Ateliers d’écriture créative, de fictions, animés par Francis Mizio

Catégorie : Clamoiselle

Texte de Clamoiselle

Départ en Vacances

J’ai toujours détesté ça, les départs en vacances. Chacun s’agite dans son coin, traverse la maison à grandes enjambées, des cris fusent de la cave au grenier.

« Maman, elles sont où mes palmes?»

« Maxime, je sais que c’est toi qui m’as piqué mes écouteurs MP3, rends-les moi immédiatement!»

« Gérard, les piquets de la tente, pourquoi ne  sont ils pas dans le petit sac en toile, AVEC la tente?»

Je déteste ça, ce bruit,ce tumulte, je me fais toute petite et évite d’être dans les pieds des uns et des autres.

La voiture est déjà devant la porte, ça c’est le rôle de papa. Maman voulait acheter un coffre de toit, mais papa n’a rien voulu entendre: et l’aérodynamisme, et ma vitesse moyenne, et ma consommation.

Comme chaque année nous serions donc serrés comme des sardines à l’arrière, Sophie, Maxime et moi. Comme chaque année on me mettrait au milieu, normale, je suis la plus jeune, comme chaque année j’aurais mal aux fesses durant les six heures de route.

Sauf que cette année, je suis la plus grande, Sophie la plus grosse et Maxime le plus puant.

Chacun s’occupe de son paquetage. Sophie essaye vainement de fermer sa valise en s’asseyant dessus, elle a même demandé l’aide de Maxime qui bien sûr lui a éructé d’aller se faire voir.

Maxime il s’en fout, il a son vieux sac en toile, ses palmes, son tuba et son maillot-short. Rien besoin de plus.

Maman bourre ses deux valises de vêtements pour toutes occasions, on ne sait jamais. Elle oublie, comme à chaque fois, qu’au camping de la Plage, les seules occasions sont le pastis avec les voisins lorrains, et le bal du 14 juillet sur la plage. Je crois qu’au fond d’elle Maman rêve d’autres choses, d’hôtels prestigieux et de cocktails au bord d’une piscine turquoise.

D’ailleurs, les vacances sont toujours la saison des disputes. Maman reproche à papa de ne pas avoir eu la promotion attendue. Papa reproche à maman d’avoir accepté ce poste à responsabilité qui lui prend tout son temps sans lui rapporter un sou de plus. Du coup, la femme de ménage est venue grever le budget vacances: impossible de louer l’emplacement à l’ombre des pins, au plus près du sable.

Bref, l’ambiance est tendue. L’adolescence boutonneuse de Sophie et beat-rebelle de Maxime ajoutent la petite couche superflue qui nous amène proche du psycho-drame familial.

Et donc moi. Je reste dans ma chambre le plus longtemps possible. Si seulement ils pouvaient m’oublier. Je ferme les yeux et je me rêve seule dans la maison. On ne me demande bien sûr jamais ce que je préfère. Mais je n’aspire qu’au silence et au vide.

Je n’emporterai que des livres: des romans d’amour, des histoires de familles. Je ne suis pas encore prête pour la vraie littérature, je le sens bien. En moi, tout bouge, mais doucement, discrètement. Je laisse Sophie et Maxime se battre avec les parents à grands gestes et à grandes phrases définitives. « Vous ne comprenez rien! Je vous déteste! Jamais je ne rentrerai! Je pars chez Stéphane, lui au moins il m’aime! Je vais chez Parrain, il me comprend lui et il me laisse écouter ma musique»

Au milieu de ce champs de bataille, j’ai trouvé ma place. Quand je demande un peu d’argent à Maman, elle me demande inquiète si c’est pour du maquillage mais quand je lui réponds «non, non, c’est pour la suite de mon livre» Je reçois bien plus que nécessaire, d’autant plus que je fréquente surtout la bibliothèque.

Au fil du temps, je me suis un fait un beau petit bas de laine, une réserve pour le cas où.

Et j’avais décidé que le cas où était bel et bien arrivé.

Maman hurle: impossible de faire rentrer le parasol! Papa gémit, il va falloir vérifier la pression des pneus avec tout ce poids! Sophie pleure: son forfait sms ne tiendra pas jusqu’à la fin des vacances et rien à faire, maman refuse tout rallonge: Stéphane aura l’été pour l’oublier. Maxime reste calme jusqu’au moment où papa réalise qu’il fume un joli pétard tout frais, cadeau de parrain justement.

Mon sac est bouclé j’y ai mis les trois volumes de «Les Eygletières», j’adore les saga familiales avec déchirements et mesquineries. L’année dernière j’avais dévoré les Gens de Mogador, je crois que Troyat me plaira. A la bibliothèque de l’école j’ai aussi emprunté la trilogie «La byclette bleue». J’ai pris quelques cahiers clairefontaine, mes crayons et une gomme.

Avec les sous économisés, je me suis acheté un billet de train jusqu’à Avesnes. De là je compte faire du stop jusqu’à Glageon: je n’ai pas prévenu Grand-Mère, mais je sais qu’elle sera heureuse de me voir. Je l’aiderai au jardin puis elle écoutera la radio pendant que je lirai.

