Texte de Melle47 – « Les choses sont comme elles sont… Dieu n’y peut rien » *

« Alex… Mais qu’est-ce que tu fabriques ? Dépêche… Je suis prête. On va rater l’instant. Après, ça s’ra plus pareil. »
Imaginez Alex grogner. Poser son front sur le carrelage. Fermer les yeux. Tenter de faire la sourde oreille. Alex, cherchant à se faire oublier… Eh bien non ! Ce matin-là, il a senti un courant d’air frôler sa peau. Sa belle est venu le chercher jusque sous la douche. Certes, il s’est marré lorsque se retournant, il a découvert Laura, fin prête, bras croisés sous une moue impayable. Il a alors fermé le robinet dans un soupir contenu. C’est qu’elle n’est pas toujours tendre la drôlesse. Elle lui a offert son plus joli sourire, mine de rien, en lui tendant la serviette avant de s’en retourner dans la chambre.
« Où t’as posé le portable ? »
Laura, appuyée contre la rambarde du balcon offrait son nez au soleil levant. Elle était bien ici. Pensez donc ! Elle avait tout bonnement sauté de joie quand Alex l’avait invitée à passer ce week-end à l’océan. Enfin, quelque chose à se mettre sous la dent… Ou plutôt sous l’objectif. Pas question de rater une seule belle occasion de faire LA photo que toutes les copines allaient lui envier. Et, croyez-moi, ça peut vite ressembler à un vrai job à plein temps pour le gars qui s’accoquine à ce genre de nana.
« Hey… Où as-tu posé ton portable ? Que je prenne la plus jolie des photos pour la plus jolie des filles ce matin ».
Bien joué Alex ! Et pour appuyer ses dires, il a entouré la taille de la jeune femme, posé ses lèvres dans son cou.
Laura a fait volte-face, écarté délicatement le jeune homme. Non mais, pas question qu’il gâte le maquillage qu’elle a mis tant de temps à peaufiner.
« Là, juste là. »
Elle a pointé le menton dans la direction, passé la main dans ses longs cheveux qu’elle a replacés soigneusement. S’est juchée négligemment sur le haut de la balustrade. Elle a incliné légèrement la tête, effleuré sa joue du bout d’un doigt parfaitement manucuré et s’est figée dans un demi-sourire assez énigmatique. Un vrai cliché ! Alex l’a regardée un instant. Ou plutôt admirée. Je parierais même qu’il a pensé ‟Ah, les filles !”,  je l’ai vu à son air consterné. Puis, il s’est concentré, a pris son rôle au sérieux. Il sait ce que Laura attend de lui. Et, elle n’est pas commode la demoiselle, quand il s’agit de poser. Il finit toujours par se plier au jeu avec plus ou moins de bonne grâce, plus ou moins d’agacement.
Je me souviens, il n’y a pas si longtemps, qu’est-ce qu’elle a pu l’énerver avec cette photo à la butte Montmartre. C’était pour la Saint Valentin. Il a fallu demander l’aide d’un passant pour prendre le fameux cliché. Là, tout en haut des marches. Visualisez un jeune couple de profil. La petite, dans sa jupe plissée, suspendue au cou de son Jules, la jambe pliée. Je vous le dis, Alex a parfois du mérite. Heureusement, le ridicule ne tue pas. Enfin, on n’est pas à la merci d’une telle éventualité. N’est-ce pas ?
Aujourd’hui c’est une avant-première sous les premiers rayons de soleil au bord de l’océan qu’on cherche. On n’en a jamais fini. Tous les jours de nouveaux posts, la recherche perpétuelle de nombreux likes. Elle ne baisse jamais les bras.
« Viens Alex, descendons sur la plage ».
Elle l’attrape par la main, l’entraine avec enthousiasme dans l’ascenseur. Tend les bras, fait de grands gestes. Explique à l’Apollon ce qu’elle voudrait. Elle ici… Lui là… Le soleil levant… Les nuages qui se colorent doucement… le léger vent… Les vagues en arrière-plan… Ils sortent du petit hôtel, traversent la rue, sont déjà sur la plage encore déserte. Imaginez…
« Mais… » Fait la jeune fille, bras écartés, sourire en berne. Elle regarde les vagues d’un côté, le soleil de l’autre… « Mais… Alex… c’est pas Dieu possible… Le soleil se lève du mauvais côté de la mer.»


