Texte d’Aniobi

Je m’appelle Gustave et j’ai un an et demi. Mes parents disent que je suis le plus beau bébé du monde. Ils disent aussi que je suis grand pour mon âge même si je n’atteins pas encore la table de la cuisine. C’est sur cette table que les grands gardent toutes les choses intéressantes. Parfois en tendant le bras, j’arrive à attraper des objets qui font crier les grands. Les grands tiennent beaucoup à leurs objets. J’ai déjà beaucoup de cheveux mais je déteste le monsieur qui les coupe. Quand je le vois, je braille le plus fort que je peux. Je me dis qu’il va peut être avoir peur et arrêter son cirque. Puis je hurle « fini, fini ». Depuis que je suis né, on me dit que j’ai les yeux bleus, mais j’ai l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche avec mes yeux. A chaque fois que les grands en parlent, ils regardent dans les yeux de mes parents et font une tête bizarre comme si on essayait de me faire croire que les miens étaient bleus.

Là où j’habite, il y a des grands partout et aussi parfois des petits comme moi. Il y a des voitures, des bus et même des avions au dessus. Les gens habitent sur d’autres gens et il faut monter dans une boîte avec plein de boutons pour leur rendre visite. Ca aussi, ça fait crier les grands. Je ne comprends pas très bien pourquoi, si il y a des boutons c’est bien pour que quelqu’un appuie dessus. Par contre, pour aller visiter des gens qui vivent très loin, comme mes grands-parents, il faut aller dessous. Il n’y a pas de voiture mais des trains qui foncent dans la nuit. Les grands qui habitent dessous ont l’air moins heureux que ceux qui se promènent au dessus. Moi je me dis que ça doit être super d’habiter dans un train. Ils ne savent pas la chance qu’ils ont.

L’autre jour, mon père m’a emmené au parc. C’est ce jour là que j’ai découvert les avions. Je ne sais pas si t’en as déjà vu mais c’est quelque chose d’incroyable. Tu te balades dans la rue et tout d’un coup au dessus de ta tête, loin au dessus, pas au niveau de la tête des grands, tu entends un bruit qui tire une grande trace blanche sur le bleu du ciel. Bien droite la trace, pas comme celle que je dessine sur les murs de la crèche. J’ai hurlé « avion, avion» à mon père pour qu’il regarde en haut mais je crois qu’il ne voyait rien. J’étais tellement content que je voulais absolument en voir d’autres. « Encore, encore», j’ai demandé à mon père d’en faire apparaître un autre mais comme il ne voyait pas l’avion, il n’a rien pu faire. C’est vraiment dommage, ce n’est pas banal de voir un trait blanc qui fait du bruit dans le ciel. Je me demande pourquoi les grands ne voient pas les avions.

Les grands doivent être trop grand pour voir les choses intéressantes. Hier soir, j’ai aperçu sur le plafond de ma chambre un ballon jaune qui pendait au bout d’un fil. Je me suis précipité. J’ai du passer par dessus le chien tout doux qui traîne toujours au milieu du tapis. J’ai dit « pardon, pardon» comme mon père me l’a appris quand quelque chose me gène mais ça n’a pas marché. Alors j’ai pris mes forces à deux mains et je suis passé par dessus. Je suis tombé à la renverse et quand j’ai levé la tête, j’étais juste en dessous du ballon jaune. Une fois de plus, mes parents ne semblaient pas le voir. Il était pourtant gigantesque et il pendait au dessus de ma tête en envoyant ces rayons droit dans mes yeux qui j’espère sont vraiment bleus. Ca ressemblait à un ballon mais je trouvais que c’était quand même un peu différent alors j’ai crié « balloum, balloum». Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, ça m’est venu tout seul. Mes parents ont souri et ont dit « oui, badaboum ». Alors j’ai souri aussi mais je n’ai rien dit. A quoi bon, je voyais bien qu’ils ne voyaient rien de toute façon.

