Texte de Ann

Dans un sursaut, je me redresse. Un lit. Petit. Des murs blancs. La tête me tourne, j’ai le cœur qui s’emballe. J’inspire l’air épais et moite. Ne pas paniquer. Je regarde autour de moi. Une chambre d’hôpital, je suis seul, c’est la nuit. J’entends une voiture passer et s’éloigner, dehors. Des phares éclairent brièvement mon visage en sueur. La pièce est sombre, la chaleur est suffocante. Une chambre d’hôpital ? Encore ? Je ne me souviens pas. Quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ?

J’ai dû recommencer. J’étais mal, tellement mal ces derniers jours. Ces derniers mois. Je pourrais presque dire ces dernières années. Je le dis, tiens. Autant être honnête. Finalement, quand était-ce la dernière étincelle de joie? Mon enfant. Ma femme. Que vont-elles encore penser ? Les émotions tournoient dans ma tête. J’ai bien le souvenir d’avoir affirmé que ça ne se reproduirait pas, que j’étais plus fort maintenant.

Sonner l’infirmière? Non. Pourquoi faire? Il faut que je rassemble mes idées, que je me calme. C’est effrayant de ne pas se souvenir.

Je vais me lever, ouvrir la fenêtre. Je tangue un peu sur mes pieds, j’ai la nausée. Et ce n’est pas dû à la vision des bandelettes entourant mes poignets. Je ne les avais pas vues. De l’air, j’ai besoin d’air, on étouffe ici. La fenêtre est grande ouverte pourtant. J’attrape les barreaux. Un souffle me décoiffe légèrement. De quoi ai-je l’air ? Si je commence à m’intéresser à ma coiffure ! C’est risible. Sourire. Le premier depuis… fort longtemps, c’est sûr. J’aurais pu sourire pour les premiers pas de mon enfant. Ou ses premiers mots. Ou… non, c’est la brise de cette nuit qui me réconcilie avec mon sens de l’humour, assez scabreux, je le reconnais.

Mes lèvres sont sèches. Je passe la langue dessus. Il doit bien y avoir un peu d’eau. Je vois une bouteille sur la table de nuit, et un verre. Une gorgée juste, j’ai l’estomac un peu retourné. Et puis l’eau est tiède.

Je retourne à mon poste, devant la fenêtre. Je regarde le paysage, le parking, la route, quelques grands arbres. J’écoute les bruits de la nuit, les insectes, le vent dans les branches. La lune me regarde, lumineuse. Je goûte le parfum de mon île. Je l’aime. J’ai dit ça. Étrange, j’avais oublié l’existence de ce mot.

Il s’est passé quelque chose. Je reste suspendu à cet instant. Je cherche. Quoi déjà ? Ah oui, cette sensation: je me sens plus léger. Je fouille. J’ai l’impression de sentir plus fort mon corps, je bouge mes doigts de pieds sur le sol, le carrelage frais me fait du bien. La nausée est passée. J’essaie de remonter le temps. Oui c’est ça ! Peu à peu, les brumes se dissolvent dans mon esprit. Il s’en est fallu de peu. C’est donc vrai le défilé de la vie, juste avant. Je ne veux pas dire le mot. Un vrai film à l’envers, précis, tellement précis et d’une rapidité surprenante. La vitesse de la lumière, je suppose. Mon esprit est plutôt vivace, je m’étonne moi-même ! Me voilà en train de théoriser. Ils n’ont pas dû m’abrutir de drogues. Ou alors, je suis devenu résistant. Haha, oui à force ! Mais je m’égare. Donc je disais : d’où vient ce sentiment nouveau?

Une évidence soudaine illumine ma conscience. Je veux vivre. Ce mot-là, je suis capable de le prononcer. Troublant. Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Ça fait tant de temps que je cherche la clef. J’étais coincé dans un labyrinthe tellement épais. Il n’y avait pas de sortie, que de la douleur. Il s’est passé quelque chose, c’est sûr. Je ne me souviens pas de mon arrivée dans cette chambre. Je n’ai pas de…si ! Je me vois dans ce lit, les yeux fermés. Je ne suis pas seul. Elle est là. Assise. Me parlant doucement. Chercher mes racines, voyager jusqu’aux Indes me chuchote-t-elle, là sont les réponses, nos identités, notre mémoire, notre rôle. C’est elle. Croisée il y a si longtemps dans cette vie. Et la superposition des visages de ses différentes incarnations, rencontrées au fil de nos vies antérieures et de celles à venir. Mon amie, ma sœur. Je me souviens, je sais qui je suis. Je sens une immense joie monter en moi, des profondeurs de mon être. J’ignore ce qui a pu se passer, ce qui a été brisé dans mon cœur. Peu importe aujourd’hui. Seul le présent compte. Elle est encore là, une petite lumière dans ma tête, fil de soie, fin cordon qui nous relie. Que disait-elle encore? C’était essentiel. J’entends le timbre de sa voix et son éclat de rire : «Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue.»

