J’étais prise dans une spirale infernale. Le temps filait. Et ces réflexions comme une ritournelle dans ma tête, «Je n’ai jamais assez de temps. Le temps passe trop vite. Je cours après le temps ou est-ce le temps qui court et je ne suis pas assez rapide pour le rattraper !? » . Salariée, mère célibataire, amoureuse à mes heures perdues et il y en avait peu ! La maison à tenir, ranger, laver et recommencer. Les devoirs à faire. Penser à remplir le frigo, préparer les repas, manger, débarrasser et recommencer. Lire les histoires d’avant le gros dodo de la nuit, câliner ou gronder selon… du coup, câliner à nouveau pour ne pas s’endormir fâché… Et enfin se poser. S’endormir devant la télé ou la tête dans le livre de chevet. Ouvrir un œil, se demander où l’on est, éteindre la lumière et aller se coucher et tout recommencer !
Et comme un signe de l’Univers, tout s’est écroulé. Un beau jour, je suis rentrée à la maison plutôt que de me rendre sur mon lieu de travail et cette fois, j’ai attendu que le temps passe et le temps a ralenti sa course. Beau pied de nez non? Au bout de quelques semaines, quelques mois, le rire a chassé les larmes, les idées noires ont cédé leur place à la vie en rose, un projet est né… Pourquoi pas?

Il m’a suffit d’un « pourquoi pas ? «  pour quitter le mode pilote automatique de ma vie et ne plus en chercher le sens dans les « pourquoi? » … Ce « pourquoi pas? » a bousculé toutes les conclusions faites, toutes les croyances que j’avais, tous les jours, tout le temps, sur n’importe quel sujet. Le « pourquoi pas? » a été une invitation à vivre ma propre réalité, à faire mes propres choix ; une invitation à être la créatrice de ma vie, pas toujours dans le confort certes, en revanche, toujours vers plus de possibilités.

Huit ans après, le temps file toujours pourtant je ne cours plus. Je ne suis plus salariée, toujours mère célibataire, amoureuse de la vie à cent pour cent ! Les devoirs sont faits sans rechigner. Le réfrigérateur toujours plein me permet de préparer de bons petits plats à mettre sur la table autour de laquelle les échanges sur la journée vont bon train. Dès que la douche est terminée, l’histoire d’avant le gros dodo de la nuit se lit à plusieurs voix avec le plus grand des plaisirs. Et enfin je me pose, je fais le bilan de la journée. Je suis heureuse. Tout peut recommencer.

« J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé » disait Voltaire. La vie n’est pas un long fleuve tranquille, mais j’apprends chaque jour à voir au-delà des imperfections. Que vais-je faire, créer, imaginer pour rendre cette journée et toutes les suivantes merveilleuses ? Chaque jour est un cadeau, un nouveau « pourquoi pas? ».

Dimanche soir, j ‘entamais le dernier chapitre de mon livre, habituel compagnon de mes fins de soirée en solitaire, la tête bien calée sur mon oreiller, sous une couette moelleuse et chaude, Monsieur Chat collé à moi, me berçant de son ronronnement de tendresse jusqu’à ce que mes paupières se fassent lourdes… Le temps d’une nuit, j’errais alors dans le monde des possibilités infinies…

La salle est comble… Le brouhaha léger des chuchotements parvient à mes oreilles, là, derrière l’épais rideau rouge sombre, encore tiré. Je ferme les yeux, prends de grandes inspirations et tente de chasser le stress qui monte en expulsant l’air toujours plus loin. Les applaudissements sur un rythme scandé m’appellent… Aujourd’hui, je suis une pianiste, virtuose renommée et je vais interpréter dans quelques secondes du W.A. Mozart… Toute ma famille est présente comme à chacune de mes représentations. Je ne les vois pas mais les devine… Impatients et fiers…

(…)

Lumière Vive est une championne, d’une belle lignée. Cette alezane aux crins lavés m’a conduite aux championnats de France de CSO. Une dernière caresse sur l’encolure, l’annonce de notre prochain passage résonne déjà dans les haut-parleurs. Quelques tours de carrière pour détendre ma fabuleuse monture et ce sera le moment… Vingt deux secondes, parcours sans faute, ne reste qu’à attendre le classement…

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Le vernissage du 24 février prochain, à 11 heures à l’Artemisia Gallery de New-York, est la consécration suprême de mon travail. Quinze de mes plus belles œuvres exposées dans cette galerie du quartier à la mode d’Hudson Yards…

(…)

Finalement, je me suis réveillée avec les mots de cette poésie apprise il y a de nombreuses années, une poésie de Robert Desnos, Une fourmi, écrite en 1944,

Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards
Ça n’existe pas, ça n’existe pas
Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais
Ça n’existe pas, ça n’existe pas
Et pourquoi pas?

Oui, pourquoi pas?


Photo by Gene Devine on Unsplash