« This is the end ». La musique ne suffisait pas à recouvrir ses pleurs et pourtant, l’église faisait caisse de résonnance. Dieu lui a arraché son fils. « Of our elaborate plans, the end ». Ce n’est pas comme ça que cela devait se passer, ce n’était pas dans l’ordre des choses. « Of everything that stands, the end ». Un parent ne peut survivre à la perte de son enfant. C’était la fin, la fin de tout.

Cela tombait à pic. Il n’avait jamais accroché avec son beau-frère qui ne pensait qu’à faire la fête et ne savait même pas faire un barbecue digne de ce nom. Ce matin, il n’avait pas pu s’empêcher d’acheter Automoto. Son beau-frère, célibataire et sans descendants, gagnait bien sa vie. Ils allaient enfin pouvoir se débarrasser de leur vieille bagnole. « This is the end » des fins de mois difficiles, compléta-t-il en s’efforçant de prendre un air de circonstance : triste.

Elle était très fière. Elle y avait passé du temps mais elle avait fait du bon boulot. « Can you picture what will be ». Elle avait enlevé un à un les morceaux de verre de son visage, avait dissimulé son teint cireux, avait choisi ses plus beaux habits, bref, elle l’avait rendu présentable. Son métier sidérait, effrayait, était jugé glauque. Elle, en était fière. « Desperately in need of some stranger’s hand. In a desperate land ». Elle y voyait un moyen de soulager la douleur des familles.

« Visiziaind ». Pourrie, cette chanson. D’façon, tout était pourri aujourd’hui. Sa mère était censée l’amener à la piscine. Il avait attendu le w-e avec impatience, comptant les jours, comme sa maîtresse lui avait montré. Et voilà qu’à la place du bassin à vagues, il se retrouvait dans cette église glaciale. En plus, son père lui avait interdit de mettre son tee-shirt préféré, celui de Spiderman. Alors, il s’amusait à shooter dans le banc de devant, des petits coups de pied réguliers. Ses parents ne le grondaient même pas. Il éternua et fit exprès de ne pas mettre sa main devant la bouche, guettant leur réaction. Rien. Que dalle.

Elle pleurait depuis des jours… Enfin, plutôt des nuits, dans le secret des nuits noires. L’amour de sa vie, un épicurien comme elle n’en avait jamais connu. Et tellement, tellement doué… Elle frissonna en pensant à l’extase qu’il lui procurait. « So limitless and free ». Elle n’avait jamais osé, jamais osé préférer l’épicurien à la sécurité, préférer l’amant au père de ses enfants. Et la voilà aujourd’hui, prétextant un spa pour honorer la mémoire de l’amour de sa vie. « No safety, no surprise, the end ». Elle ne pouvait se confier à personne, elle porterait à jamais une douleur illégitime. « I’ll never look into your eyes… again ». Elle essayait en vain d’arrêter ses larmes : comment allait-elle justifier ses yeux rougis ?

Une belle assemblée de triplette : baptême, mariage, enterrement et aucun autre office. On rentre désormais dans les églises seulement les pieds devants. Et dire que maintenant, il était chargé de lui assurer une place au paradis. « Get here, and we’ll do the rest ». « Soft lies ». Quelle hypocrisie.

Elle était là par politesse. Bon voisinage, bienséance, respect, bonnes manières, patati. Elle donna un coup de coude à son mari et lui chuchota : « ce soir : champagne ! ». Plus de nuits infernales. « The end of nights we tried to die ». Plus de barbec’ à n’importe quelle heure. Plus de fête 7 jours sur 7. Elle regardait l’assemblé. Une jeune femme se fit asperger de la morve d’un petit garçon assis derrière elle. Elle dut se mordre les lèvres jusqu’au sang pour empêcher le fou-rire de monter. « Un fou-rire à un enterrement, je m’en veux, je m’en veux vraiment ». Pas de doute, elle aurait préféré cette chanson.

« Beautiful friend, this is the end, my only friend, the end ». Putain. Et dire que sa voisine aigrie de 95 ans était toujours en vie, elle. La vie était vraiment une belle salope. « It hurts to set you free ». Son meilleur pote méritait mieux que de finir sur le bitume. Et cette cérémonie de merde qui ne lui ressemblait en rien. Une église, ha ha ! Bertrand avait cessé de croire à ces conneries depuis un bail. Il aurait voulu qu’on fasse la fête et non qu’on se caille les miches dans la maison d’un soi-disant Seigneur, à écouter une chanson à la con. Ce soir, il fera une méga teuf dans le jardin de Bertrand et personne ne pourra l’en déloger. Des bouteilles de vin. Quelques pétards qui tournent. Du Bob Marley. Un barbec’. Ça, c’était une façon de célébrer son pote. Un contre-enterrement.

Par Ariane