Départ en Vacances
J’ai toujours détesté ça, les départs en vacances. Chacun s’agite dans son coin, traverse la maison à grandes enjambées, des cris fusent de la cave au grenier.
« Maman, elles sont où mes palmes?»
« Maxime, je sais que c’est toi qui m’as piqué mes écouteurs MP3, rends-les moi immédiatement!»
« Gérard, les piquets de la tente, pourquoi ne sont ils pas dans le petit sac en toile, AVEC la tente?»
Je déteste ça, ce bruit,ce tumulte, je me fais toute petite et évite d’être dans les pieds des uns et des autres.
La voiture est déjà devant la porte, ça c’est le rôle de papa. Maman voulait acheter un coffre de toit, mais papa n’a rien voulu entendre: et l’aérodynamisme, et ma vitesse moyenne, et ma consommation.
Comme chaque année nous serions donc serrés comme des sardines à l’arrière, Sophie, Maxime et moi. Comme chaque année on me mettrait au milieu, normale, je suis la plus jeune, comme chaque année j’aurais mal aux fesses durant les six heures de route.
Sauf que cette année, je suis la plus grande, Sophie la plus grosse et Maxime le plus puant.
Chacun s’occupe de son paquetage. Sophie essaye vainement de fermer sa valise en s’asseyant dessus, elle a même demandé l’aide de Maxime qui bien sûr lui a éructé d’aller se faire voir.
Maxime il s’en fout, il a son vieux sac en toile, ses palmes, son tuba et son maillot-short. Rien besoin de plus.
Maman bourre ses deux valises de vêtements pour toutes occasions, on ne sait jamais. Elle oublie, comme à chaque fois, qu’au camping de la Plage, les seules occasions sont le pastis avec les voisins lorrains, et le bal du 14 juillet sur la plage. Je crois qu’au fond d’elle Maman rêve d’autres choses, d’hôtels prestigieux et de cocktails au bord d’une piscine turquoise.
D’ailleurs, les vacances sont toujours la saison des disputes. Maman reproche à papa de ne pas avoir eu la promotion attendue. Papa reproche à maman d’avoir accepté ce poste à responsabilité qui lui prend tout son temps sans lui rapporter un sou de plus. Du coup, la femme de ménage est venue grever le budget vacances: impossible de louer l’emplacement à l’ombre des pins, au plus près du sable.
Bref, l’ambiance est tendue. L’adolescence boutonneuse de Sophie et beat-rebelle de Maxime ajoutent la petite couche superflue qui nous amène proche du psycho-drame familial.
Et donc moi. Je reste dans ma chambre le plus longtemps possible. Si seulement ils pouvaient m’oublier. Je ferme les yeux et je me rêve seule dans la maison. On ne me demande bien sûr jamais ce que je préfère. Mais je n’aspire qu’au silence et au vide.
Je n’emporterai que des livres: des romans d’amour, des histoires de familles. Je ne suis pas encore prête pour la vraie littérature, je le sens bien. En moi, tout bouge, mais doucement, discrètement. Je laisse Sophie et Maxime se battre avec les parents à grands gestes et à grandes phrases définitives. « Vous ne comprenez rien! Je vous déteste! Jamais je ne rentrerai! Je pars chez Stéphane, lui au moins il m’aime! Je vais chez Parrain, il me comprend lui et il me laisse écouter ma musique»
Au milieu de ce champs de bataille, j’ai trouvé ma place. Quand je demande un peu d’argent à Maman, elle me demande inquiète si c’est pour du maquillage mais quand je lui réponds «non, non, c’est pour la suite de mon livre» Je reçois bien plus que nécessaire, d’autant plus que je fréquente surtout la bibliothèque.
Au fil du temps, je me suis un fait un beau petit bas de laine, une réserve pour le cas où.
Et j’avais décidé que le cas où était bel et bien arrivé.
Maman hurle: impossible de faire rentrer le parasol! Papa gémit, il va falloir vérifier la pression des pneus avec tout ce poids! Sophie pleure: son forfait sms ne tiendra pas jusqu’à la fin des vacances et rien à faire, maman refuse tout rallonge: Stéphane aura l’été pour l’oublier. Maxime reste calme jusqu’au moment où papa réalise qu’il fume un joli pétard tout frais, cadeau de parrain justement.
Mon sac est bouclé j’y ai mis les trois volumes de «Les Eygletières», j’adore les saga familiales avec déchirements et mesquineries. L’année dernière j’avais dévoré les Gens de Mogador, je crois que Troyat me plaira. A la bibliothèque de l’école j’ai aussi emprunté la trilogie «La byclette bleue». J’ai pris quelques cahiers clairefontaine, mes crayons et une gomme.