Par Ann

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Ann nous propose ici un texte presqu’envoûtant, récit d’une renaissance, que l’on comprend avoir été longue et douloureuse. L’ambiance est je trouve très bien posée, cette lenteur du réveil-incompréhension, le mélange d’éléments très concrets (l’eau tiède, les bandages) qui croisent des questions plus « métaphysiques », et qui créent un espèce de décalage permanent, entre la torpeur et la réalité. C’est un texte étrange, dans le bon sens du terme, parce que ce que vit cet homme est étrange aussi. Ann a su construire son texte à l’unisson du ressenti de cet homme, en insistant régulièrement sur des éléments sensoriels pour quasiment nous faire « ressentir » nous aussi son trouble, plutôt que de simplement nous le « décrire ». Puis finalement, la dualité vie/mort qui est à l’œuvre dans le texte choisit son camp et c’est une jolie fin que nous offre le texte, qui flirte avec le paranormal en nous laissant le soin de choisir jusqu’à quel point on considère qu’il est allé dans ce domaine.

Je crois, Ann, que ça serait très intéressant que tu essayes de varier les rythmes de ta narration. Tout le début de ton texte est lent, et c’est un très bon choix. L’homme se réveille, il est perdu, il lui faut du temps pour tout remettre en place dans sa tête… C’est très pertinent que tout aille lentement à ce moment-là. En revanche, j’aurais eu envie, quand il retrouve ses esprits totalement, quand il réalise qu’il tient à la vie, probablement à partir de « une évidence soudaine illumine ma conscience », que la narration s’emballe, pétille, soit jaillissante. Un gars qui a souffert, dont tu nous fait comprendre qu’il a fait plusieurs tentatives de suicide, que même pour sa femme et sa fille, il n’a pas réussi à remonter, et qui redécouvre d’un coup le chemin du « vivre », il doit avoir plein d’envie, plein de goûts qui reviennent. Je crois que si tu nous en bombardais quelques uns, si tu créais une fin de texte plus « tournoyante » ou « dansante », moins linéaire dans l’écriture, tu renforcerais sacrément ton propos.

Merci pour tes conseils. J’ai retravaillé la fin mais j’ai du mal à entendre si c’est vraiment tournoyant et si ça change vraiment de rythme. Enfin…voici:

Une évidence soudaine illumine ma conscience. Je veux vivre ! Sentir, goûter, danser. Je vais partager, rencontrer, voir la beauté en toute chose, rire surtout, oui ! Le vide en moi s’est envolé, je suis entier, enfin. Je n’étais pas seul : elle était là, assise, son regard pétillant, sa main fermant la mienne sur quelquechose de froid : « Cherche tes racines, voyage jusqu’aux Indes, là sont les réponses, nos identités, notre mémoire, nos rôles. » C’est elle, je crie ! Et je vois la superposition des visages de ses différentes incarnations, rencontrées au fil de nos vies antérieures. Mon amie, ma sœur. Je me souviens, je ris, je sais qui je suis. Merci, tellement ! Je sens une immense joie monter en moi, couler dans mes veines, des profondeurs de mon être, une déferlante rouge vif qui anéantit le poison sombre. Ma main droite s’ouvre et je découvre une amulette gravée de signes connus qui luit doucement dans la pénombre. J’ai retrouvé toute ma puissance en cet instant. Elle est encore là, une petite lumière dans ma tête, fil de soie, fin cordon qui nous relie. Que disait-elle encore? C’était essentiel. J’entends le timbre de sa voix et son éclat de rire : «Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue.»

Oh que oui, Ann, c’est nettement plus tournoyant! J’aime beaucoup cette nouvelle fin! Attendons d’autres avis, mais tu as trouvé le fil que j’imaginais 🙂

J’aime beaucoup ta 2ème version, c’est une bonne idée de changer de rythme de narration au rythme où il se réveille. Par contre, je ne suis pas fan de 2 petites phrases qui me donnent l’impression que tu « en fais trop » alors que le reste du ton texte est fluide et me parait bien adapté : « surtout oui! » et « merci, tellement! ». Qu’en pensent les autres?

oui tu as raison, j’ai hésité pour le merci, je vais alléger et suivre tes conseils, c’était ma hantise d’en faire trop, j’avais l’impression d’être en permanence sur le fil en écrivant ce texte

version 3:
Dans un sursaut, je me redresse. Un lit. Petit. Des murs blancs. La tête me tourne, j’ai le cœur qui s’emballe. J’inspire l’air épais et moite. Ne pas paniquer. Je regarde autour de moi. Une chambre d’hôpital, je suis seul, c’est la nuit. J’entends une voiture passer et s’éloigner, dehors. Des phares éclairent brièvement mon visage en sueur. La pièce est sombre, la chaleur est suffocante. Une chambre d’hôpital ? Encore ? Je ne me souviens pas. Quelle heure est-il ? Quel jour sommes-nous ?