Je ne me souviens pas trop de ce que je faisais avant de vivre avec mes parents au dessus d’autres gens mais j’espère que je vais rester là pour un certain temps encore. J’espère que je vais voir les avions dans le ciel encore longtemps. Je me demande quand est-ce qu’on arrête de les voir. Je me dis que j’ai tout de même un an et demi et que si je devais arrêter de les voir un jour ça serait déjà fait.

Faut pas croire, c’est pas non plus marrant tous les jours la vie. Les grands t’obligent à avaler des morceaux trop gros, ils te forcent à enfiler des bonnets ou des pulls qui gênent aux entournures comme ils disent. Tu as beau dire « fini, fini» ils te gênent les entournures plusieurs fois par jour. Et puis à quoi bon grandir si tu ne vois plus les avions ? Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue.

Par Aniobi

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Aniobi nous propose ici un texte à hauteur d’un petit bonhomme qui découvre le monde, et nous emmène avec lui dans cette découverte merveilleuse, où tout est nouveau, magique, intéressant. J’aime bien le côté « naïf » des descriptions du début, les boîtes à boutons, et les gens qui habitent sur d’autres gens. Et effectivement, le choix de ce thème correspond très bien à la citation proposée : on peut imaginer facilement qu’un enfant découvrant le monde n’ait de cesse de s’étonner lui-même des constats qu’il fait et des choses qu’il observe et/ou expérimente. Aniobi peut donc dérouler une narration fluide, cohérente, qui nous entraîne en douceur. Le parti pris ici est de décaler le niveau de langage (ce petit enfant, bien évidemment, pense et parle comme un adulte), ce qui permet de créer et/ou de refléter la tendresse que l’auteur a pour cet enfant. Et qu’il parvient à rendre contagieuse.

Il me semble qu’il y a deux petites choses qui pourraient être réfléchies et affinées, dans ton texte, Aniobi. D’abord, cette histoire d’yeux bleus. Je pense que c’est un truc intéressant, cette question des yeux, qui revient plusieurs fois, mais je ne suis pas sûre de l’avoir bien comprise. Est-ce que les gens sont étonnés parce que ses parents n’ont pas les yeux bleus ? Est-ce autre chose ? Je me suis demandé si cet enfant avait une particularité, je me suis demandé si tu allais nous dire qu’il était finalement adopté, ou d’autres choses du genre. Au bout du compte, je me dis que si tu y reviens plusieurs fois, c’est que ça a une importance, mais laquelle ? Je ne suis pas sûre que ce point soit tout à fait clair pour moi (mais c’est peut-être juste moi… !). La deuxième chose, c’est que j’ai trouvé dommage ce « faut pas croire, c’est pas marrant tous les jours la vie » du dernier paragraphe. Ça pourrait être tout à fait chouette que cet enfant ne s’émerveille pas de tout (même s’il reste sur une balance « positive » au global), mais c’est étrange que ça arrive juste à la fin, au dernier paragraphe, du coup presque comme « un cheveu sur la soupe », parce que tu n’as plus vraiment le temps de développer ça. Si tu souhaites garder une partie un peu plus « critique » dans le regard de cette enfant (ce qui est je pense une bonne idée), je pense qu’il serait intéressant de la distiller au fil de ton texte, de loin en loin. C’est déjà un peu ce que tu fais, d’ailleurs, en expliquant qu’il n’aime pas le coiffeur, etc… J’aurais tendance à creuser ce sillon. Cet enfant pourrait là, trouver que son pull gratte (ça gêne pour regarder les avions), ici, constater qu’on n’a pas le droit de sauter dans l’eau (mais alors à quoi ça sert les flaques ?), etc… Ainsi, tu resterais sur une narration plus « tissée », où le bon et le mauvais côté s’équilibrent, plutôt que de dissocier les deux à la fin du texte.

J’ai beaucoup aimé la manière de parler de ton petit bonhomme et sa vision des choses m’a bien plu. La citation d’O. Wilde n’était pas dans le même style du coup mais on s’en fiche ;-), j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ton texte! J’ai aussi été interloquée par les yeux bleus (et aussi par « balloum » mais j’ai fini par comprendre quand même^^) et je suis curieuse d’avoir le fin mot de l’histoire!