, ou au contraire source de mystère. Imaginez, si vous le souhaitez, que les murs ou les arbres prennent la parole. Choisissez le bord de mer, la campagne ou la planète mars. L’extérieur ou l’intérieur. Le grand air ou un huis clos. Tout est permis, bien évidemment, prenez-nous simplement par la main et embarquez-nous dans votre histoire!

Bref, ce mois-ci, soignez les meubles et la déco ; accrochez une toile de maître au mur ou plantez un rosier ; prenez soin de l’horizon et de la vue : ce sont eux qui doivent nous amener à votre histoire !

Bonne écriture à tous !

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