J’ai dû recommencer. J’étais mal, tellement mal ces derniers jours. Ces derniers mois. Je pourrais presque dire ces dernières années. Je le dis, tiens. Autant être honnête. Finalement, quand était-ce la dernière étincelle de joie? Mon enfant. Ma femme. Que vont-elles encore penser ? Les émotions tournoient dans ma tête. J’ai bien le souvenir d’avoir affirmé que ça ne se reproduirait pas, que j’étais plus fort maintenant.

Sonner l’infirmière? Non. Pourquoi faire? Il faut que je rassemble mes idées, que je me calme. C’est effrayant de ne pas se souvenir.

Je vais me lever, ouvrir la fenêtre. Je tangue un peu sur mes pieds, j’ai la nausée. Et ce n’est pas dû à la vision des bandelettes entourant mes poignets. Je ne les avais pas vues. De l’air, j’ai besoin d’air, on étouffe ici. La fenêtre est grande ouverte pourtant. J’attrape les barreaux. Un souffle me décoiffe légèrement. De quoi ai-je l’air ? Si je commence à m’intéresser à ma coiffure ! C’est risible. Sourire. Le premier depuis… fort longtemps, c’est sûr. J’aurais pu sourire pour les premiers pas de mon enfant. Ou ses premiers mots. Ou… non, c’est la brise de cette nuit qui me réconcilie avec mon sens de l’humour, assez scabreux, je le reconnais.

Mes lèvres sont sèches. Je passe la langue dessus. Il doit bien y avoir un peu d’eau. Je vois une bouteille sur la table de nuit, et un verre. Une gorgée juste, j’ai l’estomac un peu retourné. Et puis l’eau est tiède.

Je retourne à mon poste, devant la fenêtre. Je regarde le paysage, le parking, la route, quelques grands arbres. J’écoute les bruits de la nuit, les insectes, le vent dans les branches. La lune me regarde, lumineuse. Je goûte le parfum de mon île. Je l’aime. J’ai dit ça. Étrange, j’avais oublié l’existence de ce mot.

Il s’est passé quelque chose. Je reste suspendu à cet instant. Je cherche. Quoi déjà ? Ah oui, cette sensation: je me sens plus léger. Je fouille. J’ai l’impression de sentir plus fort mon corps, je bouge mes doigts de pieds sur le sol, le carrelage frais me fait du bien. La nausée est passée. J’essaie de remonter le temps. Oui c’est ça ! Peu à peu, les brumes se dissolvent dans mon esprit. Il s’en est fallu de peu. C’est donc vrai le défilé de la vie, juste avant. Je ne veux pas dire le mot. Un vrai film à l’envers, précis, tellement précis et d’une rapidité surprenante. La vitesse de la lumière, je suppose. Mon esprit est plutôt vivace, je m’étonne moi-même ! Me voilà en train de théoriser. Ils n’ont pas dû m’abrutir de drogues. Ou alors, je suis devenu résistant. Haha, oui à force ! Mais je m’égare. Donc je disais : d’où vient ce sentiment nouveau?
Une évidence soudaine illumine ma conscience. Je veux vivre ! Sentir, goûter, danser. Je vais partager, rencontrer, voir la beauté en toute chose, rire ! Le vide en moi s’est envolé, je suis entier, enfin. Je n’étais pas seul : elle était là, assise, son regard pétillant, sa main fermant la mienne sur quelquechose de froid : « Cherche tes racines, voyage jusqu’aux Indes, là sont les réponses, nos identités, notre mémoire, nos rôles. » C’est elle, je crie ! Et je vois la superposition des visages de ses différentes incarnations, rencontrées au fil de nos vies antérieures. Mon amie, ma sœur. Je me souviens, je ris, je sais qui je suis. Je sens une immense joie monter en moi, couler dans mes veines, des profondeurs de mon être, une déferlante rouge vif qui anéantit le poison sombre. Ma main droite s’ouvre et je découvre une amulette gravée de signes connus qui luit doucement dans la pénombre. J’ai retrouvé toute ma puissance en cet instant. Elle est encore là, une petite lumière dans ma tête, fil de soie, fin cordon qui nous relie. Que disait-elle encore? C’était essentiel. J’entends le timbre de sa voix et son éclat de rire : «Je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue.»

Chouette travail de peaufinage, Ann. J’aime beaucoup!