Je sais que mon silence est ma meilleure arme. Trois coups de klaxons et ils sont partis, je suppose qu’ils remarqueront mon absence à la première station d’autoroute. J’ai bien fait de toujours refuser d’avoir GSM.

Par Clamoiselle
Passionnée par les mots, l’écriture, j’ai « appris » à écrire en atelier avec un homme formidable, issu du réseau Kalame, qui animait un atelier amical, Marcel Oriane.
Mes nouvelles sont sur un blog wordpress, ouvert à mon pseudo.

Texte de Clamoiselle

Dimanche matin. L’hiver ne baisse pas les bras en ce 8 février. J’aime les étoiles que le givre dessine sur les fenêtres de la cuisine. Je devrais sans doute m’habiller, mais l’idée même de quitter la douceur et la chaleur de mon pyjama me donne des frissons. Ma tasse de café brûlante entre les mains, je reste debout et j’observe le jardin à travers le prisme de la glace. Ajoutée à cela, La buée au dessus  ma tasse trouble encore plus ma vue. Pourtant, je ne rêve pas, j’en suis certaine: la balançoire bouge doucement, à rythme régulier. Il y a longtemps qu’elle n’a plus servi et pourtant les cordes ne grincent même pas. Les enfants ont grandi, les petits-enfants ne passent plus me voir que pour leur anniversaire ou leurs étrennes. Je n’ai jamais pu me décider à l’enlever. Elle fait partie du paysage, ancrée depuis si longtemps dans la branche devenue bien épaisse du marronnier et dans notre vie.

Je pose mon front sur le carreau, le froid descend tranquillement le long de ma nuque, glisse sur mes reins, remonte dans mes bras. Et là, je l’aperçois. Que peut-elle bien faire dehors un dimanche matin par ce temps-là. Elle regarde vers la maison, son regard effleure le mien dans un sourire. Elle porte une robe fleurie à manches courtes qui lui arrive aux genoux. Ses sandales à brides rouges ne sont pas du tout adaptées à la saison. Pourtant elle à l’air tout à fait à l’aise et se hisse avec aisance sur la balançoire. Je fouille dans le désordre de ma mémoire. Je suis certaine de la connaître, pourtant tous les voisins ont mon âge et aussi peu de visite que moi. Elle se balance de plus en plus haut. Je devine son cri de joie mêlée de crainte quand le ciel s’apprête à l’avaler. Mon café est froid maintenant. Je tremble un peu dans mon peignoir mais même ankylosée je ne quitte pas mon poste d’observation. Je ne veux pas perdre cette petite fille des yeux, ça pourrait être dangereux. Elle continue à voler dans les airs en riant, heureuse et insouciante. Le froid s’empare de mon cœur, je la reconnais. Je voudrais l’appeler mais aucun son ne sort de ma gorge noyée de larmes. Émilie. Bien sûr, c’est Émilie ! Je lui avais acheté cette robe pour son anniversaire. Tout en brossant ses longs cheveux châtains dorés en une longue tresse je lui disais que pour ses cinq  ans elle avait droit à une vraie robe de demoiselle. Ses yeux brillaient de fierté pendant que je lui mettais ses jolies sandales rouges. Qu’elle était jolie, ma petite Émilie. Espiègle et désobéissante mais au sourire désarmant.

Je me souviens, c’était un samedi de mai. Malgré la douceur printanière, l’herbe perlait encore de rosée. Émilie est sortie en courant, fière et débordante d’enthousiasme dans sa nouvelle robe. Je lui avais crié d’attendre encore un peu. Elle allait abîmer ses nouvelles sandales dans toute cette humidité. D’ailleurs, ses amies n’arriveraient pas avant 11h. Mais Émilie était pressée et tellement heureuse. J’ai cédé et l’ai laissée jouer dehors. De la cuisine où je préparais les boissons fraîches et la salade de fruits, je la voyais voler toujours plus haut sur la balançoire. Son rire plein de hoquets de joie couvrait les vieilles chansons françaises qui passaient à la radio. C’était un programme nostalgique avec toutes ces vielles chansons que chacun trouvait un peu désuètes mais fredonnait malgré tout. Je me souviens, il passait justement « La folle complainte » de Trenet. Quelle drôle d’idée, cette chanson triste, me suis-je dit, alors que j’avais le cœur tellement serein.

Oui, je me souviens de ce matin si précieux. Comme aujourd’hui, j’avais posé mon front sur la fenêtre, surprise de ne plus l’entendre. Comme aujourd’hui j’ai vu la balançoire vide danser à rythme régulier. Comme aujourd’hui, ma tasse a éclaté en mille morceaux en tombant sur le carrelage. Comme aujourd’hui je l’ai appelée, j’ai crié, j’ai hurlé.

