Texte de Melle47 – « Bonne année… » *

« Bonne année… »
Ma chère Jeanne,
Toute une année vient encore de s’écouler sans que nous n’ayons eu le plaisir de nous confronter réellement. Comme cela me manque. Conversations toujours enjouées. Controverses parfois orageuses. L’état de notre vie. Confidences, espoirs, attentes, déceptions… Comment puis-je imaginer qu’une simple lettre constat puisse remplacer cet inestimable échange. Ce qu’il apporte. Il faudrait trouver plus souvent, l’opportunité, le courage de ces discussions qui permettent d’ajuster un comportement. Faire progresser l’existence. Peut-être, 2020 verra-t-elle cette bonne résolution s’accomplir enfin… Quoiqu’il en soit, voilà à quoi a ressemblé celle écoulée. Tu me diras, je t’en prie, ce que tu penses du chemin parcouru. Ne mâche pas tes mots. Pas de complaisance…
Je me souviens, celle d’avant, s’était terminée de façon si minable, qu’imaginer tout chambouler en grand, avec des changements violents et énergiques n’était certainement pas la meilleure chose à faire. Je suis au moins sûre que là, tu ne me contrediras pas. Mon année a donc débuté tout en douceur. Une fois les fêtes passées, la première résolution – enfin, la seule possible – :  tirer un trait sur le passé. Pas de regrets. Pas d’amertume. Seulement un constat de départ terriblement incertain. Ça m’a fait frissonner. Mais, convenons-en, pouvoir changer de cap, voire de vie, soyons fous, n’est pas donné à tout le monde. Rester positive. Absolument… Tu ricanes, je le vois d’ici … Attends de voir un peu. Déjà, au boulot, ce n’était plutôt pas trop mal. Faire en sorte que ça le reste…
Fin janvier, je me fixais l’objectif, super simple, de me sortir de ma spirale boulimique. L’exercice fût ardu. J’aime ce mot. Il est aussi pentu que le sommet de la plus haute des montagnes. L’infranchissable. Bref, reprendre le dessus. Cela équivalait, pour moi, à cesser de me jeter sur la nourriture pour me consoler de tout et de rien. Et comme il ne suffit pas de le dire et de le répéter pour y parvenir, je me suis fixé des étapes. Une date butoir avec un résultat encourageant à obtenir.
Fin de première étape : fin du premier trimestre. Ça me semblait être une distance suffisante pour résister à entrer dans la première boulangerie croisée dès que je mettais le pied dehors. Crois-moi, ou plutôt regarde autour de toi, le piège est terrible. Il s’en ouvre à tous les coins de rues. À croire que les Parisiens ne mangent plus que des pâtisseries maisons. Trop tentant… Et non, je te vois venir, pour y parvenir, l’objectif n’était pas de m’enfermer chez moi.
Fin mars, je constatais que l’objectif délicat était plus ou moins atteint. Un peu d’indulgence, s’il te plait, avec « l’à peu près ». Il en est d’autres qui, le premier janvier, affirment qu’ils vont arrêter de fumer et qui tirent toujours sur leurs clopes le premier janvier qui suit.
Deuxième étape : deuxième trimestre. Je décidai d’ajouter à mon freinage boulimique un peu de sport. Oui, marre-toi, un peu comme un poisson d’avril. Eh bien non. Pas du tout. Évidemment, tu me connais bien, je n’ai pas choisi de me mettre au tennis, ni au golf d’ailleurs. Je me suis simplement inscrite dans un groupe de marche. Objectif double, marcher, et puis aussi, me faire des amis. Un truc très compliqué quand on a mon âge, et qu’on est grassouillette. Eh bien, figure-toi, ça a marché. Incroyable. Ils m’ont encouragé  et même parfois vraiment supporté. Louise et Nicolas surtout. Ils m’ont encouragé, se sont adaptés à mon pas lent et râleur du début. Il m’a poussé. Elle m’a tiré, jusqu’à me donner des ailes. Moi, mon amitié. Imagine toi…
Tout cela nous a mené aux vacances d’été avec la promesse de se retrouver en septembre. Je te l’accorde, j’ai eu de la chance. Mais, se faisant, je me suis dit que si ces personnes me manifestaient cette gentillesse, c’était sans doute mérité. Je te vois sourire mais un brin de bienveillance envers moi-même, avoue, c’est plutôt nouveau.
Pour l’été ? Détente. Détente et re-détente. Travail, mais aussi vacances, soleil et la simple poursuite de ces deux objectifs : manger sain, marcher, même seule.
Eh bien, essaye seulement d’imaginer dans quel état d’esprit j’ai abordé septembre. Visualise une jeune fille joliment bronzée, quelques kilos en trop mais souriante et pleine de peps. Tu la vois ? C’est moi.
Troisième étape… Poursuivre tranquillement jusqu’aux fêtes de Noël. Considérer que le plus dur était fait. Que le véritable plan était là. Mettre tout noir sur blanc… et suivre à la lettre.
Je t’embrasse ma Jeanne. J’admire cette belle ténacité. Tu verras, maintenant, tout ira mieux…

Jeanne


Image : Free-Photos from Pixabay

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La lettre à Jeanne : que de souvenirs remontant au temps béni où on s’écrivait au lieu de se textoter. J’ai retrouvé le parfum des phrases bien écrites, des mots choisis pour raconter ce que l’on devient et ce que l’on a réussi avec plein de difficultés.