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Ah que la belle est bien campée ! La description que vous en faîtes est efficace, on la devine, on la voir agir, parler, poser… emmerder le monde !

C’est drôle et impertinent, fort bien trouvé.

Outre ce talent particulier de Melle47 (dans de nombreux textes précédents) de décrire avec une précision de diamantaire des moments précieux de l’existence, on lui reconnaîtra désormais celui aussi de bien « choper » l’air du temps et l’air de… euh… de ses contemporains (*). C’est très bien vu : la tête vide, mais d’un vide survolté, la bêtise, le superficiel..; Nul doute que Melle47 connait personnellement l’impayable (ou payée pour pas grand chose, Nabila 🙂 ). C’est pétillant, « tonique » (comme disent les Suisses de l’eau pétillante) et surtout d’une ironie aiguisée et le style rapide, elliptique parfois, traduit très bien le fond des personnages : une surexcitation constante et dérisoire, une outrance dans le geste car tout petite action semble avoir chez eux l’importance d’une épopée. Bravo, c’est vraiment très bien croqué. (Et bravo aussi pour avoir imaginé tout cela à partir d’une simple phrase…).

Juste un détail : qui parle ? On ne sait pas. On suppose que c’est la copine de ces gens formidaaaables, mais bon. Cela coup, on est presque dans le billet d’humeur, ou une chronique (en enlevant l’apparition de la narratrice « Imaginez… », « Croyez-moi… ») on reviendrait à une narration plus littéraire. Mais à vrai dire c’est un ultra mini micro détail de chipoteur car je ne m’étais pas fait la réflexion aux premières lectures.

(*) Aux dernières vacances de jour de l’an, je suis allé passer 3 jours à Porto, Portugal…. Eh bien des gens qui se selfisaient la tronche en veux-tu en voilà aux endroits « instagrammables », des groupes de 4/5 surfringués, affectés jusqu’au ridicule, comme pour un défilé qui se prenaient en photo tour à tour sur les quais du Douro (c’était visiblement de cette engeance des « influenceurs-ceuses »), j’en ai vu pléthore. J’ai même reconnu en cherchant sur Instagram en fin de journée à coup de « #Porto » une pépette mode croisée sur le pont Luis 1er quelques heures plus tôt — et qui donc avait bien la tête à l’exposition de soi, c’était confirmé. S’en était déprimant tous ces gens. Finalement je préférais les bus de Japonais dont la présence à elle seule vous changeait pourtant l’aspect d’un lieu en le rendant irréel. Le photographe Martin Parr qui a beaucoup travaillé sur le comportement aberrant des touristes est définitivement débordé de tous côtés avec l’apparition de toutes ces nouvelles pratiques.

J’avais adoré la phrase « le soleil se levait du mauvais côté de la mer »… et je n’avais pas réussi à trouver quoi en faire. Je suis d’autant plus admirative de l’histoire trouvée que j’imagine vraiment ce genre de fille le dire sérieusement! Bravo.

J’ai adoré le personnage. Je regarde beaucoup de blog de mode , un peu comme on lit Paris Match dans la salle d’attente du dentiste en se disant « qu’on est bien au dessus de tout çà » et en fait non! on est des voyeurs!
La bloggeuse/ instagrammeuse est un vrai personnage qu’il faut garder pour sa boîte à outils, vous pouvez vous en resservir, elle n’a pas tout dit.
Pourquoi un « je » au milieu, vous êtes où là dedans. (détail). Quand à l’individu de genre masculin associé à cet étalage, je suis comme vous, il crée en moi beaucoup d’interrogation.

Bien joué, c’est fou ce que vous êtes capable de sortir d’une simple phrase… c’est extrêmement efficace pour y être de suite. Bravo et merci