Texte d’Ary

Avant, j’étais insouciante. Irresponsable et sans attaches, sans comptes à rendre, libre de partir, de revenir, de faire ce que bon me semblait, avec qui je voulais. C’était pour moi la seule façon de profiter de la vie, de la savourer jusqu’à l’ivresse. Je m’épanouissais dans mes études, où je me donnais à 100%, j’avais des amis avec qui je sortais toutes les semaines, je me plaisais à être monogame en série, je fuyais dès que je me sentais acculée à l’exclusivité. Je pensais aimer trop de choses et de gens pour en privilégier une parmi toutes. J’étais la définition vivante du mot « épicurien ». J’étais jeune, et je pensais que ma jeunesse me protégerait de tout, y compris d’aimer et donc de souffrir.

Je m’accrochai d’autant plus à cette conviction le jour où j’appris ce que l’un de mes coups d’un soir m’avait transmis. Je me persuadai que ma vie allait rester la même, que je parviendrais à préserver mon confort, mes habitudes. Je me rends compte aujourd’hui que j’étais dans ce que l’on appelle le déni. Bien sûr, je savais au fond de moi que l’avenir tout tracé que je projetais, la vie facile que je me prévoyais allait disparaître irrémédiablement, et j’étais terrifiée à l’idée que ce soit pour le pire et non pour le meilleur. Mais l’esprit humain est habile à s’illusionner, et ce fut donc avec une parfaite sérénité que je relevai tous les défis qui m’attendaient, des rendez-vous à l’hôpital aux changements que je ressentais dans mon corps.

La violence du choc fut à la hauteur de mon inconscience préalable. Je n’étais pas prête, mais peut-on vraiment être prête à s’occuper d’un bébé totalement dépendant de vous ? Aujourd’hui je sais qu’on a beau faire, lire, parler avec la terre entière, on n’est jamais prête. Quand ma fille est née, je ne le savais pas et je pensais être une mère indigne, incapable de prendre soin de son enfant, culpabilisant de souhaiter juste un instant ne l’avoir jamais eue et retrouver ma vie d’avant.

Devenir mère m’a fait redescendre sur terre, et ô combien fut rude l’atterrissage ! Je me découvrais enchaînée chaque minute de chaque jour à quelqu’un d’autre que moi, à un être qui ne voulait que moi, que je ne comprenais pas et qui reléguait loin de moi tous mes besoins, tout ce que je pensais essentiel à mon bien-être.

Mais la vie est un perpétuel numéro d’équilibriste, et peu à peu l’équilibre de ma vie mis à mal par l’arrivée de ma fille se rétablit, différent de celui d’avant. Et je découvris, étonnée, que c’était bien pour le meilleur et non pour le pire. Malgré la fatigue, parfois la lassitude, quelquefois la colère et la frustration, je réalisai que mes priorités avaient radicalement changé, d’une façon presque primale, sauvage. Moi pour qui les sorties étaient primordiales, je passais la plupart de mon temps avec un bébé collé à moi, et ça ne me dérangeait plus. Moi qui aimais discuter des heures au téléphone avec mes amies, je n’émettais des sons qu’en réponse aux gazouillis de ma fille, respectant le reste du temps le silence nécéssaire à son sommeil. Moi qui aimais vérifier dans le miroir mon apparence, la journée pouvait passer sans que je ne me soucie de n’avoir pas pris de douche. Moi qui cultivais les moues boudeuses, les froncements de sourcils, le regard indifférent, je n’arborais plus qu’un sourire attendri au creux des rides de fatigue. Moi qui ne vivais que pour moi-même, je me découvrais heureuse de me dévouer entièrement à quelqu’un d’autre.

Avant, je n’étais pas moi-même. Avant, je n’aurais pas pu relever le défi de la maternité, et je n’aurais jamais pensé que je le ferais avec bonheur. Avant, je pensais connaître toutes les facettes du mot « aimer ».

Et je découvre chaque jour, emerveillée, à quel point l’arrivée de mon enfant m’a changée.

Comme disait Oscar Wilde, « je suis toujours en train de m’étonner moi-même. C’est la seule chose qui rende la vie digne d’être vécue ».

Par Ary

0 0 votes
Évaluation de l'article
4 Commentaires
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Fil de retours
Voir tous les commentaires

J’ai beaucoup aimé ton texte, déjà parce qu’il me parle énormément en ce moment (ce qui montre que tu as su choisir les mots!). J’aime bien ton style d’écriture, simple et efficace et je trouve qu’il ressort une belle douceur à la fin de ton texte.

Merci Gaëlle et Ariane !
En effet Gaelle je suis plus à l’aise avec le style «regard en arrière», je vais tenter de revoir la deuxième partie !