Par contre, j’ai un doute : le x est-il une signature (et dans ce cas la scriptrice s’écrit à elle-même, c’est possible, et si c’est le cas, il y a là-dedans un humour sous-jacent qu’on ne voit apparaitre qu’à la fin), sinon il s’agit de l’amie à qui elle se confie et l’@ montre que l’envoi se fait par mail. Je ne sais pas trancher.

En tout cas, les étapes décrites pour parvenir à tenir la résolution prise semblent bien réelles, et pourraient être celles que nous avons toutes tentées, et parfois réussies.

C’est une jolie progression dans la tenue des résolutions. Je retire de la lecture de ce texte une grande douceur, celle des mots dans l’écrit mais aussi de la façon dont, une à une, elle franchit les étapes. C’est bien vu et on se sent tout à fait concerné(e).

J’ai déduit de la signature qu’elle s’écrivait à elle-même. Elle s’auto-encourage. Il faut bien ça pour tenir ces résolutions.
Merci Melle 47 pour cette douce lecture.

C’est de la dentelle, ce texte.

Je me suis laissé prendre au jeu des amies qui s’écrivent et je trouvais les portraits admirablement équilibrés, nuancés. On comprend pourquoi elles sont amies : à la fois proches et différentes.

La signature m’a fait reprendre le texte, c’est astucieux. S’écrire à soi-même pour la nouvelle année.
Une belle réussite d’auto-regard. De la dentelle ! Janus/Jeanne ? La femme aux deux visages (film Cukor/Garbo) ?

Oullalla, le x, c’est moi qui a dû le mettre. Je viens de vérifier l’original ! En mettant du code pour justifier le texte, j’ai dû mettre cette scorie. Je suis confus (je viens de l’enlever). Du coup tout le monde a interprété, et donné un sens différent. C’est drôle. Excuses à Melle47. Je reviens dans un autre commentaire sur le texte (ceci est écrit en direct du foyer maternel de gastro-enterite). À tout à l’heure. 🙂

Ahaha… Me voici pris en otage de mon « mastic » (c’est un terme du temps de la presse au plomb : un mot, un bout de phrase qui est venu se coller inopportunément dans le texte). Eh oui, hormis sur la chute, je n’ai rien à dire sur ce texte ciselé, introspectif, comme d’habitude chez Melle47, qui nous ferait regretter le temps des correspondances au papier, à la plume et à la crampe à la main. En tout cas, il se lirait bien à voix haute, ce qui lui donnerait même encore davantage d’effet, car il y a une profondeur presque lyrique.

Alors avec le « x@ » ou sans, Jeanne est-elle en train de s’écrire à elle-même ou non, selon une habitude chez elle ? On dirait pourtant : lettre adressée à Jeanne, signée par Jeanne… Il y a « suivre à la lettre »… la lettre qu’elle s’écrirait, traçant un bilan. C’est une hypothèse qui reste très forte ou est-ce une Jeanne à une autre Jeanne ? (Leurs dissensions évoquées au début) ? C’est mystérieux, ambigü… (alors Melle47, quelle est la clé ?).

En effet, j’allais m’acharner sur la chute : toute la progression du texte laisse attendre (on a tous un mauvais fond) un échec, ou sinon une surprise (car on a aussi un bon fond) : là, elle a juste réussit et « tout ira mieux »… Oui bon… Comme toute la subtilité du texte est basée sur une ambiguité (Se parle-t-elle à elle-même ?), est-ce que la chute n’aurait pas pu être plus forte, ou plus éclatante et plus cruelle, voire. Par exemple en faisant dépasser la réussite par une conséquence induite :
Soit :

– Elle prend de haut Jeanne (si c’est une autre Jeanne), car, elle, a réussi (ou compatis, ou la défie de faire de même). Et on comprend quelle était l’autre Jeanne.
Ou

– Elle renie totalement la Jeanne qu’elle était (si c’est elle-même). Elle est transformée davantage que physiquement. Et on comprend quelle était l’autre Jeanne.
Ou

– Elle regrette la Jeanne d’avant (si c’est elle-même). La réussite était un leurre, et pour diverses raisons de norme, elle a perdu un peu d’elle-même. Et on comprend quelle était l’autre Jeanne.

Le « Et on comprend quelle est l’autre Jeanne », ce serait le deuxième effet recherché en un…

Bref, j’essaierais juste de dépasser la réussite finale en développant davantage le « tout ira mieux » peut-être : qu’elle en tire quelque chose (de bien, de mal, de direct ou d’indirect). Que l’épreuve, le chemin, comme tout bon personnage dans une histoire soit enrichi ou changé par l’expérience de façon plus appuyée que « tout ira mieux ». Car en fait le changement d’aspect physique n’est qu’un aspect de la question, sans doute. Et je pense que ça tiendrait en une ligne… Qu’en pensez-vous ?

Encore un beau texte, Mlle 47. De la douceur qui m’évoque le charme des lettres parfumées d’antan.
J’ai imaginé à la lecture de ton texte que Jeanne écrivait à celle qu’elle a décidé de changer, celle qu’elle n’aime pas.

Belle description de volonté, ténacité. On suit pas à pas cette progression, ces tentations. Jolie écriture. J’ai beaucoup aimé toute cette bienveillance qu’ a Jeanne envers Jeanne mais aussi la lucidité qui lui permet d’atteindre son but, ça fait du bien. J’ai trouvé la chute parfaite, je ne m’attendais pas du tout à ce qu’elle s’écrive à elle-même. Je pensais à la meilleure copine, pas toujours sympa plutôt et à qui on a envie de prouver qu’on peut y arriver.

Eh bien, c’est super cette chute… !