Mais aujourd’hui, je sais. Mon amour n’a rien pu y faire, Émilie s’est envolée ce jour-là. Aujourd’hui je laisse le froid pénétrer mon cœur et je laisse mon corps s’écraser en mille larmes sur le carrelage de la cuisine. On ne l’a jamais retrouvée, j’ai cessé de l’attendre. Ce matin de février, dans les étoiles de givres sur les fenêtres de la cuisine, elle m’est revenue. Mon cœur s’apaise et s’engourdit. Mon sourire retrouve le sien, ma main caresse ses cheveux. Et je la serre contre mon cœur éteint, enfin heureuse.

Par Clamoiselle
Passionnée par les mots, l’écriture, j’ai « appris » à écrire en atelier avec un homme formidable, issu du réseau Kalame, qui animait un atelier amical, Marcel Oriane.
Mes nouvelles sont sur un blog wordpress, ouvert à mon pseudo.

Texte de Clamoiselle

Trêves des confiseurs

Et voilà, comme chaque année après la Saint-Nicolas, le même cortège de simagrées recommençait.

D’abord, il y avait la grand-tante, doyenne du clan, qui du haut de ses 99 printemps, ou hivers suivant son humeur, comptait bien mener son petit monde à la baguette, comme à son habitude. Aux milles bornes, elle avait pêché la botte de l’increvable et nous laissait en général tous au tapis.

En chef d’orchestre aguerrie, elle s’appropriait le temps de chacun et nous entraînait tous dans sa sempiternelle vision d’Épinal du réveillon de noël: messe, marche au flambeaux et dinde farcie compris.

Un all inclusive moyenâgeux que la jeune génération avait de plus en plus de mal à supporter et de moins en moins de difficultés à envoyer paître.

Pour mon malheur, j’étais de la génération du milieu: encore bien ancrée dans les traditions mais un pied déjà – un pied seulement – dans le monde de la liberté. Je n’avais donc gagné en fait de liberté que la frustration de ne jamais savoir dire non.

Chaque année j’appréhendais cette période avec l’angoisse d’une débutante.

Comment faire passer en douceur l’abandon de cette jeunesse dorée, sans cœur et sans éducation depuis que les parents avaient baissé les bras. L’avenir de la famille préférait faire la fête loin des momies (dixit ma petite nièce Sophie) et «s’éclater» sans les vieux (les mêmes parents démissionnaires bien sûr) …. il faut bien les comprendre.

D’ailleurs, Mamie, Papy, oncles et tantes, ne vous cassez pas la tête pour les cadeaux, une enveloppe généreuse fera l’affaire. Oui, comment expliquer ça en douceur à l’arrière-garde, toujours fringante et aux jugements toujours aussi incisifs!

Mais ce n’est pas tout, comment amener à la même table la cousine Jeanne, petite provinciale rose et joufflue, et la cousine Béatrice, pure produit de la capitale, véritable cheval de course, chacune haïssant l’autre avec mesure et politesse durant toute l’année, sauf lorsqu’il était question des décorations de noël. Là tous les coups étaient permis.

A moi, arbitre, de ramener la paix sur ce champ de bataille. Je tenais donc mes comptes soigneusement, et donnais la victoire alternativement à l’une et à l’autre.

Comment persuader aussi le grand-père, le cœur sur la main mais les cordons de la bourses bien serrés, que s’il n’était pas encore le doyen (un peu de patience voyons), il n’en était pas moins le chef de meute dont chacun attendait sagesse et conseils dans le respect dû à son âge et à son rang.

Chaque année les choses se compliquaient un peu avec cette manie moderne des familles recomposées, des pièces rapportées et d’autres échangées. J’en perdais le compte et les prénoms.

Mon mari, doux et poète, observait cette danse de loin, avec un sourire confiant. Une petite tape en douceur sur les fesses et il m’encourageait en m’affirmant que, comme chaque année, tout serait absolument parfait ! Et toujours bienveillant se penchait à nouveau sur ses haïkus.

Mais tout ça, c’était sans compter avec mes hormones. Car sachez-le, la ménopause est une adolescence tardive aux éclats tout aussi dévastateurs.

Je n’ai rien dit, rien laissé paraître. Entre deux coups de chaleur et trois kilos pris par mégarde, je suis passée à l’agence de voyage la plus éloignée de la maison.

Soleil, piscine, cocktail : enfin un véritable all inclusive à ma mesure.

Le 24 au matin, pendant que mon amour, l’homme de ma vie, relisait et agençait avec subtilité ses dernières créations pour un éditeur pas encore ennemi, j’ai simplement mis ce vinyle de Gainsbourg qu’il aime temps (oui, chez nous la loi du vinyle règne encore).

Et sur ces paroles qui s’adressaient plus à la famille qu’à toi, mon homme, ma tendresse, mon plus beau cadeau: «Je serai content quand tu seras mort, vieille canaille …», j’ai pris ma valise préparée discrètement la veille et suis partie sans claquer la porte.

Par Clamoiselle
Passionnée par les mots, l’écriture, j’ai « appris » à écrire en atelier avec un homme formidable, issu du réseau Kalame, qui animait un atelier amical, Marcel Oriane.
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