Avec les sous économisés, je me suis acheté un billet de train jusqu’à Avesnes. De là je compte faire du stop jusqu’à Glageon: je n’ai pas prévenu Grand-Mère, mais je sais qu’elle sera heureuse de me voir. Je l’aiderai au jardin puis elle écoutera la radio pendant que je lirai.
Je sais que mon silence est ma meilleure arme. Trois coups de klaxons et ils sont partis, je suppose qu’ils remarqueront mon absence à la première station d’autoroute. J’ai bien fait de toujours refuser d’avoir GSM.
Par Clamoiselle
Passionnée par les mots, l’écriture, j’ai « appris » à écrire en atelier avec un homme formidable, issu du réseau Kalame, qui animait un atelier amical, Marcel Oriane.
Mes nouvelles sont sur un blog wordpress, ouvert à mon pseudo.
C’est un départ en vacances comme on espère ne jamais en vivre… ! Mais qui met fort bien en exergue, dans une sorte d’unité de temps et de lieu, toutes les tensions et tous les fonctionnements de cette famille. Nous avons une sorte de « condensé » des interactions de cette famille, là où il aurait fallu sans doute plusieurs mois pour décrire tout ça en l’absence d’un évènement « fort » qui exacerbe tout. Le départ en vacances n’est ici que prétexte à voir vivre (et s’asticoter) ces gens, et à les comprendre (on ne sait en fait que peu de choses sur les vacances elles-mêmes). En ce sens, avoir choisi comme narratrice la personne qui reste un peu en dehors de la « ruche », voire-même qui compte bien en tirer profit pour parvenir à mener à bien un projet personnel, est très pertinent : il nous donne à nous, lecteur, le recul nécessaire sur cette agitation, ainsi qu’un regard à la fois humoristique et grinçant tout à fait accordé au texte.
La narration est fluide, le texte se lit avec plaisir. A titre personnel, j’aurais envie je crois d’accentuer le côté un peu mordant de la narratrice. Rajouter quelques remarques au fil du texte, qui l’impliquerait davantage, qui basculeraient encore davantage dans le jugement (peut-être un peu cynique). On comprend que cette jeune fille aborde l’adolescence, sans doute. Et le fait qu’elle soit capable de prévoir une sorte d’escapade en solo la place quand même dans la catégorie des héroïnes qui ont du caractère (elle ne se contente pas de se lamenter dans son coin, elle a prémédité son évasion). Ce trait serait à mon sens à renforcer en instillant par ci par là quelques remarques « bien senties » venant de l’héroïne (comme cela est déjà esquissé à propos de son frère et de soeur, par exemple).
Le cauchemar ! Très bien rendu, je me suis complètement imaginée la scène.
Il y a juste la chute qui me paraît exagérée. Je n’ai pas encore d’enfants mais j’ai du mal à imaginer des parents oubliant l’un de leurs enfants et ne se rendant compte qu’au premier arrêt. Je la ferai s’éclipser discrètement pendant que ses parents se hurlent dessus dans le garage par exemple et faisant un signe à son frère stone qui du coup ne capte rien. Ou alors peut être accentuer sa discrétion dans la famille par petites touches disséminées tout le long du texte pour rendre crédible le fait qu’ils l’oublient.
Ouf … tu n’as pas vu que je dépassais déjà les 4500 mots requis 😉
Je pense que je vais avoir quelques difficultés à ajouter quelque chose à ce texte qui m’a demandé un réel effort de concision …. je vais y réfléchir.
Merci pour ta lecture et ton retour: j’aime énormément avoir un avis extérieur sur ce que je fais 🙂
J’ai beaucoup aimé ce texte, l’ambiance est super bien rendue, on a envie de lire la suite ! Peut-être, pour chipoter, que j’aurais aimé lire au passage dans les passages sur les membres de sa drôle de famille quelques lignes sur son ressenti à elle sur eux, sur sa relation avec eux. On ne sait pas si elle se sent plus proche de l’un ou de l’autre, si elle compatis avec l’un ou l’autre, il n’y a pas de prise de position… Peut-être que ça ancrerait un peu plus, mais encore une fois, c’est du chipotage ! Merci pour ce texte.
Alors si ce texte a déjà demandé un réel effort de concision (et ça ne m’étonne pas, parce que rendre cette ambiance et finalement, pas mal de petites évènements et la préparation calculée de la « fuite » du personnage, le tout en 4500 signes, ce n’est pas si simple), je comprends que tu n’aies pas envie de le rallonger… Quoi que, juste pour le plaisir de l’exercice, ça puisse être amusant à tenter…! 😉